Maman avait quinze ans quand je suis née. Au sortir de la maternité, elle n'est pas retournée au collège. D'abord, parce qu'il fallait qu'elle s'occupe de moi et puis -ça elle ne l'a pas dit à l'assistante sociale, elle n'est pas une balance - parce que le garçon qui l'avait accrochée un soir, après l'étude, était encore dans sa classe.
Alors, elle avait accepté le petit job de rangement des rayons que lui avait offert la grand-mère chinoise qui tenait l'épicerie du coin de la rue ; ça lui laissait du temps pour me promener, et ça payait le lait et les couches. Les nuits où sa mère rentrait à la maison, on dormait toutes les deux dans sa chambre de petite fille; parfois on jouait longtemps ensemble avec ses vieilles poupées.
Et puis, elle m'a appris à marcher, et aussi à nager dans les grosses vagues de la plage proche du port. Là où, quand la lune se lève, ma mère s'asseoit avec des copains, et ils se passent des cigarettes parfumées.
Un soir, il y en a un qui a raconté une belle histoire, où il y avait des perles qui venaient de loin, en passant par dessus la mer où elles étaient nées. Il y en avait des noires, précieuses et brillantes comme des miroirs; et aussi des blanches, que les femmes d'Europe se coincent à l'oreille.
J'ai cherché dans les rayons de l'épicerie, quand la grand-mère faisait la sieste. Il n'y avait que des perles transparentes, mais je les ai fixées dans mes tresses. Et en roulant avec dans l'écume des vagues, je rêvais que leur destin itinérant s'accrochait à moi, et que, comme elles, je voyagerais au loin, précieuse et admirée dans la lumière d'un soleil moins brûlant...
Demain, maman remettra mes perles sur l'étagère, car dans la boutique, on ne plaisante pas avec le chapardage !