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Jean M. Ollivier | all galleries >> Galleries >> Fifties > Face NW du Petit Pic d'Ossau
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24 mars 1972 JMO

Face NW du Petit Pic d'Ossau

Ossau - Pyrenees

La face Nord du Petit Pic en hiver le 11 février 1955
A.Armengaud**

Le début de février 1955 était très chaud, la neige ne descendait pas au-dessous de 1700 mètres et les faces Nord étaient dégagées. Le jeudi 10 février, après une conférence de Lionel Terray, je suis libre, et je pars avec Jacques, mon sympathique et jeune voisin. Nous passons la nuit à Gabas, dans une chaude hospitalité, à l'hostellerie Laborde, préférant partir un peu plus tôt le lendemain que de goûter les charmes problématiques du refuge de Pombie. Des chanteurs espagnols nous berceront de leurs chants toute la nuit.
Vendredi matin
Le réveil sonne à quatre heures. Peu après, la voiture s'élance sur la route du col du Pourtalet. Nous traversons les nappes successives d'un brouillard qui s'accroche aux forêts, aux arêtes et aux cimes. Près du replat d'Aneou, nous mettons pied à terre (ou plutôt "à neige"). Aussitôt, le vent fait tournoyer des essaims de flocons qui nous mitraillent. Sombre présage.
La lune est voilée ; nous nous dirigeons à la lueur tout à fait douteuse d'une lampe électrique, car les anneaux de brumes se sont refermés sur nous. Un torrent. En le traversant, la neige des rives cède et Jacques tombe malencontreusement dans l'eau. Il s'en tire avec un léger bain de pieds, sans plus ; mais en cette saison et au début d'une journée que nous voudrions glorieuse, cet incident revêt l'allure d'une véritable catastrophe. L'avenir nous apparaît de moins en moins lumineux – au propre et au figuré – car nous nous élevons toujours dans le noir et dans le coton sur les pentes qui se relèvent progressivement jusqu'à une large crête qui domine le refuge de Pombie.
Je connais heureusement tous les replis du terrain, sinon mieux vaudrait renoncer tout de suite à l'entreprise. Un vague rougeoiment troue le ciel par intermittence : les phares d'une voiture au col du Pourtalet, sans doute. Après un examen attentif des phares présumés, nous reconnaissons que c'est l'aurore qui pointe.
Devant un coin de ciel incendié passent et repassent des vagues de brouillard. Bientôt, la petite flamme devient grand embrasement qui teinte de violine les énormes masses d'ombre venues du Nord.
Enfin, voici la crête et, par des pentes de neige dure, nous atteignons le refuge de Pombie. Il y a longtemps que nous aurions dû mettre les crampons ; nous aurions évité ainsi pas mal de fatigue inutile. Entrons dans ce havre de paix situé près d'immenses murailles où se sont déroulés de furieuses batailles entre l'homme et le granit, et même entre grimpeurs, disent les mauvaises langues. Aujourd'hui les parois restent obstinément cachées.
Les crampons sont ajustés et nous remontons vers le col de Peyreget. Variation sur le thème du brouillard. Nous suivons par la base, la face Sud-Ouest du Petit Pic. Nouvelles variations du brouillard sur un thème confus. Va-t-il nous envelopper ou non ? Finalement, il laisse flotter une brume incertaine.
Chaque fois que je viens ici, ce n'est pas sans appréhension, pour l'escalade qui va se dérouler. Quand je repars, il me semble que plus jamais je ne serai en proie à l'inquiétude. Quelle soif inextinguible peut torturer ainsi l'esprit du montagnard pour lui faire trouver toujours de nouveaux problèmes ? Des chimères ? Non, des étapes sur la route sans bornes.
Nous aussi sommes dans l'indécision ; il est neuf heures, le temps est très douteux et la température s'est très adoucie. Nous prenons des écharpes de neige dure qui constituent l'attaque de la face Nord-Ouest, et nous passons la corde en double au pied des premiers obstacles. Ici, le rocher est sec. Une première cheminée est assez péniblement avalée (je dois dire à ma grande honte que j'ai pris un ventre de bourgeois durant l'inaction forcée de l'hiver). Nous gravissons ensuite des banquettes de rochers avec neige et verglas, qu'il faut souvent casser au marteau. Près de 200 mètres sont ainsi gravis assez rapidement depuis la base. L'heure tourne aussi. Nous voici au pied des grandes difficultés : une longueur de corde en oblique vers la gauche, sur pitons, avec un rétablissement très difficile sur une dalle. Une autre longueur de corde nous ôtera toute crainte, mais il faut franchir un bon surplomb et dans quel état le trouverons-nous ?
C'est maintenant que la partie se gagne ou se perd. Nous consultons le ciel pour prendre une décision. Le brouillard tourne toujours autour de nous : "Visibilité réduite. Pic du Midi +5 sous abri", dirait le météo de service. Il bruine légèrement et parfois le "coton" se déchire pour laisser voir l'arête Nord terrifiante sous les aspects fragmentaires de surplombs et verticalité. Si le temps se gâte, nous pourrons descendre en rappel. Il faut franchir une dalle de quatre mètres de haut, avec comme seule prise une fissure pour les mains. Il paraît qu'elle n'est pas très difficile. Pour ma part je l'ai trouvée toujours pénible. Sans doute, je n'ai jamais su m'y prendre de la bonne manière (à moins que ce ventre mal raboté…). Mon camarade passe "comme une fleur", ce qui ne rehausse pas mon prestige.
Une rangée de pitons permet de traverser d'une douzaine de mètres vers la gauche. Il est relativement facile de les suivre. Il faut ensuite se rétablir sur une vire large de trente centimètres, dominée par un mur vertical. Le rocher est légèrement mouillé aussi je plante un minuscule piton et m'y suspends avec la grâce d'une baleine.
Je fais cinq ou six essais avant le rétablissement, puis rampe jusqu'au bout de la vire qui mesure trois mètres de long. Là non plus je n'ai pas été brillant.
La neige recouvre les banquettes suivantes et l'équilibre, sur ces fortes pentes, est assez instable. Le second de cordée vint lentement. J'admire son style "décontracté" et très efficace. Le voici bientôt près de moi, et nous pouvons admirer le reste des réjouissances. Il est midi et nous avons encore de longues heures de jour avant le bivouac que nous voudrions éviter évidemment car nous n'avons pas emporté de tente. Nous avions pourtant fortement conseillé cette mesure de prudence à des amis qui avaient failli gravir cette face.
Un assez bon surplomb se dresse à huit mètres de nous. Deux pitons y pendent, mais pour les atteindre ce n'est pas très facile. Une fissure s'y faufile, mais elle est gluante de verglas. Je monte dans le style phoque essouflé, crochetant un piton au passage.
J'atteins les pitons du surplomb et y suspends un étrier. Il était temps. Deux étriers se balancent bientôt dans le vide avec autant de jambes tremblantes. Mes mains cherchent plus haut une prise pour me rétablir. Je réussis en dernier ressort à insérer un minuscule piton, un "as de cœur", dans une fissure minuscule et mon corps quitte la position de pendu peu compatible avec la dignité de chrétien. Les dalles qui suivent sont enlevées assez bien. Je vais planter un piton dans une position invraisemblable, dans le toit qui domine, puis assure le second derrière un angle vague de rocher. Ce garçon vient toujours avec aisance.
Cette fois c'est gagné. Encore des dalles, avec parfois un peu de verglas. Elles sont très raides, mais je les ai trouvées relativement faciles ; nous les traversons presque en courant et atteignons de vastes terrasses couvertes de neige. On appelle "l'Epaule" cette région située aux quatre-cinquième de l'arête Nord.
Quand il fait beau, le paysage découvert de ce balcon est remarquable. Aujourd'hui, les lignes fuyantes sont noyées dans un océan laiteux. Il me semble cependant que la voûte de brouillard se fasse plus mince et devienne gris bleu comme une grande apparition du soleil. Ce serait vraiment inespéré si nous étions inondés de ses chauds rayons à notre arrivée au sommet : une apothéose de cinquième acte. Mais le miracle n'a pas lieu.
Aussi, nous ne nous attardons pas sur ce jardin d'Eden. De hardis coups de pied trouent la neige qui s'élève sur les dernières murailles verticales. Encore de gros problèmes se posent : où attaquer ? Tout ressemble à tout dans ce coton renforcé. Je me souviens qu'il faut traverser à gauche sur la neige (présentement), puis revenir à droite sur les rochers. Vibram mouillés, pierre humide. Cette dernière escalade n'est pas de tout repos. Mais consolons-nous, elle aurait pu être pire encore.
Je pénètre dans une sombre gorge encombrée de verglas. Ici, l'hiver reprend tous ses droits. Il faut batailler dur, dégager des rochers dans une masse de neige instable, casser la glace vive. C'est vraiment la montagne inhumaine telle que nous la désirons parfois lorsque nous y rêvons, bien au chaud, près du feu. Si ça durait longtemps, nos dernières forces y resteraient, ainsi que les derniers grammes de ventre. Mais nous sentons le sommet tout proche, et nous l'atteignons dans le vent qui fraîchit. Il est quinze heures. Cela fait six heures de "bagarre".
Nulle euphorie ; je pense seulement aux camarades qui ont tenté cette escalade en hiver, qui auraient mieux que nous mérité la victoire, par leur ténacité et leur valeur. Nous avons évidemment choisi l'époque où la montagne était dans le smeilleures conditions et où la température était clémente, mais nous avons été vraiment servis par le facteur chance.
Une pensée aussi pour les premiers vainqueurs de cette face : Robert Ollivier et Roger Mailly, qui la gravirent voici vingt ans, en été, mais c'était un exploit pour l'époque ; il marquait la naissance du pyrénéisme de difficulté ; avec toutes les perspectives et possibilités qu'elle ouvre. Nous avons ainsi conscience de retrouver l'esprit d'aventure qui présidait aux premières conquêtes.
Il nous reste à descendre par une voie qui n'est pas de tout repos, puis à faire, avant de retrouver le toit familial, de longues heures de voiture et de nuit.
Peu importe. Pour nous vient d'être tournée une nouvelle page du grand livre de l'Ossau.
A.Armengaud
Pour la revue "Pyrénées", et reproduit avec son autorisation dans la revue Altitude de novembre 1957, n° 26.

**André Armengaud http://www.balades-pyrenees.com/armengaud_andre.htm )

André Armengaud est né le 4 février 1920 à Lebez (Tarn).
Ordonné prêtre en 1944 par monseigneur Saliège, archevêque de Toulouse, il fut aumônier militaire à l'infanterie alpine de Briançon durant son service militaire où il contracte le virus de la montagne.
De 1646 à 1960, il est curé à Garin, près de Luchon. Devenu guide de haute montagne, il enchaîne les premières et les hivernales dans son cher Luchonnais.
De 1960 à 1994, il fut le truculent prêtre de Drémil-Lafage, près de Toulouse. Lors d'un mariage, il avait coutume d'entourer les mariés d'une corde d'escalade sur le parvis de l'église. Personnage à multiples facettes, très apprécié de ses paroissiens même lorsqu'ils ne fréquentaient pas les offices religieux, il obtient une licence de mathématiques et de physique et fréquente l'université.
A 64 ans, il est l'auteur d'une thèse de mathématiques et de nombreux livres consacrés aux sciences ou à la physique, dont l'un, féroce, pourfend les savants de l'atome. Il participe à des expéditions en Alaska, en Himalaya et au Pérou où il célèbre une messe à 6000 mètres d'altitude. Il est décédé le 12 août 1994.


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