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Jean M. Ollivier | all galleries >> Galleries >> Climbing and skiing in Pyrenees in the '30s > Passerelle et Gorges d'Holzarté
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1933 R. Ollivier

Passerelle et Gorges d'Holzarté

Construite en 1920, cette passerelle spectaculaire a été détruite par la tempête Xynthia le 28 février 2010. Remise en service l'été suivant.

La première descente* du canyon d'Holzarté - Olhadibie
25 Août 1933. Récit par Robert Ollivier

* Cette première descente fut contestée par Jean Ritter qui l'attribue à Jacques Labeyrie "seul avec sa corde" en 1930, et qui en aurait "fait le compte-rendu dans une communication à l'Académie des Sciences, ...., ce qui explique l'absence de diffusion de la nouvelle à Pau." (Pyrénées, n° 174, 1993).
Nous ne mettons pas en doute la descente de Jacques Labeyrie, mais étant né en 1920, il semble peu plausible qu'il l'ait faite, seul, à 10 ans, avec communication à l'Académie des Sciences.

Récit de R. Ollivier

A l'ouest de la vallée d’Aspe, les Pyrénées s’abaissent, l’austérité
des paysages s’atténue, et les monts gracieux et colorés du Pays
Basque moutonnent jusqu'à la mer sous le ciel lumineux de la Côte
d’Argent.
C’est cependant au sein de cette contrée au charme délicat et
prenant que sont taillées les gorges les plus farouches de la chaîne
pyrénéenne.
Au Sud de Mauléon-Soule, trois grandes fissures calcaires
déchirent le sol: les canyons d’Uhadjavé, de Khakouetta et
d’Holzarté-Olhadibie. Les torrents qui y roulent descendent de la
crête frontière franco-espagnole entre les pics d’Anie (2.504 m) et
d’Orhy (2.017 m). L’un d’eux, L’Olhadibie, jouit du privilège de
traverser le plus sauvage de ces défilés, le canyon d’Holzarté, la "
reine des cluses françaises ". Long de cinq kilomètres environ,
profond de 100 à 300 mètres, rempli des rumeurs d’un torrent
tumultueux qui bouillonne entre deux parois verticales, il demeura
totalement inexploré jusqu'en 1907. Les Basques, superstitieux,
redoutaient son approche, le considérant comme l’antre insondable de
génies malfaisants. En vérité des sites aussi sauvages
constitueraient un cadre incomparable pour une " Nuit de Walpurgis
". Nul doute que Méphistophélès et sa horde de démons et de
sorcières eussent délaissé la vallée de Brocken elle-même s’ils
avaient pu connaître les gorges d’Holzarté. Mais, en 1907, si
certains voyageurs en avaient soupçonné l’existence, personne ne s’y
était encore aventuré. A cette époque, au cours de trois expéditions
hydrologiques dirigées par E-A. MARTEL, le célèbre explorateur de
gouffres, le canyon fut parcouru en partie. Mais, dit MARTEL "
Malgré tous les efforts par l’amont, par l’aval et par les flancs,
à grandes volées d’échelles de cordes, avec des bateaux de toile,
des échelles démontables, 600 mètres demeurent inconnus entre une
cascade sortant d’une crevasse inviolable et une autre chute qui
tombe de 50 mètres dans le fond invisible de la gorge. Il est
probable qu’une ou plusieurs brisures de l’eau, font ici un ressaut
de 100 mètres, qu’il sera bien difficile d’aller voir " En effet,
peu de voyageurs tentèrent, après MARTEL, de percer le mystère
d’Holzarté.
Toutefois, de 1925 à 1933, de sérieux efforts furent tentés,
notamment, par MM. DUBOSC, le Docteur MINVIELLE, Laurent BARATS,
CAMES, MALAN, GARDERES, LAVIE, Mlle LEVAVASSEUR.
Quelques fragments de la partie inconnue furent conquis vers
l’aval. " La cascade sortant d’une crevasse inviolable " fut
surmontée en 1926, année où, par suite d’une sécheresse
extraordinaire, le torrent se trouvait presque à sec. Maurice
GARDERES fut le leader de la caravane. Vers l’amont, " la cascade
qui tombe de 50 mètres dans le fond invisible de la gorge ", en
l’occurrence la deuxième chute importante, fut descendue et remontée
plusieurs fois.
Enfin on parvint à trouver un point faible, sur la paroi de la
rive gauche, et à descendre par là dans le fond des gorges, au moyen
d’une série de rappels de corde. Une nouvelle cascade fut ainsi
reconnue. Les explorateurs s’évadèrent des gorges par l’aval .
Quoi qu’il en soit, près d’un kilomètre de gorge demeurait
inconnu au début de l’été 1933. Nous jugeons en effet un peu
étriquée la distance de 600 mètres donnée par MARTEL, pour le
tronçon inexploré. Le fond du canyon, très tortueux, comprend mille
détours qui allongent singulièrement les mesures prises sur les
bords supérieurs. La sécheresse de l’été 1933 décida Henri Dubosc à
tenter, avec le matériel le plus simple, cordes et pitons de rappel,
la traversée complète des gorges, de l’amont vers l’aval. François
Cazalet et moi nous trouvions libres. Tentés par l’originalité de
cette expédition, nous ne nous fîmes pas répéter deux fois
l’invitation de Dubosc. Notre jeune mais solide compagnon de cordée
Roger Mailly se joignit à nous. Et, le 25 août, à 2 h 30 du matin,
nous quittions Pau dans l’auto de Dubosc et roulions vers le Pays
Basque.
A 4 heures 30, nous faisons halte au pont de Longibar. Un
copieux déjeuner nous occupe un temps appréciable. Ce n’est pas du
temps perdu. Notre prochain casse-croûte n’aura lieu qu’à 17 h 30,
dans un des recoins les plus sinistres des gorges. Vers 5 heures,
par une obscurité encore épaisse, la caravane s' engage, à la
lanterne, dans le sentier qui serpente immédiatement à gauche après
le pont de Longibar. Notre équipement, aussi pittoresque que
volontairement rudimentaire, jette une note de gaieté dans
l’expédition. Pas de souliers ferrés pour cette fois, ni même de
bas, ni de chaussettes, mais de simples espadrilles, un maillot de
bain, deux gros chandails, de vieux pantalons destinés à amortir le
frottement des rappels de corde. Dubosc arbore d’amusante culottes
de flanelle rouge et un curieux bonnet blanc.
Après quarante-cinq minutes de montée assez raide, nous
apercevons sur notre droite, un peu en contre-bas, de puissantes
murailles grisâtres dont la base se perd dans la pénombre: les
gouffres d’Holzarté. Nous les franchissons bientôt sur une mince
passerelle, longue d’une trentaine de mètres.
Il fait encore trop sombre pour que nous puissions distinguer le
fond des gorges. Toutefois, en martelant nos pas sur les planches de
ce pont suspendu, qui oscille, nous "sentons" le vide sous nos
pieds: 120 mètres plus bas roule le torrent.
A travers une belle forêt, nous suivons pendant plus d’une heure
la rive gauche du canyon. Les falaises de la gorge sont presque
partout couronnées d’une végétation touffue. Vers 7 heures, nous
atteignons l’origine du défilé. Laissant sur notre droite une
première cascade assez haute, nous entreprenons, à peu près à 150
mètres d’elle vers l’aval, une descente par la rive gauche, à
travers un fouillis d’arbustes. Henri Dubosc a découvert et déjà
utilisé ce passage, difficile à repérer, qui, au milieu de falaises
par ailleurs impraticables, permet de descendre sans rappel de corde
jusqu'à l'origine de la deuxième cascade, haute de 40 à 50 mètres,
où commencent véritablement les gorges. Nous accrochant aux
branches, aux racines, aux herbes, nous descendons en diagonale,
au-dessus d’un à pic impressionnant, jusqu'au’au fond du thalweg.
Traversant le torrent, nous nous élevons, rive droite, sur un
tertre abondamment pourvu d’orties. Derrière ce tertre, tout contre
la paroi rocheuse, un couloir terreux nous permet d’effectuer une
descente assez rapide parallèlement à la cascade. Celle-ci glisse
sur un lit de roches terriblement lisses et polies. Un ressaut de 15
mètres nous contraint à un rappel placé autour d’un vieux tronc
d’arbre. Nous voici au pied de la deuxième cascade. Déjà, de toutes
parts, des parois insurmontables nous entourent. Jusqu'au’au soir,
nos yeux fatigués de tacles d’une horreur presque sublime ne verront
que ces remparts titanesques, dressés face à face à quelques mètres
les uns des autres, creusés des orifices d’innombrables
cavernes,sculptés de voûtes vertigineuses, de profils pleins
d'étrangeté.
Par un talus fort incliné et glissant, Mailly et moi contournons
un premier bassin assez profond. Dubosc et Cazalet plongent
résolument dans l'eau froide. 150 mètres plus loin, la gorge forme
un coude. Nous nous approchons: nous sommes au bord de la troisième
cascade, au-delà de laquelle personne ne nous a précédés. Elle tombe
seulement d’une hauteur de 20 mètres; mais elle est verticale et,
pour la franchir, il faut descendre sous la cataracte. Dans le
tortueux défilé qui lui fait suite, la gorge s'assombrit, d’étranges
rumeurs bourdonnent,le torrent paraît s’enfoncer dans les entrailles
de la terre, cependant que les murailles,sur chaque rive,
grandissent, se penche l'une vers l’autre, cachent le ciel. " D’en
haut filtre une tragique lumière verdâtre, décomposée par la
végétation qui recouvre ou traverse les lèvres supérieures de la
fissure" (Martel)
Quelles surprises nous réserve-t-il, ce tronçon ignoré des
gorges ? Mais nous avons résolu d'arracher son secret au canyon
d’Holzarté. Un anneau de rappel est placé autour d’un énorme bloc,
une corde de 50 mètres déroulée, et Dubosc assuré par une corde de
secours, affronte le premier la cataracte. L’eau s’abat sur son
crâne avec violence; son pittoresque bonnet blanc est emporté. Notre
compagnon aboutit finalement dans une espèce de chaudron où
bouillonnent des remous inquiétants. Mais il a pied, avec de l’eau
jusqu'aux’aux épaules. Nous lançons les sacs sans ménagements au bas
de la cataracte. Le premier, qui touche l’eau avec un "plouf "
sonore, est salué par un bel éclat de rire de Dubosc, qui patauge
avec ardeur.
Je descends le dernier, rappelle la corde et rejoins mes
compagnons. Toute retraite est maintenant coupée vers l’amont. Avec
de l’eau jusqu'aux hanches, nous parcourons environ 200 mètres. Puis
un trou profond nous oblige à nager. Une corde à la ceinture, l’un
de nous traverse le bassin et hale les sacs. Pendant ce temps, ses
camarades installent un nouveau rappel en deçà du trou, car une
quatrième cascade, haute de 5 à 6 mètres, nous barre la route et,
sur ses bords, nous ne voyons aucune saillie de rocher pour placer
la corde.
Au même point, la gorge fait un coude à droite, semble aboutir à
un cul-de-sac, et dessine un autre coude vers la gauche, où le
torrent se précipite en une cinquième cascade. Celle-là, nous ne
savons comment la descendre: l’eau s’infiltre dans un étroit boyau à
peine large pour un homme et s’y écroule d’une hauteur de 12 mètres
environ, en une chute coupée en son milieu par une marmite. Le
torrent à l’étroit y tourbillonne d’une façon redoutable. Une berge
très inclinée avoisine le boyau. Nous la suivons. Elle est bientôt
coupée par un escarpement d’une dizaine de mètres. Un rappel nous
déposerait au pied de l’embarrassant ressaut; mais aucun piton de
rocher ne fait saillie sur les bords. Les fiches de fer que nous
tentons de planter ne s’enfoncent pas suffisamment. Nous nous
décidons à placer un anneau de rappel autour d’un rocher situé très
loin du bord. Comme nous risquons un dangereux pendule, par suite de
l’inclinaison de la berge vers la cascade, nous enfonçons tant bien
que mal des pitons de fer qui empêcheront la corde de déraper. Nous
envoyons les sacs en éclaireurs au pied de l’escarpement et nous
descendons à la force des poignets, pour éviter l’irritante friction
de cette corde trempée qui refuse de glisser. Naturellement nous
aboutissons dans un trou profond où la natation est de rigueur. Tout
en barbotant, nous poussons les sacs vers un îlot rocheux. Cette
fois, la corde résiste à nos efforts lorsque nous voulons la
rappeler. Nous devons tirer tous les quatre, et de toutes nos
forces, pour la récupérer.
Immédiatement après, nous contournons un nouveau ressaut de
quelques mètres avec l’aide de la corde et d’une vire sur la paroi
gauche, dont les rochers, comme passés au savon noir, s'avèrent
terriblement glissants. Un tronc d’arbre, dégringolé du haut des
falaises et posé en long, nous permet de descendre le ressaut
suivant par une chevauchée pittoresque.., et gluante. C’est ici
qu’un affluent de l’Olhadibie, le ruisseau de Saratcé, dont parle
MARTEL, tombe en cascade sur la paroi de la rive droite.
Par la suite, durant un parcours d’une longueur qu’il nous est
difficile d’apprécier, aucun obstacle notable ne nous arrête, à part
quelques trous à traverser à la nage, des chutes de 2 à 3 mètres,
une de 5 mètres, qui exigent l’emploi de la corde. Le canyon,
toujours étroit et tortueux, toujours sombre et dominé par des
escarpements énormes, nous semble ne devoir jamais finir. A chaque
coude du défilé nous redoutons de voir le sol s’effondrer en un
gouffre où nous serons contraints de procéder à une descente pénible
sous des trombes d’eau. Nos baignades incessantes dans ce torrent
assez froid (14 à 15°) commencent à nous lasser. Nous grelottons
douloureusement entre chaque immersion. De plus, le temps s’est
gâté; il pleut. Il est vrai que les multiples surplombs des parois
nous protègent des averses, mais de sourds grondements de tonnerre
nous inquiètent; si le torrent venait à grossir?... Nous apprendrons
le lendemain qu’un violent orage s’est déchaîné sur Pau. De la
terrasse du boulevard des Pyrénées, nos camarades ont observé de
lourdes nuées chargées d’électricité au-dessus du pic d’Orhy, et
notre ami Herbert WILD, plein d’inquiétude, est accouru chez l’ami
BERNIS et s’est écrié enlevant les bras au ciel " Les malheureux..
Ils vont être pris comme des rats dans un égout " (sic).
Heureusement, nous n’eûmes pas à subir un sort aussi tragique!
Mais, après un long parcours tranquille, un grondement
avertisseur nous donne le frisson; plus de doute, c’est une
nouvelle cascade. A un détour de la gorge, elle se creuse
brusquement sous nos pieds; elle a 8 à 10 mètres. Nous franchissons
un enchevêtrement indescriptible de troncs d’arbres à demi pourris
et, tandis que Dubosc, bravement, descend dans l’eau, je "vire" le
ressaut vers la gauche par une escalade risquée; en cas de chute,
après tout, j’en aurais été quitte pour un plongeon de 10 mètres en
eau profonde. Je regagne le fond du thalweg par des pentes raides,
terreuses, pleines de ronces. Cazalet et Mailly suivent mes traces,
ne voulant pas laisser passer non plus cette occasion d’éviter un
bain.
Maintenant le canyon s’élargit, un vrai petit plateau verdoyant
réjouit nos regards, et, ô joie! nous apercevons un coin de ciel
bleu. Les nuages ont fui; un rayon de soleil nous frôle.., la
délicieuse caresse. Mais le soleil illumine aussi, devant nous, un
gigantesque bastion grisâtre, haut de 300 mètres, aux parois lisses
comme une cuirasse: les gorges ne sont pas finies.
Ce coin reposant n’est qu’une oasis sur notre pénible route.
Dubosc a beau dire que le terrain s’humanise, nous ne sommes pas au
bout de nos peines. Une nouvelle cascade est là pour nous
l’apprendre; nous l’évitons en grimpant à gauche sur un tertre. Nous
dévalons de l’autre côté une raide pente herbeuse. Dubosc reconnaît
alors la muraille le long de laquelle il est descendu avec ses
compagnons en 1929. Nous en avons donc terminé avec la partie
inconnue des gorges. Mais nous ne pouvons sortir que par l’aval de
cette longue faille et de rudes épreuves, plus pénibles
qu'acrobatiques, nous attendent encore.
Nous tombons en arrêt devant une chute de 23 mètres. Elle est
plus large que les autres; l’eau y rebondit sur d' énormes saillies
en surplomb et se précipite en plein vide. Nous avisons sur la
gauche une sorte de cheminée ou l'eau ne coule pas; elle nous permet
d'effectuer un rappel à sec; pas tout à fait cependant. A la base de
la muraille, un bassin, à peine large de 2 à 3 mètres mais profond
de 3 ou 4, nous accueille fraîchement; et, pour traverser ce bras
d'eau que nous franchirions d’un bond si nous pouvions prendre appui
sur des pierres moins glissantes, nous devons nous immerger tout
entiers.
A travers un amoncellement de blocs de forte taille, nous
gagnons à pied sec, 200 mètres plus loin, le déversoir de la
dernière cascade importante. Ici s’arrondi, en voûte sur notre tète
et au dessus de la chute, "la monstrueuse grotte" de MARTEL. La
paroi de la rive droite se creuse en une profonde excavation, sous
laquelle gronde la cataracte . Notre descente en rappel à côté de la
chute principale nous balance dans le vide sous des cascatelles qui
ruissellent désagréablement le long de notre corps. Nous frôlons au
passage une énorme roche en pendentif qui affecte étrangement la
forme d’un cœur. Une fois de plus, la corde ne se montre pas docile
au rappel . A nos tractions violentes elle résiste, et ne vient que
centimètre par centimètre. Elle cède enfin et s’abat dans le torrent.
Avec la plus grande rapidité possible, car il nous semble que le
jour baisse, nous bondissons sur des rochers glissants où le moindre
faux pas nous vaut une rude chute sur les reins. Si le terrain est
moins accidenté, les gorges conservent toujours une grandeur
écrasante et nous ne pouvons voir la moindre parcelle de firmament.
Tout à coup, à un détour du canyon, les parois se rapprochent, se
rejoignent. L’eau s’engouffre dans un antre obscur " Le tunnel "
annonce Dubosc. Dans une pénombre plus impressionnante qu’une nuit
complète, nous distinguons, aux reflets plombés de l’eau, un
véritable lac souterrain long de 20 à 25 mètres, large de 4 à 5,
très profond. A l' angoisse de nous replonger dans cette eau, que
nous devinons plus glaciale ici qu’ailleurs se joint l’appréhension
de nous lancer à la nage dans cette crypte dantesque dont nous
n’apercevons pas bien le débouché au grand jour. Par un effort de
volonté, nous ranimons notre courage un peu refroidi. Pour que je
puisse tirer les sacs, mes camarades m’attachent une corde à la
ceinture et je m’élance, sans prendre le temps d’hésiter, dans des
eaux plus noires que celles du Styx. Je fends l’eau avec rage pour
lutter contre le froid; je reprends pied, je tire les impédimenta;
mes camarades plongent à leur tour. Le souvenir de cette traversée
souterraine demeure en moi comme la vision la plus fantastique du
canyon d' Holzarté. Il me semble avoir rêvé quand j' évoque ces eaux
sombres, cette demi-obscurité tragique, le tumulte de l' eau dans
cette caverne de cauchemar et mes trois compagnons tirant leur coupe
en laissant derrière eux un sillage blanchâtre, dans ce décor digne
d’illustrer " l’Enfer " de DANTE.
Des bassins nombreux et profonds se succèdent ensuite à un
rythme accéléré, sans nous laisser le temps de reprendre haleine.
Nous émergeons du dernier, claquant des dents, affamés par 13 heures
de jeûne, littéralement vidés de nos calories. Nous interrogeons
Dubosc: " Combien de temps encore pour sortir de ces maudites gorges
?" ; il répond d’un air innocent " Trois heures et demie à peu près
". Dans une poche imperméable en caoutchouc, nous avons emporté une
montre et quelques vivres. La montre marque 17 h 30. L’orage a
repris; le tonnerre emplit les gorges d’affreux roulements; il
pleut. A l'abri d’une caverne, nous grignotons du sucre, des gâteaux
secs, buvons un peu d’a1cool. Dix minutes après nous marchons a
toute vitesse. Nous avons de l’eau jusqu'aux’aux genoux, parfois
jusqu'à la ceinture .Nous courons presque. Tout à coup, levant la
tête, nous apercevons, très loin, très haut, un mince trait noir en
travers des lèvres de l’immense faille: la passerelle. Plus loin,
nous nous heurtons à la jonction, confluent des torrents d’Olhadibie
et d’Hyharca. L’eau y bouillonne brutalement. Nous grimpons sur les
pentes de la rive droite, raides, terreuses, pleines d’une
végétation touffue. Nous descendons à la corde. Et voici les eaux
glauques et profondes du " Trou du Noyé ", où périt jadis un
pêcheur. Il nous est possible de le " virer " par la rive gauche,
grâce à une escalade aventureuse.
Enfin, pour éprouver jusqu'au bout notre patience, le
torrent nous réserve la désagréable surprise d’un rapide. Dubosc, le
moins frileux de tous, s’enfonce résolument dans l’eau jusqu'aux
épaules, grimpe sur une terrasse qui nous domine, et nous lance de
là-haut une corde. Toujours pour éviter des baignades, nous le
suivons dans une caverne imposante à deux issues, qui lui rappelle
un sombre bivouac, et que nous traversons. Cet antre est baptisé "
la Cathédrale ". Nos voix y résonnent comme sous les voûtes de
Notre-Dame. Une demi-heure encore ou une heure, je ne sais, nous
pataugeons dans le torrent; et, sans transition, les parois géantes
s’abaissent, font place à une paisible forêt, à des champs
verdoyants. Les visions fantastiques s’évanouissent.
L’orage a cessé, le ciel s’est éclairci. Le sentier que nous
avons suivi ce matin est là sur notre droite. L’auto nous attend à
dix minutes de marche. Il est 20 heures 30. La nuit tombe. Parvenus
sur le sentier nous tournons la tête: derrière nous, un paisible
vallon déploie son relief tranquille.Rien ne permet de soupçonner,
dans ce paysage souriant, dans la paix de ces prairies et de ces
forêts silencieuses, 1'existence du prodigieux canyon
d’Holzarté-Olhadibie. Et nous croyons nous réveiller d'un sommeil
hanté de rêves étranges.
Après un dîner réconfortant au village de Licq-Athérey, nous
reprenons la route. Dubosc et moi nous relayons au volant de la
voiture, car un sommeil impérieux pèse sur nos paupières; le
ronflement du moteur a peine à couvrir ceux de Cazalet et de Mailly.
A 1 heure 30 du matin nous traversons les rues désertes de Pau.

Robert Ollivier
La Montagne
Juillet 1934



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