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Jean M. Ollivier | all galleries >> Galleries >> Climbing and skiing in Pyrenees in the '30s > Pic des Trois-Conseillers, Néouvielle et Ramougn
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Pic des Trois-Conseillers, Néouvielle et Ramougn

Premières ascensions connues :
Arête Est du Pic des Trois-Conseillers : Elie-Charles FAZEUILLES et Jean LABEDAN en 1936
Arête des Trois Conseillers, au Néouvielle : Hubert DURAND et Clément SARRAITZ LE 23 JUILLET 1873
Face Sud du Néouvielle : Elie-Charles FAZEUILLES et Christian RACHOU le 24 juillet 1937
Face Sud directe du Ramougn : J. DAYRAUT, H. DOUSSET, H. FERBOS le 5 août 1948

LE NEOUVIELLE par la face Est (Sud)


par Elie-Charles Fazeuilles, Bulletin Pyrénéen, section des Pyrénées Centrales, 8ème série, n° 1, p. 1. Janvier 1941.

Depuis trois ans, ils ont rivalisé de patience, d'endurance et d'inertie les deux auteurs de cette course, chacun attendant avec malice que l'autre se décide à coucher sur le papier quelques impressions de cette paroi.
Depuis, l'un d'eux a franchi le détroit de Magellan, survolé la Cordillère, remonté le Mississipi, s'est marié, est retourné bourlinguer dans la mer Caraïbe... pauvre marin !
L'autre, après avoir dignement mérité la Croix des braves sauveteurs en Montagne, a brillamment conquis son diplôme de docteur en médecine, gagné ses premiers galons dans l'armée, pour "bouler" finalement dans un régiment de tringlots... Pauvre "cul-rouge" (nom familier donné aux fantassins en souvenir des pantalons rouge garance qu'ils portaient avant la "dernière guerre" - ndlr).
La vallée de Chamonix, la Maurienne, la Tarentaise les ont souvent vus ensemble, le Kri-Kri (Christian Rachou) et le Fafa (Elie-Charles Fazeuilles) rivalisant de fond et de vitesse sur la neige poudreuse de l'Alpe hivernale. Mais ce jour de juillet, ils étaient "eux-mêmes", c'est à dire deux bons Pyrénéens qu'un heureux hasard de circonstances avait réunis sous la même tente, au bord du lac de Loustalat. Ils étaient là, vivant une vie paisible, mélange d'un farniente délicieusement méridional et d'une activité de Conquistadors. Ils étaient là, sans plan de campagne bien arrêté... il y avait tant de courses à faire autour de la tente !... et remettant au soleil levant le soin de décider de la journée.

Cependant le Fafa avait une idée derrière la tête. L'année précédente, en compagnie de son fidèle Julien, il avait remonté l'arête qui, du Pic des Trois Conseillers, descend directement sur le lac de Cap-de-Long (1). Cent fois de cette arête, il avait scruté, détaillé, fouillé la toute proche et toute belle paroi Est du Néouvielle [Sud en fait - ndlr]... la paroi Est du Néouvielle.. la paroi Est... Cette pensée ne cessa de le tourmenter jusqu'au jour J qui devait être le 24 juillet 1937... C'était écrit !
Après une nuit mouvementée où un sérieux coup de vent avec éclatement de tonnerre, dégringolant des crêtes de l'Estaragne leur sonna un énergique branle-bas de combat, les deux copains, mains aux poches, corde en bandoulière, s'en vont à pas lents, traversent le barrage de Cap-de-Long et attaquent la longue traversée de caillasse qui, de la base de la paroi convoitée, descend jusqu'au lac aux eaux sinistrement bleues. Dans la partie haute de ce pierrier, un névé trop redressé pour des hommes sans piolets oblige les deux camarades à descendre dans la rimaye, où ils tâtent enfin ce bon et fidèle granit cher à leur cœur. Ils sont maintenant à l'aplomb du sommet, mais la paroi de base ne veut pas se livrer. Ils cheminent entre neige et rocher tout au fond de ce boyau qui se rétrécit de plus en plus et finit par vomir les intrus au pied du grand couloir d'éboulis qui se termine là-haut à la brèche Trois-Conseillers-Néouvielle. De là s'envole magnifiquement l'arête Sud où tant de cœurs pyrénéens ont vibré... Elle est bien tentante ! Ah ! mais non, aujourd'hui pas de ça !
Oh la belle fissure ! Elle paraît engageante celle-là. Mais le départ ?
"Des nèfles !" avoue Krikri.
"Oui des nèfles", reprend l'autre.
Et cependant le Dieu pyrénéen est avec eux, car il leur montre une petite corniche large d'un pied qui court horizontalement et conduit le leader, après un sérieux travail de voirie, à mi-hauteur de la fissure. Reptations, coincements, rétablissements (attention au dernier !) et un joyeux hourrah engage le second à suivre.
Voici franchie la première marche de l'escalier titanesque.
Et qu'y a-t-il au-dessus de cette fissure ? Des fleurs ! Ah! ces Pyrénées !... des enchanteresses !
En bas c'étaient les rhododrendons, les asphodèles et les merveilleux iris comme on n'en voit nulle part ailleurs. Ici ce sont les renoncules et les anémones, de quoi attendrir les cœurs les plus endurcis.
- ll n'y a pas ça au pain de sucre du Soreiller !
- Tu as fait la Dibona, Fafa ?
- Je te la raconterai une autre fois. Filons.
- Oh ! que tu es pressé !
- Mon vieux Krikri, je n'aime pas moisir au pied d'une paroi.
J'ai encore le souvenir du bivouac qui termina la face ouest du Lézat en 1925 et celui de la face nord du Crabioule Occidental il y a deux ans.
- Mais aussi, des premières, ça se paye !
- Des premières... des premières... encore ! Tu me fais braire avec ce mot-là ! Laisse donc ces sentiments inférieurs et cette triste vanité à l'homme des plaines qui ne sait pas élever son cœur à la hauteur de la Montagne et ne voit dans celle-ci qu'un alpinodrome où il a l'occasion de se montrer supérieur à son frère. Le bon Montagnard aime la Montagne pour elle-même, éprouve presque autant de joie dans une défaite que dans une victoire, encore que ces deux mots ne devraient pas exister au-dessus de 2000 mètres. Il n'est pas jaloux de ses succès et ne se cache pas quand il prend la piste, corde et crampons dans le sac. La Montagne est, comme un bel amour, une fin et non un moyen.
- Fafa, tu es un sage.
- Filons, te dis-je.
Un petit pierrier de fins éboulis, retenus par quelques touffes d'herbe permet tout en marchant d'examiner la situation et de tracer du regard l'itinéraire. Il semble qu'on puisse passer un peu partout ; aussi une voie s'impose-t-elle : la direttissima.
Au début, de longues dalles peu inclinées et fissurées longitudinalement ne paraissent pas devoir constituer un sérieux obstacle. Mais là-haut, tout à fait là-haut, aux approches de 3000 mètres... hein !
Instinctivement l’œil se raccroche à une grande plaque blanche, brillant au soleil, qui se faufile à droite sur l'arête Néouvielle-Ramougn, et pourrait être, occasionnellement, une échappatoire.
Et les deux mouches continuent à grimper au mur. "Dieu qu'elles ont des pattes prenantes", s'écrirait un spectateur perché sur l'Estaragne.
La partie terminale est bien ce qui avait été prévu : un ensemble de contorsions et d'équilibres, de tractions et de poussées, de jeux de cirque. Aucun passage gréponesque ou dolomitique. Fi des degrés inférieurs ou supérieurs ; mais de la belle voltige, les dernières longueurs de corde simplement verticales et avec ça une de ces lignes fuyant vers le lac de Cap-de-Long... Oui, deux hommes viennent de monter par là !
Débouchant à l'aplomb de la tourelle sommitale, les deux amis sont dans une magnifique exaltation. Ils sentent leur âme comme si elle venait de descendre du ciel, envahie par un sentiment de suprême bonté procédant de l'optimisme de la jeunesse et de la sérénité du sage après l'accomplissement d'une bonne action. Sur cette cime, dignement conquise, la nature a ouvert pour eux son tabernacle. Dans le recueillement, l'adoration et l'amour infini, ils vivent cette vie supra-terrestre malheureusement inconnue de ceux d'en bas. Malheureusement aussi, ils ne peuvent emporter quelques parcelles de cette divine immatérialité, car ils sont "homme" malgré tout, et cette réflexion de Guido Rey revient à la pensée de l'un d'eux :
"Si les Alpinistes demeuraient dans la plaine, bons et purs comme ils le furent sur la cime en ce moment idéal, les hommes en les voyant revenir croiraient à une légion d'anges descendus du Ciel. Malheureusement, de retour chez eux, ils sont repris par leur faiblesse, retombent dans leurs fautes et préparent un article pour les périodiques alpins". F.

(1) Cette arête a été refaite depuis et classée alors comme « première », note Fazeuilles
Remarques de F. Jacqueminet :
L'article est signé F. ( Elie-Charles Fazeuilles "Fafa", c'est celui qui était marin ... à bord de l'aviso Béthune), son "fidèle Julien", c'est son compagnon de cordée Julien Labedan. L'article est d'ailleurs intitulé "face est du Néouvielle" alors qu'il s'agit de toute évidence d'une ascension de la face sud avec "Kri-kri" (= Christian Rachou, à priori c'est la voie directe qui est ici décrite) !


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