10-DEC-2006
La famille Raba est finalement arrivée jeudi 7 décembre au Kosovo. 5 ans plus tôt, Jusuf, sa femme Shpresa enceinte et Qirim leur fils âgé de 2 ans avaient dû payer 10 000 deutschemarks à un passeur pour être conduites en France. Jeudi un des policiers leur a dit que le vol affrété spécialement pour leur expulsion par le ministère de l’Intérieur avait coûté 160 000 euros au contribuable Français.
09-DEC-2006
Pendant le conflit du Kosovo, Jusuf a perdu sa maison, brûlée par les soldats de Milosevic. Après le bombardement de l’Otan et le retrait des forces de Belgrade, il raconte qu’il n’a pourtant pas souhaité participer aux vengeances contre les serbes. En représailles les extrémistes kosovars albanais s’en sont pris à sa femme, qu’il a dû défendre avant de s‘enfuir avec sa famille.
09-DEC-2006
Cette histoire et les risques que les époux Raba disent encourir au Kosovo n’a visiblement pas convaincu ou intéressé les autorités françaises : leurs demandes d'asile ont toutes été rejetées. Nés en France, Dashnor et Dashrujé sont comme Qirim allés à l’école à Gray (Haute-Saône). En juin, la famille Raba a tenté d'obtenir une régularisation dans le cadre de la circulaire Sarkozy, prévue pour les parents d'enfants scolarisés. Sans résultat. Le 16 novembre, la famille est arrêtée à son domicile, après un départ avorté le 2 décembre et malgré la forte mobilisation autour de leur cas, la famille est expulsée mercredi matin depuis l'aéroport de Toulouse-Blagnac.
11-DEC-2006
Bienvenue dans la merde
Dans l’avion qui les emmène au Kosovo, ils sont gardés par 10 policiers, 2 pour chacun des membres de la famille, même pour la petite Dashrujé âgée de 3 ans. La, Jusuf et Shpresa se résignent : « on peut pas crier tout le temps » et cherchent à rassurer leurs enfants. La détresse de la famille Raba est trop évidente ; « avec les policiers on a discuté, ils se sont excusés, gentils ils étaient, bien». Ils leur expliquent qu’ils ne font que leur boulot, qu’ils ne comprennent pas l’obstination de Sarko, qu’on peut être flic et avoir une âme, que ça leur crève le cœur... Ils prennent les gosses en photo avec leurs portables, leur laissent visiter la cabine de pilotage. Et quand l’avion atterrit à Pristina, policiers, pilotes et médecin de bord, sont émus aux larmes en les abandonnant sur le tarmac. Ils les embrassent et les encouragent à revenir en France pour une nouvelle demande d’asile.
Plus à l’aise, les policiers kosovars les réceptionnent à l’aéroport. Des retours forcés comme celui de la famille Raba ils en voient 4000 par an. La majorité d’entre eux concernent des Roms albanophones, les retours de Kosovars albanais ayant fuit leur communauté, car plus clairement menacés, sont par contre exceptionnels. On les prévient : « bienvenue dans la merde ». Ils prêchent des convaincus. Un policier leur demande pourquoi ils sont partis, Jusuf et Shpresa ne souhaitent surtout pas attirer l’attention sur eux, alors ils se taisent. Et comme ils n’ont nulle part où aller, ils retournent dans le bourg qu’ils avaient tout fait pour fuir en 2001.
10-DEC-2006
Ils vont d’abord frapper chez une ancienne voisine. Celle-ci les accueille, leur prête quelques affaires et accepte d’aller des courses pour eux avec l’argent qu’ils ont réussi à emmener au Kosovo : 150 euros pour se refaire une vie. Brouillés avec leurs parents, ils se résignent à louer une maison en construction qui sert de remise à un voisin parti à l’étranger. Un moineau va et vient par les trous du toit. L’aménagement est spartiate : un radiateur qui ne parvient pas à chauffer la pièce, deux matelas à même le sol, 3 couvertures et 4 sièges de voiture qui font office de salon.
09-DEC-2006
Et là, ils se cachent ; ils ont peur quand ils apprennent qu’un chauffeur de taxi a su où les trouver. Ils demandent que leur histoire ne soit surtout pas publiée dans la presse locale. Ils se méfient du voisin qui vient les saluer. Qirim se met à pleurer : il a cru comprendre que c’est cet homme qui avait fait du mal à sa mère. Le père craque a son tour. Si le degré de violence a fortement baissé ces dernières années, tous les mois des règlements de compte se soldent à la grenade. Ils n’ont pas encore osé sortir dans la rue : ils doivent d’abord se renseigner pour savoir ce que sont devenus leurs agresseurs.
11-DEC-2006
Shpresa et Jusuf sont surtout inquiets pour leurs enfants. Le froid a commencé à les faire tousser. Dashrujé est contente de voir autant ses parents, mais Dashnor et surtout Qirim comprennent trop bien ce qui leur arrive : ils décrivent la violence des expulsions, comment « les policiers avaient attaché les mains de maman et lui tiraient les cheveux». Les parents refusent encore l’idée de les emmener à l’école, ils ont peur qu’ils oublient le français, peur que quelqu’un ne leur fasse du mal. Ils veulent les ramener en France, quitte à se cacher cette fois.
14-DEC-2006
« Tout le monde a beaucoup couru pour nous »
Dans leurs valises ils n‘ont même pas pu prendre le minimum : leur vie est restée en France. Shpresa, son nom signifie « espoir » en albanais, ne lâche pas le téléphone. Toutes les demi-heures la sonnerie interrompt la conversation : messages de soutien, encouragements, promesses de dons. Ils pleurent quand ils évoquent cette mobilisation qui continue.
10-DEC-2006
Depuis 2001 leur histoire est surtout celle d’une solidarité de quartier exemplaire, d’une communauté qui s’organise autour d’un jeune couple courageux et de leurs trois gosses. Jusuf passait ses journées à « rendre service», il portait les courses, jardinait ou aidait à décharger le camion du resto du coin en échange de poissons surgelés ou de légumes. Leurs voisins, aux revenus modestes, avaient trouvé pour eux des meubles, un frigo, une télé, avaient contribué à l’achat d’une vieille AX pour aller faire les courses à Lidl, l’un d’eux avait même mis l’assurance de la voiture à son nom. On venait de leur offrir des habits chauds pour les enfants, comme tout le reste ils sont restés en France.
09-DEC-2006
Il y a 3 mois le dernier des 2 sœurs et des 5 frères de Jusuf obtenait le statut de réfugié. Les Raba attendaient leur tour, confiants : la France n’expulse pas les familles bien intégrés, les gens honnêtes, les enfants qui ne parlent que le français. Jusuf venait de recevoir une promesse d’embauche, ils ne leur manquaient que le titre de séjour. Et puis le 16 novembre leur monde s’effondre. Quand ils racontent cette expérience, dans un français difficile, demandant parfois à Qirim de traduire un mot, ils en parlent comme d’un mauvais rêve. Dans leurs voisinages tous les autres « ont gagné les papiers », alors pourquoi pas eux ? Pourquoi fallait-il qu’ils soient expulsés dans l’hiver kosovar ?
09-DEC-2006
Dans l’avion qui les emmenait a Pristina, Shpresa avait dit aux enfants que l’avion les déposerait à Gray, mais Qirim l’aîné a déchiffré à l’aéroport : bienvenue au Kosovo. « Tu es une menteuse maman » a-t-il pleuré. Elle a répondu qu’ils allaient en fait visiter la province, une semaine, promis. Enfermés dans leur remise, les enfants Raba se sont alors mis à compter les jours…