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Jours sans (Claude JAVEAU)

Jours sans
Claude JAVEAU
Mis en ligne le 21/09/2006
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Un jour sans bagnole, c'est du cosmétique. De celui qui consiste à se contenter d'images, sans que les puissants de ce monde mettent en oeuvre une véritable politique de sauvetage.
Chroniqueur
On vient d'avoir, à Bruxelles en tout cas, une journée sans voitures. Une journée, enfin de 9 à 19 heures. Et un dimanche, pour gêner le moins possible les cohortes d'obsédés du volant. Dès lundi, les embouteillages ont refleuri de plus belle, et les assassins en puissance ont recommencé à prendre ma belle avenue pour une succursale de Francorchamps. D'ailleurs, il y a quand même eu des voitures en chemin, ce dimanche. J'en ai vu passer beaucoup sous ma fenêtre uccloise. D'où mes trois hypothèses: (a) le nombre de dérogations - vingt-sept mille quand même! -, est plus élevé qu'on ne pourrait le croire, à moins qu'il en existe un trafic; (b) la police regarde ailleurs (question bagnoles, à Uccle, c'est la règle); (c) il y a des conducteurs qui ne sont pas au courant ou qui s'en tapent. Choisissez, ou faites faire un sondage, c'est à la mode, même si les résultats sont aussi fiables qu'une promesse électorale.
Les vélos, les tandems, les dadas, les planches à roulettes, les patins idem, les trottinettes, les chaussures de marche ont envahi la chaussée: c'est attendrissant, ces familles catho-gaucho-écolo humant ensemble l'air du large citadin débarrassé (pas tout à fait, mais on fait semblant d'y croire) des miasmes d'hydrocarbures. Ce soir, à la télé, on verra ces conquérants tout à fait occasionnels faire le signe de victoire. Pas de quoi inquiéter cependant M. Desmarest ou M. Ecclestone. Si le vélo était la petite reine, la bagnole est la grande impératrice. Un jour sans n'y changera rien. Quousque tandem? Il arrivera bien un moment où la dernière goutte de pétrole tombera du pistolet de la pompe. Mais on peut faire confiance aux bagnolâtres: ils auront trouvé autre chose pour continuer à inonder nos villes et nos campagnes, Chanel N°5 ou hydrogène.
Naguère encore, on avait des jours ou plutôt des journées «pour» quelque cause ou chose. La journée des femmes, la journée du sida, la journée de la liberté de la presse, etc. On a désormais ajouté les jours «sans», à l'exemple de celui sans voitures, précisément ou de celui sans tabac. Je trouverais intéressante l'idée de multiplier les jours de ce genre. Voici quelques-unes de mes suggestions: le jour sans spots publicitaires à la radio ou à la télévision (de quoi nous débarrasser une fois en passant de l'idée que nous sommes aussi cons que ceux qui les imaginent semblent le croire); le jour sans tondeuses à gazon; le jour sans télévision; le jour sans Rachmaninov sur Musique 3; le jour sans Big Mac; le jour sans crottes de chien; le jour sans Jean-Luc Fonck; le jour sans Joëlle; le jour sans Laurette; le jour sans Yves Leterme; le jour sans Serge Kubla (non, plusieurs jours); le jour sans Philippe; le jour sans Laurent; le jour sans Astrid; le jour sans Defossé; le jour sans Fogiel; le jour sans Bush; le jour sans Poutine; le jour sans Ben Laden (ou plutôt son dernier jour); le jour sans Justine (non, tous les jours), etc.
Je propose ici un nouveau jeu de société: trouver le plus possible de «jours sans». Très utile pour les repas mondains où l'on s'ennuie, du même genre que «Monsieur et Madame X ont un fils...». N'inventez pas le jour sans Javeau, je l'ai trouvé avant vous.
Je reviens à l'un de mes dadas, celui du dépistage du cosmétique dans tous, ou presque, les actes des décideurs, publics ou privés. On le voit à l'oeuvre dans les campagnes électorales, par exemple en France où Ségolène et le petit Nicolas font l'objet d'une intense pipolisation. Chez nous aussi, les grands de notre petit monde n'hésitent pas à nous ouvrir les portes de leur petit chez soi. On causera politique une autre fois, car il est bien dit, dans «La fille de Madame Angot», que causer politique c'est bien peu poétique.
Quand j'étais gamin, lors des courses aux électeurs, on ne trouvait sur les panneaux et ailleurs que des affichettes avec un numéro. De nos jours, les panneaux sont transformés en galeries de portraits. Le sourire triomphe partout, on parvient même à en faire naître sur des tronches dont on sait qu'elles sont d'habitude plutôt rébarbatives (pas de noms!). C'est là une des conquêtes de la cosmétique ambiante, et peut-être, en l'occurrence, de la cosmétologie.
Il en va de même des jours sans et des journées pour. Le mot d'ordre est, paraît-il, de conscientiser. A la télé, ces derniers jours, entre deux spots publicitaires pour des bagnoles de beaufs, on peut voir une petite fille avancer sur un sol aride et apparaître ce slogan, car c'en est un: «Chaque jour, dix-sept mille enfants meurent de faim». A vot'bon coeur, Messieurs-dames. Après la petite maigrichonne de Somalie ou d'ailleurs, les indomptables chevaux de la BMW. Le cosmétique consiste à se contenter d'images, sans que les puissants de ce monde mettent en oeuvre une véritable politique de sauvetage. Ce qui nécessiterait sans doute une partie des moyens réclamés pour organiser des Jeux olympiques. Tiens, une idée: si on donnait le fric de Francorchamps à des ONG humanitaires? Vous n'y pensez pas, et le prestige de la Wallonie, alors?
Un jour sans bagnole, c'est de la même eau cosmétique. Même ce jour-là, les pubs pour les 4X 4 continueront de polluer nos petits et grands écrans. Le lundi, tous au volant. Il ne faut jamais, disait ma bonne-maman, abuser des bonnes choses.
© La Libre Belgique 2006

http://www.lalibre.be/article.phtml?id=11&subid=118&art_id=307330


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