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Jean M. Ollivier | all galleries >> Galleries >> Climbing and skiing in Pyrenees in the '30s > François Cazalet dans la face Sud du Capéran de Tortes
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23 mai 1937 V. Claverie

François Cazalet dans la face Sud du Capéran de Tortes

Gourette - Pyrenees

Une première au Capéran de Tortes
LA FACE SUD (13 juin 1937)


- "Vous dites que les bergers voulaient le jeter bas ?
- Oui, c'est du moins une histoire qui court les cabanes. Les bergers, estimant néfaste pour leurs pâturages l'ombre projetée par le Capéran, auraient un jour décidé sa destruction.
- Rien que cela ?
- Riez ! mais vous verrez à la base du rocher des traces de démolition qui ne sauraient être confondues avec les blessures faites par les agents atmosphériques, et qui permettent d'ajouter quelque foi à ces racontars.
- Heureusement, le Capéran a résisté ! Sans quoi, mon cher Cazalet, vous ne monteriez pas aujourd'hui vers Tortes, aussi lourdement chargé.
- Non ! Et le Dr Lacq n'aurait pas eu l'occasion, voici vingt ans, de tenter et de réussir sa traversée en tyrolienne.
- Et le décorateur du Chalet aurait dû chercher un autre modèle... »
Ces propos s'échangent, en ce matin du 1er novembre 1936, entre les membres d'une caravane montant vers le Capéran de Tortes, que François Cazalet veut essayer de gravir par la face Sud, avec le concours de Robert Desbois.
A ce groupe actif se sont joints trois "philistins" friands du spectacle.
Le soleil boude ; tombée de la veille, la neige couvre la montagne d'une mince pellicule blanche ; les moufles sortent des sacs. Le sentier se fait plus raide, on souffle un peu et, nonobstant une présence féminine, le silence se fait dans les rangs de la caravane.
Un vent aigrelet l'accueille au col, d'où, par versant Est, elle se met en dix minutes à pied d'œuvre. Et, pendant que Cazalet et Desbois déroulent des mètres et des mètres de corde, que les mousquetons cliquètent, que tintinnabulent les pitons et étriers, les "philistins" choisissent leur place…

A la descente, j'ai pu interviewer chacun des héros de cette journée et, sans y rien ajouter ni changer, je livre leurs déclarations aux lecteurs d'Altitude.

Le spectateur
"Les préparatifs surtout m'ont intéressé : les acteurs semblaient empêtrés dans leurs cordes, pitons et autres ustensiles. La pièce elle-même m'a paru monotone : trop de scènes se ressemblant les unes les autres, et se déroulant trop lentement, à mon gré. Je n'ai jamais eu l'impression que le grimpeur pût être en danger, ni qu'il fît de gros efforts. C'est là, il est vrai, le propre des grands artistes, qui gardent le sourire, même dans les exercices les plus périlleux. Par contre, le "teneur de corde" semblait quelquefois en difficulté.
Mais j'ai beaucoup goûté les décors traités avec un grand souci d'exactitude ; et surtout cette échappée entre Capéran et Capéranet, sur le cône lointain et enneigé du Mondragon. Il y eut aussi des effets de lumière particulièrement réussis.
Il est regrettable que l'on n'ait pu chauffer les lieux, ni mettre des coussins à la disposition des spectateurs. Ces négligences furent la cause de l'évanouissement passager de ma voisine, qu'il fallut encorder pour regagner le col."

Le "teneur de corde"
"Cazalet s'était sanglé dans une large ceinture où brinqueballaient pitons, étriers et marteau. J'étais uni à lui par une corde double, et mon rôle était de l'aider dans ses efforts d'ascension et de le maintenir assuré pendant qu'il plantait le piton suivant. Les premiers mètres sont facilement parcourus en une traversée vers l'Est qui fait gagner l'arête Sud-Est. C'est alors que commence la manœuvre des pitons. Je dois tirer une corde en relâchant l'autre, alternativement. Je peine terriblement dans cet exercice ; la corde engagée dans un nombre de mousquetons de plus en plus grand, oppose une résistance croissante à mes efforts. Pour augmenter l'assurance, j'ai fait faire aux cordes un tour complet sur mes poignets et mes avant-bras. C'est un véritable garrot, arrêtant complètement la circulation du sang et ajoutant ses effets à ceux du froid. Je souffre horriblement et quand l'étreinte se desserre, l'afflux du sang est tel que je crois que ma main va éclater.
Une heure et demie de cet exercice m'a complètement éreinté. Souffrant du froid, lui aussi, et s'étant heurté à un passage verglacé, après avoir employé jusqu'au dernier piton, François Cazalet entame la descente, aussi lente que la montée, et aussi pénible pour l'un que pour l'autre.
Après cette tentative, terminée à 13h30, nous essayons de "coiffer" le Capéran par la face Nord, sans parvenir à lancer convenablement une corde. C'est la retraite, avec l'espoir de recommencer.
Le leader
J'ai souffert du froid ; j'ai par ailleurs éprouvé de la difficulté à planter certains pitons, dans ce rocher où les bonnes fissures sont rares et où les prises pour les pieds n'abondent pas. La partie la plus difficile du parcours est un surplomb, un peu plus haut. Il faudra emporter plus de pitons. On recommencera, et la prochaine fois….

Et cette "prochaine fois", c'est le 23 mai 1937.

Cazalet et son fidèle Desbois sont accompagnés par V. Claverie, opérateur photographe à l'occasion.
A 10 h 35 commence l'ascension, facilitée au début par les pitons de la première tentative. Mais, tout de suite la progression se ralentit sous le surplomb. Cazalet use de ses étriers, ce qui le repose et soulage d'autant Desbois, ferme comme une bite d'amarrage. La chanson des pitons se poursuit, en notes claires ou sourdes. Mais une grande plaque triangulaire gris clair inquiète Cazalet : tiendra-t-elle ? Et voilà qu'un piton cède. Le précédent supporte heureusement le choc, amorti par les cordes tendues à bloc.
Et toujours cette difficulté de faire coulisser les cordes ! Il y a déjà une heure et demie qu'on travaille. Ira-t-on jusqu'au bout cette fois ? Mais non ! voici le dernier mousqueton. Une fois de plus il faut abandonner.
Ainsi pour terminer la journée, les trois amis vont, de conserve, tenter le Capéran par le Nord. Desbois qui s'est sérieusement entraîné au maniement d'un lance pierre de son invention, réussit le lancer de la corde que Claverie fixe à la base de la paroi Sud.
Négligeant la tyrolienne, Cazalet monte directement de la brèche au sommet. Mais Desbois, empêtré dans toutes ces cordes qui s'emmêlent et s'enroulent, ne parvient pas à s'embarquer et abandonne; cependant que le leader descend la face Sud par un superbe rappel.

Mais voici venu le jour du troisième assaut : 13 juin 1937. Toujours flanqué de Desbois, dont il connaît la poigne, Cazalet s'est adjoint Pierre Peyroulet. Il monte rapidement grâce aux anciens pitons. De verticale qu'elle est sur le versant Arbaze, la ligne d'ascension revient en oblique sur le flanc Sud, vers un pan incliné, où le leader espère pouvoir se reposer un peu avant l'attaque du surplomb. En bas Peyroulet et Desbois se sont partagés la besogne : à chacun sa corde. Là-haut le pitonnage devient difficile. Cazalet ne trouve ni prise, ni fissure convenable. Il est sur une sorte de dalle inclinée. Il éprouve dans chaque déplacement une grande difficulté à tirer sur les cordes engagées dans vingt mousquetons.
C'est alors qu'il fait monter Peyroulet. Assuré d'en haut, le second rejoint son camarade en moins de demi-heure, enlevant au passage les pitons les moins réfractaires. Du point d'arrêt où ils sont accrochés, ils examinent le chemin à parcourir et sentent venir la victoire. Peyroulet passe le surplomb sur sa droite, monte par une fissure, étroite tout d'abord, et qui va s'élargissant en même temps que son inclinaison diminue. Encore 4 ou 5 mètres dans l'herbe et les rocher, et c'est le sommet. Cazalet suit. Il est 15 heures. La voie du Capéran par le Sud est ouverte.
Mais Desbois veut aussi sa victoire. Aidé par les vainqueurs du Sud, il pose une tyrolienne impeccable. Et en route vers ses amis qui l'aident à débarquer. Congratulations, huchements*, rien ne manque avant la descente en rappel par le Sud.
"C'est ma "première" la plus dure", déclare Cazalet.
En effet, il n'avait pas fallu moins de neuf heures et demie d'escalade, en trois tentatives, pour vaincre les 35 mètres du Capéran de Tortes.
Peyroulet avait le sourire.

D'après Robert Desbois, dans Altitude n° 16, printemps 1949.

* Huchements : appels de berger


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