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18 Avril 1973 jmo

Vignemale vu du sommet du Balaïtous

Balaïtous - Pyrenees

Une "virée" extraordinaire.

«Vignemale», «Balaïtous», «Ossau»
par Tony SARTHOU
Deux heures du matin ; je suis éveillé avant que le réveil ne
sonne, à croire que lorsque l'on décide fermement de se lever pour
entreprendre quelque chose sortant de l'ordinaire, il n'est pas néces-
saire d'avoir des instruments artificiels pour vous y faire penser.
Lorsque je sors du refuge de Bayssellance, le ciel, fleuri d'étoiles au-
dessus du refuge, se fanne légèrement vers le glacier d'Ossoue et le
Vignemale ; ce qui me donne quelques inquiétudes, non pas celles de
ne pas trouver l'itinéraire de la voie normale du Vignemale mais
pour la suite de ma journée. Car si je me suis levé si tôt ce n'est
pas, bien sûr, pour aller simplement fouler le plus haut sommet du
Parc national, j'ai aujourd'hui une autre ambition : celle de par-
courir dans la journée les trois sommets qui font la splendeur de
nos Pyrénées occidentales : le Vignemale, le Balaïtous et l'Ossau.
Dure entreprise certes, mais non pas impossible surtout pour un
garde-moniteur du Parc national qui, justement, doit prouver ce
qu'il est capable de faire tant du point de vue connaissance de son
«biotope» que du point de vue endurance. Je sais malgré tout que
nous sommes bien loin d'atteindre les valeurs de certains bergers et
guides d'autrefois et plus tard de certains grands Pyrénéistes qui
n'hésitaient pas eux à parcourir des dizaines et des dizaines de kilo-
mètres dans la montagne sans que cela soit pour autant un exploit.
Aujourd'hui, nos montagnes sont quadrillées de routes et pour bon
nombre de montagnards et grimpeurs elles ne suffisent pas encore
à leurs désirs : il faut atteindre le sommet au plus vite, à croire
qu'ils mettent tout leur plaisir non pas dans l'accomplissement mais
dans le but de leur promenade. Pour ma part, le plaisir se trouve
également réparti en ces deux aspects et c'est pourquoi je suis ainsi
seul à marcher dans la nuit à la recherche des grandes marches du
passé. Je ne peux pas dire à l'instant que c'est beau car tout est noir
autour de moi, seul le faisceau de ma lampe trace mon cheminement.
Mais malgré tout, ce départ nocturne au cœur d'une nature intacte
et dégarnie de tout artifice a quelque chose d'impressionnant et
d'indescriptible tendant vers une beauté invisible.
La température positive et le glacier encore recouvert de son
manteau neigeux de l'hiver dernier ne suscitent pas l'emploi des
crampons.
Je louvoie entre quelques crevasses qui commencent à s'ouvrir
tout en m'élevant vers le plateau du glacier d'Ossoue. A son niveau,
une brume légère mais agaçante me pose quelques pièges et c'est en
divagant de droite à gauche que je retrouve l'entonnoir du couloir
de Gaube. Dès lors la direction m'est toute tracée et lorsque à qua-
tre heures, j'atteins le sommet du Vignemale, la nuit brumeuse m'en-
veloppe toujours. Jamais je n'avais atteint ce sommet si tôt. Quel-
ques gorgées de thé encore tiède sont très appréciées avant de
reprendre ma route, route des crêtes puisque je me dirige vers le
sommet du Clôt de la Hount que j'atteins bien rapidement. J'entre-
prends la descente de son arête ouest et c'est avec difficulté, par
manque de visibilité, que j'essaie de reconnaître la sortie du couloir
Ledormeur. Les toutes premières lueurs du jour apparaissent à l'est
mais un brouillard léger persiste et m'empêche de distinguer correc-
tement l'issue du couloir. Je trouve donc plus raisonnable d'attendre
un instant sa dissipation et, perché sur un éperon rocheux tel un
chocard, je savoure le lever du jour et les incertitudes de l'évolution
du temps. Fort heureusement, alors que je n'ai pas terminé de mettre
mes crampons, la bise matinale chasse les brumes et dévoile le cou-
loir. Ce n'est pas le couloir Ledormeur mais une de ses branches
supérieures dans laquelle je m'engage avec certaines précautions car
son départ me paraît bien raide. La neige, d'inégale dureté, ne me
permet pas de cramponner correctement. Peu à peu l'inclinaison du
couloir régresse et bientôt c'est d'un pas normal que je le descends.
Au pied du couloir un nouveau petit arrêt s'impose, et pour ôter les
crampons et pour grignoter quelques friandises. Je contemple avec
un brin de fierté ma descente car tout montagnard détient une espèce
de vanité, vanité qui reste en principe dans le fond de lui-même.
Dès lors, je me sens libéré de toute difficulté sur mon parcours,
et c'est en courant et glissant sur une neige molle que bien rapide-
ment et sans fatigue je me trouve au fond de la vallée du rio Ara. La
remontée sur le col d'Aratille s'effectue sans perdre de temps si ce
n'est le passage d'une harde d'isards traversant la pente est du pic
d'Aratille en se dirigeant sur Bramaturo, m'occasionnant ainsi une
petite halte à mi-chemin du col. Evidemment, je me sens bien ridi-
cule vis-à-vis d'eux, qui n'arrêtent pas de galoper ainsi. Je profite tou-
jours de la neige pour descendre sur le lac d'Aratille. Le soleil gagne
du terrain sur la paroi de la grande Fâche et c'est en lui lançant un
défi, celui d'arriver avant lui au refuge du Marcadau, que j'occupe
mon esprit durant cette descente. Vaincu, j'arrive au refuge baigné
de lumière. Après un arrêt d'une demi-heure, je reprends le chemin,
celui du col de la Fâche, étape sans nul doute la plus pénible, car
c'est en plein soleil qu'il me faut remonter jusqu'au col. Toujours à
la même cadence, je m'élève, retrouve la zone nivale sur laquelle des
groupes de moutons viennent chercher la fraîcheur et au bout de
deux heures de marche continue, je suis au col de la Fâche. Vais-je
faire la Fâche ou non, telle est la question qui me préoccupe lors de
mon passage au col ; mais déjà je suis sur le versant espagnol car
un regard furtif à l'ouest me signale que l'Ossau n'est pas tout à fait
à mes pieds.
Et tout d'abord le Balaïtous. J'admire tout en glissant dans la
vallée de Campo Piano et attiré par les lacs argentés de Piedrafitta,
la majestueuse masse de granit que forme le massif du Balaïtous.
Malgré son aspect lourd, il s'étale élégamment par ses multiples
arêtes jusqu'au fond des vallées. La neige a disparu et c'est par une
zone herbeuse parsemée de myriades de renoncules des Pyrénées que
je traverse du col de la Fâche au col de la Peyre-Saint-Martin. Un
petit ruisseau, filant à partir de ce dernier sur les lacs espagnols,
déverse une eau trop pure pour ne pas s'y arrêter. Tout est pur et
silencieux autour de moi et cette solitude volontairement recherchée
de ma part correspond parfaitement à l'état d'esprit que je venais
chercher ici. Ce que je suis en train de faire n'est pas une course
contre la montre et chaque instant, chaque pas posé l'un devant
l'autre est apprécié et pensé à sa juste valeur. Mon esprit, loin de se
soucier de l'itinéraire à prendre, vagabonde et fait émerger de l'oubli
d'innombrables pensées. Le chemin se trace de lui-même et par
moments je suis surpris de me retrouver si près du point de repère
que je m'étais fixé. Ainsi, je me trouve dans le cirque sud du Balaï-
tous où un tour d'horizon rapide de ses crêtes et murailles m'im-
pressionne : les crêtes du diable déchiquetées et cramoisies par le
soleil alors au zénith, l'arête de Costérillou, d'allure plus souple mais
non moins fière de son échine robuste, les Frondellas, puissante bar-
rière paraissant de cet endroit la plus haute des crêtes et la moins
vulnérable. Mais au centre de ces deux dernières, le fronton sud du
sommet me surprend tant par sa hauteur que par sa verticalité. Pour-
tant, c'était bien par cette muraille que mon itinéraire passait. Mais
trop surpris et la voyant avec les yeux de quelqu'un qui vient de faire
le Vignemale, je laisse parler ma raison et m'engage beaucoup plus
sagement en direction de la Brèche Latour. Elle est atteinte sans dif-
ficulté et je rejoins alors le sommet tout en suivant au maximum
le fil de l'arête. Sommet du Balaïtous, «calotte calcaire montée
en piédestal sur un socle granitique» accueillant chaque année de
nombreuses personnes qui ne manquent pas de laisser des traces
de leur passage. Si autrefois les cordées laissaient leurs impressions
et souvenirs dans un petit carnet abrité des intempéries dans une
boîte de zinc, aujourd'hui leur présence ne se manifeste plus que
par des détritus de tous genres qu'il serait trop long d'énumérer.
El c'est regrettable, car nous n'avons aucun plaisir à rester sur les
sommets de nos montagnes renommées. Je suis cependant satisfait
d'être là à treize heures car pour moi l'Ossau n'est plus très loin
et j'ai largement le temps d'y fouler sa cime. La descente du Balaïtous
par l'arête Packe-Russel n'offre pas de difficulté et je la préfère
à la grande diagonale. Sur la première il semble que nous possédons
Ia montagne tandis que sur la seconde nous sommes possédés. Des
langues de neige et névés dispersés me permettent de glisser en
ramasse jusqu'aux lacs d'Ariel.
La remontée de ces lacs au col d'Arrémoulit est reconnue de
tous les Pyrénéistes comme ingrate lors du retour du sommet du
Balaïtous. Pour ma part, toujours à la même cadence, je l'avale sans
trop de lourdeur dans les jambes, et qui plus est, elle s'agrémente de
l'évolution dans le ciel de deux vautours fauves ; mon admiration
pour ces immenses planeurs m'ordonnerait de m'arrêter pour mieux
les contempler mais la volonté de réussir cette journée ne me le
permet pas. Bien vite les vautours disparaissent dans le cirque de
Batcrabère à la recherche de quelque charogne de moutons tandis
que j'amorce, du côté opposé, la descente sur le refuge d'Arrémoulit.
Bien qu'il soit jeune, le gardien est semblable à son refuge. Tous deux
sont d'une autre époque, une époque où les refuges en montagne
n'étaient pas des entreprises commerciales. Je m'octroie un bon
moment de repos et bavarde longuement avec ce gardien qui ne
manque pas de m'étonner par ses conceptions de gardiennage.
Mais il est temps d'en finir, et le sac au dos, je repars armé
de nouvelles énergies. Un faux pas dans le passage d'Orteig me fait
quelque peu trébucher et me recommande la prudence. La descente
du val d'Arrius, à mon grand étonnement, se révèle l'épreuve la plus
pénible. Pas un souffle d'air et les pieds enflés s'échauffent dans les
chaussures. J'arrive au Caillou de Soques tout « transpirant et souf-
freteux » des pieds. Un nouvel arrêt s'impose au bord du gave du
Brousset, d'une part pour relaxer les membres qui doivent supporter
un dénivelé de douze cents mètres, d'autre part pour bien me res-
taurer. Le soleil disparaît peu à peu derrière le Moustardé, ce qui me
permet de repartir en direction du col de Suzon par une fraîcheur
toute relative. Et je marche et m'élève sans aucune peine ni fatigue,
si bien qu'une heure après mon dernier arrêt, je suis la crête du col
de Suzon et m'engage dans la première cheminée de l'Ossau où je
laisse mon sac à son pied. Dès lors c'est avec des forces nouvelles,
des forces de réserve que je découvre en moi tout au long de l'ascen-
sion de l'Ossau, que j'arpente cette voie normale. Certes, je souffle,
et les gens que je croise dans la troisième cheminée doivent bien se
demander quel est cet individu anormal en train de monter à cette
heure si tardive. Mais qu'importe leurs réflexions, car je me sens
tellement dans l'euphorie de ma victoire que je me surprends même,
un instant, à courir quelque peu sur le rein de Pombie.
A 19 h 30, je foule le sommet de l'Ossau mais n'y reste pas et
préfère à celui-ci le sommet de la pointe de France où là. je prends
tout le temps nécessaire à savourer ma petite victoire.
Le Vignemale se cache dans les brumes bleutées de la nuit, le
Balaïtous montre encore son échine puissante au jour, l'Ossau s'enve-
loppe des bruits crépusculaire de la vie pastorale.
Nous sommes le 29 juillet 1971, une journée bien emplie pour
célébrer le vingtième anniversaire de la mort de mon père *.
Bedous, le 14 mai 1972.

* Le père de Tony est décédé au pilier sud des Ecrins.

Revue Pyrénéenne - CAF - n°31-Septembre 1972


other sizes: small medium original auto
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Guest 13-May-2009 00:01
I'd love to remember how to write in French to express exactly how the image and your accompanying words make me feel... thank you!
Daniel Wickwire20-Oct-2005 03:08
I wish I could read your narative. This is a very nice and dramatic image!! Daniel.