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22 Janvier 1964 jmo

Profil de la paroi du Doigt de Pombie en hiver

Ossau - Pyrenees

PREMIERE ASCENSION HIVERNALE DU DOIGT DE POMBIE

Le récit personnel de l'époque…assorti de quelques remarques contemporaines.

Qui parlait d'épopées et de riches heures ?…
Le beau temps tient toujours, une équipe de cloportes n'arrive à rien, et dimanche prochain il fera peut-être mauvais, les "autres" y seront peut-être, Jean-Pierre (un gros copain lourdaud) m'embarrassera peut-être aussi.
Autant de peut-être qui peuvent se transformer en certitudes au fil des jours. Je dois y aller en semaine, seul s'il le faut. Je me fais cependant quelques illusions sur l'état de la face. Vue d'en bas elle a l'air presque sèche. Cette estimation approximative est-elle suffisante pour être assuré d'un succès certain ? Qu'est-ce qui a fait reculer les "autres" ?
Tant et si bien que dès le lundi (qui a suivi une reconnaissance dominicale), je m'enfiévrais avec ce projet. Mais avec qui aller ? Car en semaine je ne connais personne de libre. Et tout seul quand même….
Le Doigt me hante, me hante.
Par un hasard extraordinaire, lundi après-midi, alors que j'allais chercher ma mobylette en réparation, à pied, je tombe sur Michel Podevin, Boulevard d'Alsace à Pau. Lui aussi est hanté par le projet et il m'en fait part. Il serait possible d'organiser quelque chose pour mercredi prochain, à la condition qu'on lui accorde la permission et que l'on dispose d'un véhicule. Etudiant à la fac, je peux me permettre de sauter quelques cours. Qui le saura, et que peuvent bien valoir ces balivernes obscures en face d'une "première" ? Y aller en moto ? Hum…. Avec le matos, problème… Nous pensons tout de suite à notre ami Pierre Coquerez (de vingt ans notre aîné), et bon comme il est nous n'envisageons pas une seconde un refus, seulement un empêchement professionnel quelconque (il est architecte).
Finalement le soir, chez lui (à deux pas de chez moi), nous nous mettons tous d'accord. Nous n'attendons plus que la permission du père de Michel, permission qui sera accordée fort heureusement le lendemain. Ouf ! (En réalité cette permission fut tout un poème, mais c'est une autre histoire).
Le matériel est vérifié, nous prévoyons même un petit fanion SCA (SestoClub d'Arudy) à mettre au sommet du Doigt ! (voir la photo). Tout baigne, ça paraît même trop bien. Oui, trop bien. Quelque chose devrait foirer. On a un peu l'habitude, car, déjà, la vie de la "plaine" nous accapare avec tous ses aléas merdiques…….
Le baromètre et la météo sont excellents, l'équipement parfait (nous n'étions pas exigeants de ce côté-là dans les années 60), les traces sont faites jusqu'au pied du Doigt lors de ma visite de dimanche, nous avons le transport assuré, la face doit être sèche (pensez-vous ! elle est à l'est). Et alors ?…

Mercredi 4 heures moins le quart. Ponctuel Pierre vient me chercher. Nous bondissons chez Michel qui est prêt. La nuit est noire et étoilée. La vieille 2CV de Pierre, 150000 km, hocquette bien un peu de temps en temps, souffle, sent l'ozone et l'huile brûlée, mais enfin elle nous propulse ma foi assez allègrement pour son âge. Les villages endormis sont traversés de manière fantaisiste par Nounours (Pierre) et sans ralentir. Une crainte obscure me tenaille. Toujours comme ça avant une course sérieuse que l'on décide de réaliser quoiqu'il en soit. Le lever à 3h1/2 fut pénible et j'en ai encore la bouche pâteuse - très alpin tout ça !

A 6h moins le quart nous sommes à Socques, glacial. Michel, gelé, se rend compte de ce que pourrait être un bivouac avec cette température et ce vent effrayant de froidure.
A 6h1/4 départ à fond et adieu aux frontales à Pierre. Ca y est nous sommes seuls dans le noir. Et l'Ossau est tout là-bas, au loin. Si loin. Il n'y a pas trois jours je maudissais ces pentes à monter et à descendre, et m'y revoilà. Que faudra-t-il pour me guérir ?
En traversant le torrent, un pied part dans l'eau à cause du verglas. Sans mal ni humidité, heureusement. Et la montée s'effectue, rapide, très rapide. Une gorgée d'eau à la sortie du bois, l'entrée du Val de Pombie, un peu de jus de raisin offert par Michel, seule boisson de la journée, et ça repart de plus belle.

Vers 7 heures une faible lueur à l'Orient annonce l'approche d'un jour radieux. Un peu plus tard le ciel rosit, d'un rose rouge immatériel. Magie de la naissance d'un jour nouveau. Le silence est poignant, et Michel me le fait remarquer. Vers 8 heures le ciel devient plus lumineux et le rose disparaît de l'Orient. A 8h1/4 nous sommes au refuge de Pombie. Deux heures pour venir de Socques, c'est bien. D'autant plus que Michel s'est tordu la patte déjà foulée au ski, et que nous avons été obligés de tracer, les vieilles traces ayant été recouvertes par le vent. Ce qui nous a contrariés, car nous comptions sur elles pour gagner du temps.
Quelques minutes d'arrêt à Pombie, un peu de boisson, et de nouveau au sprint vers notre Doigt de Pombie. Lorsque nous arrivons au pied de la paroi, vers 9h, le soleil commence à nous effleurer. Du refuge j'ai vu beaucoup de neige dans les parois qui entourent le Doigt. Et maintenant du pied, tout paraît sec et la brèche du Doigt semble à portée de la main. Oh la la que c'est trompeur !
Nous mangeons un peu, entamons largement notre boisson et nous préparons à l'escalade. Nous n'amenons qu'un piolet et une paire de crampons. Le reste est laissé ici à l'abri, car des chutes de pierre nous ont faits bondir pendant que nous mangions. Je me félicite d'avoir amené un casque et Michel commence à regretter de n'en n'avoir point voulu.
Encordement à 60 mètres sur double corde. Ceci ne laisse pas de me donner des inquiétudes quant aux nœuds. Nous n'en aurons pas trop. Je traverse le névé d'attaque, raide, et aborde le rocher. Il fait soleil, il fait bon, chaud même avec l'équipement. Les moindres replats sont ourlés de neige poudreuse, beaucoup plus abondante que ce que l'on pouvait estimer d'en bas. Je me rassure en pensant que plus haut ça ira mieux. L'espoir soutient et encourage, heureusement. Premier relais sur bec. Michel traverse le névé avec son piolet et le laisse à la base de la paroi. Il démarre assez lentement et trouve déjà le terrain retord. Il s'y fera. Dès le deuxième relais, sur piton, je meurs de chaleur, et, en enlevant l'anorak je manque de perdre les gants et d'autres affaires. Michel rattrape habilement le tout. Ouf !!!
A ce niveau de l'escalade, environ 100 mètres au-dessus de l'attaque on ne peut plus continuer tout droit, il faut virer à gauche. Et là se pose un problème. Une possibilité existe entre une dalle plus ou moins verglacée et très déclive, présentant sans doute une escalade très délicate, ou bien passer sur un gros bourrelet de neige pulvérulente au sommet de la dalle, sous un surplomb qui coiffe le tout. Un espace étroit existe entre le surplomb et la neige. J'hésite un moment, car la technique n'est pas évidente, et la solidité de l'édifice non plus ! Mais comme le franchissement de la dalle se révèle quasi-impossible je m'engage avec prudence dans la poudreuse légère en dégageant une sorte de tunnel. Le travail n'est pas pénible. On se sent à l'abri, le vide est invisible, on progresse couché sur le dos. Un vrai farniente ! On y dormirait ! Avec ce passage, le plus étonnant et le plus atypique que j'aie jamais franchi, le moral grimpe en flèche et sont oubliées les incertitudes du début de course provoquées par les difficultés rencontrées, à froid pourrions-nous dire. Je continue, l'esprit plus léger en alternant neige et rocher jusqu'au prochain relais. La corde tire énormément à cause d'innombrables frottements. Le halage des cordes au relais est un vrai travail de marin. Plus bas Michel souffre les horreurs dans le boyau de neige, car c'est lui qui porte le sac !. Il est obligé d'effectuer des manœuvres délicates, en traversée et donc mal assuré. Lentement il arrive, et au dernier rétablissement esquisse un dévissage. Mais il est tenu de prés. Il préfère grimper directement à la corde, ce qu'il fera régulièrement à partir de maintenant. Au-dessus je parviens à une grande plaque de neige très raide et sans consistance. Je progresse lentement, en assurant chaque pas rendu pénible par la traction de la corde. Je suis obligé de tirer comme un âne. De temps en temps je place un piton, car je crains que tout s'en aille, la neige et les bonshommes. Ah ! Vieux copain de piolet !
Petit à petit grignotant mètre après mètre nous nous approchons du Doigt. La difficulté décroît un peu, mais la neige et la glace se font plus abondantes. Nous arrivons ainsi, déblayant, tassant, ramant comme des bêtes dans ce monde incertain, sous le dernier surplomb avant la brèche qui sépare le Doigt du reste de la paroi Est. Je suis venu par là il y a des années, en été, et Michel se souvient de la dalle à droite qui permet d'éviter le surplomb. Escalade délicate avec nos grosses chaussures et nos doigts gelés. Mais finalement tout va bien hormis quelques hésitations au sommet de la dalle recouvert de neige qui cache les prises. En équilibre sur un pied je suis obligé de creuser littéralement cette neige pour trouver une prise fiable. Impossible de placer des protections. Une traversée audacieuse à gauche, avec Michel en perspective au loin entre mes jambes, me permet d'atteindre un bon bec de rocher qui me permet d'assurer la cordée. Michel me rejoint, et, à ses dires, en bave un peu, mais reste optimiste.
La brèche a l'air maintenant à portée de main. Mais le Doigt se défend encore. Des cascades de neige, des rétablissements douteux, en équilibre rendu précaire par la longue double corde qui fait office d'ancre flottante (les marins comprendront !). Un long couloir neigeux parvient enfin directement à la brèche, alternance de poudreuse et de glace. Un dernier rétablissement , à bout de corde et à la limite des forces me donne à contempler un horizon nouveau que le col me cachait, illuminé du dernier soleil. Le froid est vif maintenant, mais le vent est absent. Nous grimpons vaille que vaille sur l'aiguille, clic-claquons quelques photos, mangeons un brin (quelle faim nous avons, nous en défaillons presque), mais le pain prend sa liberté et dévale le versant sud du Doigt – tant pis pour lui pensons-nous ! Et nous alors ?
Je grimpe sur l'extrémité du Doigt, quasiment sur ce que l'on pourrait appeler l'ongle, et place là-haut le fanion SCA après avoir pris la photo style "Annapurna, premier 8000" ! (Il n'y avait que 14 ans que l'Annapurna avait été gravi, mais cela nous paraissait à notre jeune âge être à des siècles de distance, et était pour nous un vaste sujet de plaisanteries.).
Néanmoins quel sentiment de victoire ! D'autres s'y étaient essayés (pas les meilleurs, loin s'en faut) et n'avaient point réussi. Mais cette douce et inconsciente euphorie est de courte durée car il se fait tard et il reste la descente. Le froid devient pénétrant, les gants sitôt enlevés se solidifient, et le reste de jus de raisin est retrouvé gelé dans le sac. Ca ne s'appelle pas une hivernale pour rien.
Pour la descente j'avais imaginé une stratégie, qui devrait maintenant je pense, s'avérer payante. C'est pour cette raison que nous étions montés sur double corde à soixante mètres, chose très peu courante à cette époque (et même aujourd'hui, on dépasse rarement 45/50 mètres). Economie du poids d'une corde sur le dos à la montée, réduction du nombre des relais. Reste plus qu'à appliquer la technique et faire confiance au plan adopté. Un piton, un anneau de corde, et les cordes correctement lovées avec le nœud placé au bon endroit et lancées dans la pente glissent facilement sur la neige qui nous a tant gênés à la montée. Nous glissons promptement 60 mètres durant, et c'est long 60 mètres (note : la corde passe directement sur le pantalon et derrière le cou, les descendeurs n'existaient pas à cette époque. Nous savions en bricoler avec une paire de mousquetons, mais cela avait l'inconvénient de torsader les cordes, et on n'avait pas besoin de ça au Doigt de Pombie, avec la nuit qui approchait à grands pas). Je pars le premier. Sitôt arrivé à bout de corde je place un piton, me vache, y vache Michel dès qu'il arrive et rappelle les cordes. C'est musculaire comme activité ! On n'ose penser à ce qui se passerait si elles venaient à se coincer, probabilité augmentée par le nœud qui unit les deux cordes. Quel soulagement lorsque nous l'apercevons ce nœud ! Heureusement la couverture neigeuse masque les aspérités et les cordes viendront chaque fois docilement. Le pitonnage est facile (quand je pense que nous n'en mettions qu'un seul ! – certains y ont perdu la vie). Quelques relais sont inconfortables, surtout le dernier où nous sommes littéralement pendus au piton. Et enfin voilà le névé de base, la rimaye que je saute, toujours accroché à la corde de rappel. A partir de maintenant les cordes peuvent se coincer. Mais elles viennent toujours sans problème.
A peine réunis au sommet de la très raide pente de neige qui rejoint la rimaye, des sifflements suivis d'explosions se font entendre au-dessus de nous et se rapprochent dangereusement. Pierres !! Dans l'obscurité maintenant tombée, impossible de parer au danger. La peur nous noue les tripes. Le convoi de projectiles vient s'écraser à quelques mètres de nous, côté Suzon.
Puis tout redevient calme. Nous nous sentons bien fragiles dans cet univers hostile.
Nous avions laissé des affaires ce matin, au-dessus de la rimaye, entre neige et rocher. Mais ni l'un ni l'autre n'a envie de déambuler dans l'obscurité sur une pente raide comme la justice, sous la menace des chutes de pierre. Un instant nous pensons les abandonner pour venir les chercher en des temps meilleurs. Je trouve que c'est une mauvaise idée, aussi je commence à chausser les crampons pendant que Michel entame la descente avec le piolet. De mon côté je me bats avec une lanière de crampon vernissée de glace que je n'arrive pas à accrocher et je m'énerve dessus. Faim et soif perturbent la lucidité. Tant et si bien que l'un de mes gants file sur la pente, et qu'un peu plus tard un crampon le suit. Oh la la ! Reprenons-nous ! Clopinant avec un seul crampon je rattrape le sac de montagne prêt à partir lui aussi, et lentement, prudemment, avec un marteau-piolet et sans crampon (le dernier a déchaussé) j'arrive à la rimaye et récupère le matériel dont le second piolet quelques mètres plus haut. Je me sens mieux avec cet engin, et sitôt la rimaye à nouveau à la descente, je dévale la pente de plus en plus vite, allant même en ramasse. Loin dessous j'aperçois le minuscule lumignon de Michel, clignotant faiblement, petite étoile sur la neige. La lune s'est levée et baigne de lumière les mamelons de Pombie si doux au regard, contrastant fortement avec la masse noire de l'Ossau, terriblement hostile et menaçante. Par acquit de conscience je cherche quand même les objets qui ont pris la poudre d'escampette tout à l'heure et retrouve sans trop de mal le crampon, puis le gant. Grande satisfaction qui se traduit en clameurs destinées à avertir Michel qui a rejoint la Grande Raillère. Le gant est raide comme du bois, et, l'ayant enfilé, je ne peux même pas fermer ma main sur le manche du piolet, un vrai carcan.
Michel a rejoint le lac de Pombie. Je suis sa trace qui zigzague en tous sens et nous nous retrouvons au bord d'un trou creusé dans la glace. Nous buvons à nous geler les tripes, et que c'est bon ! (je me demande quel goût aurait l'eau du lac de Pombie de nos jours …).
Et maintenant, au galop ! Vers Socques. Il est tard et depuis longtemps nous pensons à Pierre qui devait nous attendre à partir de 18 heures. Sera-t-il parti ? Dans le fond de nous-même nous pensons que non. Quelle panique ce serait. Et vogue la galère sous les étendues de lune, puis le bois. Ca se rapproche. Michel se laisse distancer. Au sortir du bois j'aperçois une lumière à Socques ! Hurrah ! Hurlements de joie, renvoyés par l'écho, réponse de Pierre. Il est toujours là, le brave vieux Pierre (pensez donc il a 40 ans !) et il est 10 heures du soir !
Mais Michel n'arrive pas. Je l'appelle. Rien. Posant le sac je retourne au galop à l'endroit du chemin barré d'une souche et là, je vois des traces fraîches qui partent dans le bois à 90 degrés des miennes, l'autre chemin pour arriver à Socques. Quand j'arrive en bas, Michel est déjà là. Bon, pas la peine de râler .. Pierre prend le sac pour le dernier raidillon qui monte à Socques, et un bon jus de raisin devant un feu pétillant clôt cette journée qui pourrait compter comme années pour certains…
A notre arrivée à Pau, Michel, au bord de la syncope, arrive à formuler péniblement que dans l'hypothèse (fort improbable !) où la plus belle fille du monde se trouverait dans son lit, il ne la verrait même pas ! ….
Oui, et moi je sais que demain, la fac, à nouveau….

J. Ollivier, Janvier 1964









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