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7 Octobre 1934 Ph. Maïté Cabanne

Herbert Wild (Jacques Deprat) sur le Pene Sarrieres

Sarrières - Pyrenees

Voici ce que R. Ollivier (au second plan sur la photo) écrivit aprés le décès accidentel de H. Wild à Ansabère le 7 mars 1935, sur cet homme remarquable, au caractère vraiment trempé, grand scientifique, écrivain, artiste et pyrénéiste passionné. Grand ami de mon père aussi, auquel il transmit, au fil des courses qu'ils firent ensemble, un peu de ses vastes connaissances géologiques, dont je pus à mon tour bénéficier.(Autre image de HW à http://www.pbase.com/jmollivier/image/25977195 )

Herbert Wild aux Pyrénées

A la suite de l'accident mortel survenu au mois de mars dernier dans le massif d'Ansabère, des articles assez nombreux ont révélé au public la vie d'Herbert Wild, ses qualités scientifiques exceptionnelles, sa carrière mouvementée de géologue, ses nombreux voyages, enfin sa valeur littéraire que tout le monde, maintenant se plaît à reconnaître. Tous les textes ont parlé de sa passion pour la montagne. Mais il appartient à un de ses camarades de cordée, de décrire ici plus en détail le pyrénéiste passionné qu'il était devenu, durant les dernières années de sa vie, après avoir planté sa tente et traîné ses souliers dans la plupart des massifs montagneux de la terre. Le charme infini des Pyrénées avait opéré une conquête de plus, et non des moindres, et, pour avoir dépensé chez nous, durant quelques saisons à peine, un peu de cette énergie inépuisable qui le caractérisait, Herbert Wild laissera, dans la mémoire des montagnards qui eurent la chance. de l'approcher et de l'apprécier, le souvenir sympathique d'une personnalité puissamment originale.

Comme de Chausenques, Charles Packes, Ledormeur et tant d'autres, Wild, étranger à la région, se sentit conquis dès son premier contact avec les Pyrénées : « Voici comment je les vis pour la première fois... » écrit-il dans la préface du livre, demeuré inachevé, qu'il rêvait de leur consacrer. Il venait de Bordeaux, avait traversé les landes monotones, et, tout à coup, de la portière du chemin de fer, avait vu se dresser à l'horizon une haute muraille finement dentelée, des cimes neigeuses et fières. Il s'attendait à trouver des montagnes usées, arrondies, sans caractère. Il voit surgir des pics étincelants, parés de couleurs splendides, comme il n'en avait jamais vues nulle part. Dès son arrivée il se met en campagne. Il ne s'arrêtera que le jour où ces montagnes tant aimées exigeront de lui jusqu'à sa vie elle-même.

Durant sa brève carrière pyrénéiste, il visita tous les massifs de la chaîne, depuis la vallée d'Aspe jusqu'au Mont Routch. Il rencontra là-haut un compagnon de sa trempe, Henri Duboscq, qui joua souvent auprès de lui le rôle salutaire d'un modérateur, car, en dépit de ses nombreux voyages et de sa vaste expérience, Wild avait gardé un enthousiasme étonnant et ne doutait de rien. A eux deux, dont les âges additionnés dépassaient un siècle, mais dont les facultés physiques et morales demeuraient merveilleusement jeunes, ils explorèrent minutieusement bien des régions peu visitées, s'écartant sans vergogne des chemins battus, s'aventurant sur des crêtes inconnues et difficiles, ne s'embarrassant jamais d'un «guide Soubiron» ou autre pour trouver une voie d'ascension ou de descente, et cela, à n'importe quelle saison de l'année. Dans le nombre invraisemblable de leurs expéditions, on peut en citer deux ou trois, à titre d'exemple. En juillet 1933, ils partent à pied de La Raillère (1.149 m.) à 16 h. 30, gagnent le refuge Wallon et, vers minuit, passent au clair de lune le Port du Marcadau. Ils descendent en Espagne. Le petit jour les surprend sur la cime du Pic d'Algas (3.045 m.) De là ils gagnent le Pic d'Arualas (3.060 m.), puis, perdant plus de 700 mètres d'altitude, vers les lacs d'Enfer, remontent à la Brèche Sarrette, d'où ils gravissent le Pic d'Enfer (3.081 m.). Ils redescendent à La Raillère dans la soirée et finalement à Pau en automobile : vingt-cinq heures de marche, plus de 3.300 mètres de dénivellation. Ne jugeant pas sa journée suffisamment remplie, Wild veut développer immédiatement ses clichés photographiques. Il s'endort sur son travail.

Au cours de l'hiver 1932-1933, ils font à ski le tour du Pallas, se heurtent à quelques difficultés au col de la Lie, gravissent le couloir ouest de la Brèche de Latour et errent dans les solitudes rarement troublées à pareille époque, de Darré-Spumous et de Campo-Plano. Durant le même hiver, ils tentent les Posets et échouent. Ils y retournent au printemps de l'année suivante. Surpris par le brouillard aux environs de Port d'Aygues-Tortes, inquiets d'entendre sur leur gauche le tonnerre ininterrompu des avalanches, ils vont trop à droite, s'égarent et passent la nuit sur une crête déchiquetée, aux abords du Petit-Batchimale. Le lendemain, Wild, débordant d'enthousiasme, assiste, de là-haut, à un lever de soleil féérique. Il ne gardera, du pénible bivouac, que cet unique et splendide souvenir. Et ces souvenirs-là, même gagnés à ce prix, Wild et Duboscq ne les comptaient déjà plus.

Des montagnards aussi ardents ne pouvaient que s'entendre à merveille avec notre jeune génération de grimpeurs. Et ils nous suivirent souvent, sans handicaper nos cordées, bien au contraire, sur les murailles abruptes et les rudes arêtes, où nous cherchons la difficulté à vaincre et les perspectives sauvages d'une nature indomptée. En tombant au Pic des Trois Rois, Wild nous a privés d'un de nos meilleurs compagnons de cordée. Doué d'un cran formidable, d'une souplesse extraordinaire pour son âge, il fut toujours pour nous le compagnon résolu que tout montagnard rêve d'avoir à ses côtés. Que de parois, que de crêtes fouettées par le vent, me rappelleront, quand je repasserai près d'elles mon malheureux ami : Les Coutchets. l'arête de Costérillou, les Crêtes des Salenques et des Tempêtes, la Muraille ouest du Pic Lézat, l'arête sud du Pic Maudit, l'arête Crabioules-Lézat et tant d'autres encore. La face nord de l'Ossau, le Petit Pic, la face nord du Pénemédaa, l'arête des Trois Conseillers étaient, pour Wild, des terrains d'entraînement où il revenait chaque année. Ils me font rire, ceux qui ont prétendu, lorsqu'il est tombé victime de son idéal, « qu'il était trop vieux pour faire de la montagne ». Personne ne l'avait vu mieux que moi, sur des passages extrêmement difficiles et scabreux. Il s'en tirait avec plus de désinvolture que la plupart des jeunes gens, Peut-être pouvait-on lui reprocher sa distraction dans certains endroits douteux, sans difficultés réelles, mais sans sécurité non plus; il était toujours en quête d'une observation quelconque, d'une belle photo à prendre, ou bien il s'exclamait un peu hors de propos sur la beauté du paysage, quand il aurait mieux valu prendre garde au terrain. Jamais, toutefois, je n'ai surpris ces défauts au cours d'une escalade vraiment sérieuse.

Compagnon infatigable, qui ne connaissait - ou ne laissait voir - aucune défaillance ni physique, ni morale, Wild était au refuge, ou au campement, le plus charmant des camarades. D'abord un enthousiasme débordant comme le sien était toujours le bienvenu dans les expéditions longues et rudes, durant les marches exténuantes, sous une lourde charge, à travers un sol inhospitalier. Le pyrénéisme ne comporte pas seulement la lutte contre des parois verticales, mais aussi dans les courses de plusieurs jours aux lointains massifs, la recherche du gîte, du coin où on pourra planter sa tente à l'abri des tornades, et qu'il faut atteindre avant la nuit, le transport de la nourriture et du matériel de couchage, c'est-à-dire de sacs lourds, qui, le soir, vous laissent anéantis et peu sensibles à la beauté d'un coucher de soleil. Avec Wild, je n'ai jamais connu l'âpreté de ces découragements. L'ardeur du vétéran soutenait, par son seul exemple, la foi du jeune montagnard. Et lorsque le mauvais temps nous immobilisait sous la tente, ou que, la course terminée de bonne heure, nous goûtions au campement un bienheureux repos, il évoquait, sans jamais nous lasser, les souvenirs de ses campagnes lointaines en Indochine. Parfois aussi, sans un soupçon de pédanterie, il nous apprenait à lire, dans les stries calcaires des parois, dans la structure des arêtes croulantes ou des pics en ruine, l'histoire géologique des Pyrénées. Son âme de poète, empreinte d'une sorte de mysticisme scientifique, donnait à cette histoire l'ampleur d'une épopée. D'ailleurs, son enthousiasme, en face des spectacles sublimes de la montagne, avait quelque chose de tellement contagieux, que je n'ai jamais mieux goûté qu'auprès de lui la beauté des sites pyrénéens. Il me manque quelqu'un, maintenant, pour les apprécier comme autrefois.

La saison d'été approche. De nouveau, sur les sentiers familiers, les souliers ferrés marqueront leurs empreintes, les piolets tinteront contre les pierres. Nous retrouverons la lumière éclatante de la Haute-Montagne, les parois fauves, les glaciers bleus. Mais, dans nos cordées, une place restera vide : celle d'un petit homme aux gestes vifs, au front énergique, au regard clair, un regard plein de rêve devant lequel avaient défilé les horizons les plus beaux du monde, et dont la dernière vision devaient être les solitudes glacées d'Ansabère.

ROBERT OLLIVIER

Bulletin Pyrénéen, vol. 206, avril-mai-juin 1935, pp.63-65.

Sur les circonstances de l'accident qui a entraîné sa mort, extraits du récit de Jean Ritter dans Pyrénées n° 174, 1993 :

L'OMBRE DU DESTIN - 7 MARS 1935
Le doux silence de la montagne d'hiver pèse à peine sur le paysage.
Les deux amis s'introduisent dans la solitude blanche où toute vie sem-
ble engloutie sous neige.
Partis dans la nuit de Pau, à trois heures du matin, ils ont laissé leur
voiture, une Chenard et Walker, à cinq heures, au-delà du village de Les-
cun, en vallée d'Aspe.
En ce 7 mars 1935, une sortie ordinaire pour Henri Duboscq et Herbert
Wild. Ces courses hivernales sont un jeu auquel tous deux se livrent réguliè-
rement depuis le début de l'hiver. Ils en aiment le sel, la fatigue et l'envi-
ronnement de lumineuse froidure.
Henri Duboscq, c'est Monseigneur, un homme mûr qui a ses moments
d'extravagance. Le costume pourpre, la bague d'améthyste au doigt lui
seyaient bizarrement lorsqu'il s'attira ce surnom en se présentant devant
ses camarades de course. En Béam, les sobriquets font plus d'usage que
les noms de baptême. Gazé à Salonique, sur le front d'Orient, pendant la
grande guerre, il vit avec 70 000 francs de rentes, fermage de ses propriétés
plantées en pins, près de Labrit dans les Landes, et ne s'en cache pas. Rude
et direct, il tente de gravir, depuis l'Anie jusqu'au Mont Rouch en Ariège,
tous les sommets cités par le "guide Ledormeur", paru en 1928, le plus
souvent en solitaire.
Sa villa de Pau et son automobile, celle-là même qui les attend dans
le cirque de Lescun, lui assurent une vie matérielle sans souci. Généreux
et gai, c'est un compagnon agréable qui écoute son ami sans oublier, dans
ses réparties, la malicieuse ironie du Béarnais. D'autres savent à leurs dépens
que cette ironie peut devenir cinglante devant l'hésitation et le manque
d'audace.
Herbert Wild a peu d'argent mais beaucoup de connaissances. Ses compa-
gnons de course tiennent pour un savant cet homme de petite taille aux
allures ascétiques, qui aborde tant de sujets différents avec la même aisance,
que cela soit la philosophie, l'Orient, la photographie, la cuisine, les cham-
pignons ; oui, ses compagnons mettent sur le même plan la philosophie et
les champignons ! N'est-ce pas sagesse ? Et suivant leur expression, il connaît
les minéraux et les plantes aussi bien que les champignons. Certains disent
qu'il est géologue, mais aussi qu'il écrit des romans. Ils l'ont naturellement
surnommé, mais pourquoi ce sobriquet de Cristobal ? Peut-être parce qu'il
est sonore et imposant.
Ne serait-il pas venu en Béarn, il y a quelques années, pour écrire un
livre sur les Pyrénées ? Réservé et même secret, il s'exprime volontiers quand
il est en confiance.
D'un naturel digne, Henri Duboscq écoute avec un peu d'ébahissement
et d'admiration cet ami sûr dont le caractère autoritaire et entier n'a pas
de prise tranchante sur sa philosophie. Il partage avec lui la pureté des sen-
timents et l'horreur des compromissions.
De taille moyenne mais trapue, ce pyrénéiste possède comme tous les
solitaires en montagne, une conscience précise de ses limites et porte une
estimation prudente sur celles de son ami.
. . . . .
Ce Wild, certains le jugent inconscient de la réalité du danger et dénué de ce
sixième sens qui les retient inexplicablement dans certaines situations.
Pas plus l'un que l'autre ils ne se lassent de l'ivresse des paysages de
nos monts. A leur contemplation, Wild met plus d'exubérance et Duboscq
plus de fantaisie à froid. Ce dernier avoue n'entrevoir le bonheur qu'ici en
haute montagne. Pour tous deux, loin de se présenter comme une évasion,
cette présence, proche et lointaine des Pyrénées, est un élément essentiel
de l'existence.
La vie avance ainsi pour eux, marquée par ces sorties quasi hebdoma-
daires. Aujourd'hui tout va basculer sous le Pic d'Ansabère.
Ils viennent de franchir le col de Pétragème et contournent au sud la
grande aiguille et le Pic par le versant aragonais vers lequel s'avance une
nervure secondaire du Pic de Pétragème.
Le froid est vif mais la neige est molle sous le soleil. Le spectacle des
monts apparaît grandiose depuis la crête accidentée du pic. La neige souli-
gne à peine les grands traits des aiguilles grises d'Ansabère.
. .. . .
Tous deux abordent la crête où la neige se retire par endroit et Wild s'étourdit
dans la contemplation. Les crêtes ouvertes ici, là recourbées derrière la mon-
tagne se déplient vers le Mouscate et la Table des Trois Rois, devant la masse
des contreforts lointains du pic d'Anie et leurs tons fondus, tout de grisé
et de neige. Sur la gauche une ligne de fuite s'évade vers les lointains suc-
cessifs de l'Aragon.
. . . . .
Les deux Palois doivent suivre cette crête qui tombe d'abord sur un escar-
pement avant de s'abaisser en terrain plus facile.
Il est treize heures. Les dimensions trompeuses du cirque de Lescun les
ont retardés sur leurs prévisions. Leur programme prévoit de parcourir un
circuit autour de la Table des Trois Rois et de franchir le col d'Anaye pour
aboutir au refuge de Laberouat.
Plus bas le terrain leur semble compliqué et la tentation se présente de
couper au plus court pour gagner du temps. Est-ce elle qui l'emporte ? Entraî-
nés par leur geste ils décident de tenter une descente immédiate sur cette
neige dure du versant nord dont ils découvrent la portance sans peut-être
en apprécier le gel et la compacité à leur juste valeur. Pourquoi braver depuis
ces hauts l'obstacle d'un ressaut ? Force est de convenir qu'une nécessité
intérieure prend parfois le dessus sur l'appréciation rationnelle du geste à
accomplir.
Ils ajustent les courroies de cuir de crampons à six pointes glissés sous
leurs semelles cloutées. Au moyen d'une cordelette retenue à la taille, us
disposent leurs planches à la traîne. En laissant flotter sur le névé leurs deux
skis assemblés et en mordant des pieds sur la neige dure, ils essayent de
descendre avec l'aide des piolets qu'ils tentent de ficher dans le sol. La compli-
cité avec le matériel leur est familière.
La barre rocheuse leur interdit le passage avec sa dénivellation brutale
mais ils s'obstinent à trouver un passage praticable.
Duboscq par sa position domine. Son compagnon se présente plus bas,
en tirailleur. Cette situation éloigne Wild du champ de son regard mais il
l'entend s'extasier encore devant l'harmonie du paysage. Il lui a même sem-
blé qu'il sautillait ou trépignait de joie. Monseigneur est habitué aux élans
d'enthousiasme de Cristobal. Ne l'a-t-il pas entendu plusieurs fois entonner
des airs de la Walkyrie devant ces sites sauvages et fantomatiques que les
Pyrénées cachent dans leurs sanctuaires les plus reculés ?
Puis une exclamation :
— Ça y est j'ai trouvé un passage !
Une longue pratique de son ami justifierait un examen direct de la solu-
tion entrevue. Le temps ne lui en est pas donné. Il perçoit d'abord un faible
bruit insolite sur la neige avant de tourner la tête intrigué et d'apercevoir
Wild dévaler la pente comme un paquet fou sur la surface glacée, sans un
mot, sans un geste.
Tout va très vite. Wild dégringole sur l'emmarchement, apparemment
sans mal, et se retrouve sur la neige. Cette surface sur laquelle l'infortuné
glisse avec une facilité grisante et effrayante, sans aucune prise pour ses
gants de laine, aucun appui pour le geste, comme un esquif qui accélère
sans fin, n'en finit pas de se dérouler, là où il n'y avait que blancheur indis-
tincte un instant auparavant.
Là-bas une pointe rocheuse émerge du névé. Impuissant à esquisser un
geste, Wild vient au passage se briser la colonne vertébrale sur elle, la dépasse
et se précipite au-delà du champ visuel de son compagnon frappé de stupeur.
Celui-ci réalisera, après l'événement, que la pente de départ sur laquelle
Wild a trébuché n'était pas excessive mais il supposera que dans un mouve-
ment incontrôlé du pied, il a accroché une pointe de crampon dans le bas
du pantalon de l'autre jambe.
Son ami met trois longs quarts d'heure pour contourner la barre et le
rejoindre. Wild est paquet paralysé. Il a 55 ans. Mince et de petite taille,
il est de poids léger.
Le soleil baisse sur l'horizon et se voile. Le temps devient vite sinistre,
d'un blanc sale, et le froid très vif.
Duboscq le porte avant de se résoudre à confectionner un traîneau avec
la corde et les skis. C'est alors que Wild reprend conscience. Duboscq tire
ou retient le fardeau avec un des brins. Tout d'abord incapable d'articuler,
Wild, bien arrimé par son ami, récupère la parole en chemin :
- Je m'excuse de vous imposer cette corvée, je n'en vaux pas la peine.
Dans un passage difficile, Duboscq fait un faux pas à son tour, et la longe
improvisée échappe à ses mains engourdies. L'esquif va heurter un rocher.
Wild meurt après ce deuxième choc.
. . . . .
Chassant ses doutes pour agir, il [Dubosq] porte et traîne Wild encore souple et
chaud, jusqu'à neuf heures. Il fait très froid. Une cabane de berger, opportu-
nément située sur son passage, offre un abri pour soustraire le corps à la
vigilance des vautours. A bout de force, il poursuit seul dans la nuit glaciale,
perd son chemin et se retrouve à Isaba en Navarre, douze heures plus tard.
La garde civile de Navarre n'ayant pas compétence lui intime l'ordre d'aller
se présenter aux autorités voisines. Sans ménagement, mais effrayés par
son état de fatigue, les représentants de l'ordre le font cependant accompa-
gner par des villageois, jusqu’à Anso, en Aragon, province du drame.
Anso lui accorde une aide touchante, totale et unanime pour ramener
le corps, abandonné dans la cabane, à 17 kilomètres de là.
. . . ..
Prévenu par télégramme, Bernard Bernis rassemble chez lui les volon-
taires. Cet homme de cœur plein d'humour et de tact a toujours le bon mot
pour ramener la situation à ses justes proportions. Ses angoisses en monta-
gne sont un sujet de dérision à ses propres yeux, mais ses camarades, en
connaissance de cause, n'oublient jamais ce bon camarade. Il vivra long-
temps chaleureux et n'oubliant rien de leur amitié. Trois d'entre eux
s'avouent disponibles, Jean Santé accompagné d'un de ses amis, Maurice
Lecomte, et Albert Tachot, pour accourir à Anso afin d'assister Duboscq et
de procéder aux obsèques de celui qui avait demandé, en cas d'accident,
à être enterré près de la montagne.
Ils parviennent à Anso sur une route rendue difficile par l'hiver, via le
Somport et Jaca.
Les autorités espagnoles sont redoutées. Des rumeurs d'arrestation et
de détention circulent dans le petit monde des refuges et des sommets pour
qui la frontière est factice. L'aventure se termine cependant toujours bien.
Henri Duboscq, acteur et témoin du drame est retenu par les carabi-
niers. A leur arrivée, le premier mouvement des trois Palois est tourné vers
le réconfort et la prise des événements en main.
Le rôle d'Albert Tachot, chirurgien, ami personnel de Wild, se hisse tout
de suite au premier plan. Les autorités exigent une autopsie pour vérifier
les déclarations de Duboscq et le médecin aragonais demande à son confrère
de l'assister.
Sous le porche sonore de l'église, le corps est étendu sur un tréteau.
Le menuisier prête une scie pour ouvrir la calotte crânienne. Les enfants
attentifs et médusés sont maintenus à distance, courte étant donné les lieux.
Quelques hommes se tiennent derrière eux, espérant être utiles. Des fem-
mes se montrent, l'œil rapide, sans oser s'attarder. Il ne manque que le
pinceau d'un Goya.
Les deux médecins coupent ensuite la cage thoracique sur les côtés avec
des sécateurs, pour soulever le couvercle scapulaire. Les causes de la mort
dûment élucidées, Duboscq peut être libéré.
. . . ..
La nouvelle du drame est lancée dans la presse locale, tant à Pau qu'à
Moulins, la petite patrie de Madame Wild. Il est plus inattendu que plusieurs
journaux à diffusion nationale consacrent à l'écrivain des entrefilets signés
par l'amitié. Henri Pourrai écrira dans Les Nouvelles Littéraires à propos
des circonstances du drame : "Cela ne semble-t-il pas dessiné d'une main
surnaturelle pour achever de donner à cette vie son chiffre parfait ?"


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