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Jean M. Ollivier | all galleries >> Climbing in Sixties >> 1960 > Hervé en 1960 à l'issue du premier "rafting" du gave de Pau entre Lourdes et Bétharram
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14-AOUT-1960 jmo

Hervé en 1960 à l'issue du premier "rafting" du gave de Pau entre Lourdes et Bétharram

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L'appareil photo a survécu aux nombreux dessalages !
Mais ce fut la seule photo de l'expédition, retrouvée
par miracle en 2018.

Récit

Cette année nous avons l’intention de nous initier à la descente en rivière sportive. Une idée comme ça, que j’ai eue. Avec un objectif clair et bien défini : descendre la gave de Pau sur 40 km, depuis Lourdes jusqu’à Pau. Notre matériel de navigation est des plus sommaires : un tout petit canot pneumatique d’un mètre et 20 cm, tout juste deux places en se serrant : le Flibustier, emprunté incognito à mon père. Mais nous avons confiance.
Il a déjà ses lettres de noblesse ce Flibustier. En simple toile imperméabilisée et au fragile plancher renforcé par de minces lattes de bois il a déjà battu pavillon dans bien des lacs et des mers : l’océan Atlantique, l’étang de Hossegor, le grand lac d’Orédon, la mer Méditerranée avec les Calanques de Marseille et Cassis où cet été, en juillet, nous avons parcouru des km à la rame. Le tout sans revêtir le moindre gilet gonflable, faisant une confiance aveugle en cet esquif de misère. La folie était déjà là. Et la chance aussi. Donc, descendre une rivière ma semblait une simple formalité touristique, propre à nous faire décompresser après les évènements de l’Ossau, et nous changer les idées en faisant autre chose que l’escalade.
Naïfs et pleins de candeur nous prenons le Flibustier tel qu’il est, en le renforçant seulement de deux bouées rondes afin de relever l’avant. Rien pour protéger le plancher, rien pour empêcher l’eau de rentrer à l’intérieur (pensez, ces misérables vaguelettes de la rivière comparées aux vagues puissantes de l’Océan !). Il est vrai qu’avec notre expérience de vieux loups de mer… et même de marins d’eau douce…
De surcroît, ne les connaissant pas, nous minimisions les difficultés inhérentes à la navigation dans une rivière, un gave dans le cas présent. Nous étions persuadés que nous filerions allegro sur un gave, rapide, certes, mais relativement peu accidenté, croyions-nous. Aïe… le suite nous démontra que non.
Le 14 août au matin nous quittons Pau par le train de 9h11. A Lourdes nous marchons, matériel sur le dos (même mon vieil appareil photo, un Zeiss Ikon des années 1930 à la carrière déjà longue était du voyage) pour sortir de la ville et trouver un endroit propice pour embarquer. Il est 10h30. le temps est couvert, il ne fait pas chaud (inversion classique du temps d’été à la mi-août). L’onde s’écoule calmement avec un léger clapotis, entraînant de vieux bouquets de fleurs jetés par les pèlerins de Lourdes [ou plutôt par le service de voirie négligent !]
Tout le monde s’entasse dans le frêle esquif : les deux navigateurs et leur gros sac entre leurs jambes repliées et leurs pagaies. Le gros sac contenant des affaires de rechange, la nourriture et le précieux appareil photo. Quelle erreur ai-je écrit alors… [sans doute d’amener un appareil photo].
Ça flotte ! Les premières centaines de mètres se passent bien, tout est conforme à mes prévisions optimistes. Nous nous voyons déjà aborder fièrement les rivages de Pau. Mais déjà une première digue nous oblige à crapahuter dans les ronces pour la contourner. Il y en aura bien d’autres.
Dans un premier temps nous estimons que nous avançons trop lentement et que si ça continue nous allons être obligés de bivouaquer (une obsession d’alpiniste mal équipé). Mais la rivière nous rappelle à son bon souvenir de rivière sportive. Le courant s’accélère, devient rapide, prend des coudes violents difficiles à négocier, le tout accompagné de vagues énormes et écumeuses qui envahissent l’embarcation et l’alourdissent, avec pour effet de nous déposer sur les rochers qui affleurent en plein milieu des courants rapides. Le plancher en lattes de bois d’opérette souffre. Il nous faut vider l’eau pour continuer. L’opération se répètera plusieurs fois.
Plus loin la rivière se rue dans une descente tumultueuse, provoquant des vagues dynamiques de deux mètres de haut et se succédant à un rythme accéléré pour buter sur un virage affreux. Nous perdons tout contrôle, tournons en rond au gré des courants et contre-courants et sommes projetés à toute vitesse parmi les cailloux de la rive. Bon … clac… clac… Nous vidons l’eau une nouvelle fois, en profitons pour améliorer l’emmitoufflage de l’appareil photo, seul bien précieux et inutile en notre possession (zéro photo prise durant le voyage sur l’eau). La suite des rapides est évité par les terres afin de ré-embarquer dans une zone plus calme. Il y a encore des vagues qui remplissent le bateau, mais nous renonçons désormais à le vider… à quoi bon. Et nous fonçons, à tel point que ça en devient grisant, jusqu’au moment où nous enquillons un rapide étroit et tumultueux et en quelques secondes dévalons plusieurs centaines de mètres de rivière à travers coudes, rapides jusqu’à une nouvelle digue. Nous en profitons pour dévorer la nourriture qui a échappé à l’inondation, hormis le pain devenu une éponge informe et immangeable et repartons par la terre à la recherche d’un nouveau point d’embarquement.
Le gave fait alors un large coude vers la gauche, nous obligeant à des manœuvres précipitées pour pouvoir rester au milieu du courant, là où il y a suffisamment d’eau pour naviguer et éviter de nous échouer sur les bancs de sable. Nous repartons au fil de l’eau, le courant s’accélère bientôt et nous sommes comme aspirés par lui et nous perdons tout contrôle. Nous traversons de grandes vagues, cahotons de droite à gauche, manquons être éjectés du petit pneumatique à nouveau rempli d’eau, plongeons sous la surface, entraînés que nous sommes par les remous. A force de pagayer frénétiquement nous arrivons enfin à redresser la situation. Nous pensons être sortis d’affaire et avoir fièrement passé le plus dur.
Nous passons en fanfare le pont de Saint-Pé dans une gerbe d’écume et en manquant nous écraser sur la rive rocheuse. Le pont est couvert de gens que nous estimons être les spectateurs de nos exploits. Il n’aurait plus manqué que nous chavirions à cet endroit stratégique et que des secours soient organisés pour venir à notre secours. La honte ! Mais la charité humaine étant ce qu’elle est nous ne risquions pas grand chose. Finalement le pont est dépassé en toute sérénité et le courant nous emporte vers un nouvel épisode de nos aventures sur le gave.
Ce qui ne saurait tarder, car les rapides se succèdent à un rythme effréné. Nous sommes obligés de faire toutes sortes de manœuvres épuisantes pour rester dans le fil du courant et ne pas nous retrouver à califourchon sur une pierre à fleur d’eau en train de pivoter comme un ludion fou, avec le risque non négligeable de nous retourner… et de nous noyer. Cela est néanmoins survenu à plusieurs reprise et les rochers ont fini par déchirer le fond de l’embarcation et ont brisé les lattes de bois. Par bonheur le boudin de toile n’a pas été crevé.
Cela devient sérieux maintenant. Le gave s’encaisse dans un défilé rocheux et devient « mauvais ». Plus c’est étroit et plus ça file. Aucun moyen d’aborder, encore moins de nous arrêter. Situation irréversible.
Pourtant les berges sont très riantes en nous approchant de Bétharram. Ces paysages bucoliques ne nous sont néanmoins d’aucun secours lorsque le torrent furieux butant sur un obstacle nous précipite à toute volée sur la vague colossale et virevoltante créée par le changement d’orientation du courant. Le Flibustier se transforme quelques instants en sous-marin et nous ne voyons tout d’un coup que la couleur verte de l’eau du gave. Il se met sur la tranche et manque de se retourner sur nous. Hervé et moi avons le même réflexe salvateur et arrivons à rétablir la situation. Nous n’avons pas perdu le précieux sac, c’est le principal. Quant à nos vies nous n’avons guère le loisir de nous y attarder car le flot rapide ne ralentit pas et nous expédie sur une rive caillouteuse sur laquelle nous nous échouons. Cet abordage s’est effectué sans que nous le désirions.
Nous repartons sur une rivière un peu assagie jusqu’au pont de Bétharram, bien fourni en spectateurs à l’instar du pont de Saint-Pé. Trempés, dégoulinants nous continuons à faire les fiers, pendant que les voyeurs bien au sec attendent avec une concupiscence replète que cette embarcation improbable chavire dans les remous avec ses occupants. Fort heureusement pour nous il n’en est rien et nous continuons à foncer vers de nouvelles aventures.
Et en effet, peu avoir dépassé les panneaux indiquant les Grottes de Bétharram, le courant nous dirige inexorablement et à corps perdu vers une petite cascade, petite pour le gave, gigantesque pour notre équipage. Entre temps les remous autour d’un gros bloc nous écartent violemment de la bonne trajectoire qu’on a un mal fou à récupérer au prix d’efforts éreintants, mais qui porte ses fruits car nous abordons et négocions la cascade correctement, c’est à dire sans nous retourner ni perdre nos affaires. Pendant ce temps des gens nous prennent en photo depuis la rive. Et ce n’est pas fini. Le courant nous entraîne vers un creux tourbillonnant dans lequel nous plongeons d’un côté corps et biens pour ressortir de l’autre en passant à travers une vague. Une nouvelle fois nous en sortons complètement trempés. Ouf !!! Quelle douche ! écrivais-je à l’époque. Sans compter l’émotion !
C’en est trop ! Le froid se fait durement sentir. Nous restons ¼ d’heure sur la rive à grelotter comme des perdus. Le ciel est toujours gris et l’air très frais pour un mois d’août. Je veux qu’on arrête à Bétharram et qu’on prenne le train pour rentrer à Pau. Nous avons fait la moitié du parcours prévu (environ 20 km) et ce n’est déjà pas si mal. De plus étant donné le temps mis pour ce parcours il devenait évident que nous n’arriverions à Pau que tard dans la nuit. Quant à s’arrêter entre Bétharram et Pau nous risquions de ne pas trouver de train disponible et de passer la nuit dehors, transis et affamés. C’est mon analyse. Hervé, lui, veut continuer, mais j’insiste.
Je fais connaissance avec Bétharram vu de la rivière et nous abordons un peu plus loin en contrebas d’une route. Nous nous déshabillons et faisons sécher nos effets sur une murette sous l’œil curieux et libidineux des commères du village, qui vont et viennent pour admirer les athlètes. Mais ne leur parlent pas. Je prends une photo de Hervé avec l’appareil sauvé des eaux, l’unique photo de la journée [retrouvée par miracle en 2018].
A 19h30 nous montons dans le train à Montaut (la gare de Bétharram) et rentrons à Pau en Première. Il fallait bien ça !
Le troisième héros de l’aventure, le fameux Flibustier paternel, est dévasté, une véritable ruine ! Il doit redevenir opérationnel d’ici les prochaines vacances. Bon motif de réflexion pour les mois prochains, car nous sommes insolvables, Hervé et moi-même.
C’est finalement Hervé, toujours plein de ressources, qui mettra la main à la poche pour les ingrédients nécessaires. Je m’occuperai de la restauration dans le plus grand secret. Quelqu’un remarquera-t-il que le plancher du Flibustier a changé de couleur ?


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