Samedi 4 Novembre 1961 – Arudy III (Le Turon) Voie Herr Wick XVIII. Grands projets.
Equipe : Hervé-Jean.
Véhicules : vélos. Trajet : Pau-Arudy AR.
Nous allons cette fois exploiter un nouveau filon de rochers d’escalades à Arudy, ce sera Arudy III, après Arudy I, le groupe-roi ou Sesto, et Arudy II, le groupe de la Cima-Ovest, ou de la Fonderie.
Cet Arudy III, troisième groupe d’escalade de ce pays béni des dieux, nous l’appellerons plus simplement Le Turon, car il constitue le fronton du Turon qui fait face à Arudy I ou Sesto.
Nous partons de Pau en vélo, Hervé et moi, le matin à neuf heures. Le temps est beau et frais et l’aller se passe tranquillement, si ce n’est une crevaison au vélo d’Hervé, quasiment programmée.
La réparation s’effectue au bord de la route, sous le néflier qui abrite sous ses feuillages une fontaine sise au pied du Moure. Nous nous y arrêtions systématiquement pour boire et nous restaurer un petit… Passe alors une fort jolie fille blonde à pied. Elle nous regarde en souriant. Nous nous sommes fixés du regard le temps qu’elle passe et le temps de se dire qu’il y avait de bien jolies bergères dans ce pays et que si toutes étaient ainsi… Un instant nous avons pensé que notre situation de cyclistes en panne l’avait amusée et peut-être s’en était-elle moquée ? Simples réflexions d’adolescents attardés que la gent féminine ne rend pas indifférents, surtout Hervé.
Peut-être la raison pour laquelle le Moure fut monté sur le vélo en un temps record. C’est la pleine forme !
A Arudy, pain acheté au boulanger habituel, eau puisée à la ferme d’Anglas. Nous sommes rapidement au pied du rocher que nous convoitons. Nous découvrons vite un abri potable en cas d’averses, mais deux minutes plus tard nous en découvrons un autre qui paraît bien meilleur. Nous défrichons l’endroit le mieux que l’on peut et nous cassons la croûte.
Nous évoquons dans nos conversations la possibilité de créer à Pau un groupe de grimpeurs de haut niveau, voire d’élite. Nous n’avons peur de rien. En attendant allons ouvrir la première voie de ce versant du Turon. Nous choisissons une belle fissure courant au fond d’un angle-dièdre et s’élevant assez haut, non loin de l’abri.
Herwick attaque ; il gravit cinq ou six mètres pas des plus faciles et plante un clou, alerté par un bloc qui s’est détaché dès qu’il la saisit et avec lequel il a manqué tomber. Plus haut le terrain délité s’effondre dès qu’Hervé y touche et les blocs ont failli écraser les cordes en vrac au bas du dièdre. Ouf ! Les essais d’Herwick pour partir en libre s’avèrent infructueux et il doit redescendre, fatigué. Il place un second clou et surmonte le surplomb qui domine le dièdre à l’aide de deux pitons et d’un étrier. L’ensemble n’est pas facile (ça côte V soutenu sur 15 mètres, 3 pitons, la sortie est jolie quoique exposée, belle longueur). Je retrouve Hervé sans trop de peine sur le bon relais qu’il a installé sur une petite vire.
Je continue en tête. A droite la voie se perdrait dans des dalles lisses. Mais à gauche apparaît un cheminement logique ; les broussailles n’avaient d’ailleurs pas eu besoin de notre accord pour pousser là ; lierre, buis et épineux divers encombrent tout l’espace. Je vire légèrement à gauche sous les buissons, me rétablis sous un auvent et dois ensuite me vautrer dans les feuillages pour gagner la plate-forme suivante deux mètres plus haut. La suite apparaît assez évidente à suivre : une fissure avec bord gauche franc monte tout droit puis disparaît. Mais à sa droite une dalle avec une seule bonne prise en plein milieu permet de progresser. Aux prix de divers artifices je traverse la dalle et fais relais un peu plus haut sur une plate-forme inclinée. Pas besoin de pitons. Hervé renacle au niveau de la dalle et doit se servir de la corde pour passer. Il enchaîne par une jolie fissure peu difficile et nous terminons aux anneaux sur un terrain facile, un peu croulant. Bons débuts dans le Groupe III !
Nous folâtrons ensuite parmi les rochers sommitaux de ce groupe, curieusement découpés par l’érosion. Ils émettent des sons bizarres lorsque nous les frappons. Nous nettoyons les abords de la falaise en faisant tomber quantité de pierres, ce qui provoque d’énormes avalanches qui, d’après nous, menacent de faire écrouler la falaise [Nous étions tellement « chez nous » que l’idée ne nous venait même pas qu’il puisse y avoir quelqu’un au pied des falaises !].
Nous nous assurons sur divers passages, et en particulier le fameux toit du 7 février 1960 qu’Herwick surmonte cette fois avec brio. Nous regagnons ensuite le camp de base en faisant les ours dans les buissons. Nous nous remplissons la panse avant de partir, en ayant eu soin de remplir nos poches de provende pour la route.
Nous roulons dans l’air vif du soir qui mord sympathiquement nos joues. Journée sympa s’il en fut, journée de découverte et de renouveau. Il nous tarde d’ouvrir d’autres voies dans ce groupe…
Au texte manuscrit est ajouté un croquis de la voie Herr Wick XVIII et deux feuilles de buis collées.