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Jean M. Ollivier | all galleries >> Climbing in Sixties >> Septembre 1960 à l'Ossau > Muraille de Pombie
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30 septembre 1960 JMO

Muraille de Pombie

Ossau - Pyrenees

Mais nous avons toujours bon espoir de nous en sortir! Dès que JP émerge je lui hurle "aux anneaux !" comme nous le ferions en été sur ces dalles faciles… quand elles sont sèches ! Nous nous croyons sauvés, et rapidement nous lovons la corde pour entamer la descente. Nous n'avons pas parcouru trois mètres que j'entends un juron sonore derrière moi (souvent le dernier mot des alpinistes qui dévissent). JP a dérapé et part sur les fesses !! Alerté par le cri j'ai le temps d'enrayer sa chute d'une poussée violente. Il se rattrape. Nous restons là un moment sans bouger, cramponnés, hébétés par la neige qui cingle nos visages, envoyée par un vent violent et glacial qui nous paralyse et ne nous accorde aucun répit. Sous nos pieds plongent les abîmes de la face sud de la Pointe d'Aragon et nous sommes sur le tremplin qui a failli nous y expédier par une nuit noire de tempête. La précarité de la situation s'impose enfin à moi. Mourir ainsi, merci ! Car c'est bien ce que l'on risque à vouloir continuer. Malgré sa chute JP semble plus effrayé par la tempête et le bivouac que par les risques de la descente. Mais tout se conjugue pour me dissuader d'une telle entreprise. Le moral a fortement chuté, et je pense que pour aujourd'hui nous avons utilisé suffisamment de "vies" et que la chance risque de tourner.
Sans rien dire nous nous installons sur deux petites plate-formes superposées, à l'abri relatif des rafales de vent, mais pas des courants d'air qui circulent en tous sens. Les emplacements sont aménagés au mieux et chacun dans son coin se prépare à lutter de longues heures contre le froid et l'humidité.
J'essaie toutes les positions, mais aucune ne convient. Les pieds ont tendance à geler et je suis obligé de battre le rocher à intervalles réguliers. Les mains gèlent elles aussi et j'essaie de les rentrer le plus possible à l'intérieur des manches. Le corps est secoué de grands tremblements et je grelotte constamment. Un avantage, ça réchauffe ! J'arrive quand même à m'assoupir de temps en temps. Toute sortes de pensées incontrôlées affluent dans ma tête, émergent d'une conscience perturbée. Elles n'ont ni queue ni tête. Pourquoi une phrase lue dans le livre du refuge tourne-t-elle en boucle dans ma tête "…suis parfaitement d'accord avec mon ami Anglada et ne puis comprendre que les Espagnols d'Aragon soient aussi bêtes que certains Français… ". Je vois les lignes et j'entends la voix, car je connais l'auteur de cette diatribe.
A mesure que le froid nous gagne, remonte des pieds et des mains jusqu'en haut des membres, transpercés d'humidité que nous sommes, mouillés jusqu'aux os. La paroi suinte sur nous sans discontinuer, le vent siffle sans s'arrêter et ses rafales nous secouent et nous transpercent, faisant redoubler les tremblements et les claquements des dents. Je ne sens plus mes genoux : ils ne répondent plus et semblent de bois. La neige nous recouvre progressivement. Les pensées deviennent noires, car c'est le corps qui parle. Si ça continue nous ne reverrons plus le refuge, notre maison, un bon lit ou simplement de quoi manger. Cette dernière pensée envoie mon bras valide en direction du sac et j'y découvre un morceau de corned beef gelé que je dévore et dont j'ai encore le goût dans le palais, 45 ans après ! Le lendemain JP cherchera partout ce corned beef et me tancera vertement de ne pas l'avoir invité !

(Suite : image suivante)


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