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Jean M. Ollivier | all galleries >> Climbing and skiing in Pyrenees in the '30s >> Gavarnie et Mont-Perdu - Pyrenees > Face Nord de la Tour
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6 Septembre 1936 R. Ollivier

Face Nord de la Tour

Gavarnie - Pyrenees

Aperçue au débouché du Grand Dièdre, et telle qu'elle est apparue aux premiers
grimpeurs du Grand Dièdre. A cette époque, aucune voie ne parcourait cette face austère.
On appréciera dans le récit les réflexions qu'elle suscita.
Quant au Grand Dièdre, on peut le ranger dans la catégorie des "parois perfides" selon l'expression de Robert Ollivier. Cette appréciation prit tout son tragique relief quand on trouva, le 24 août 1964, les corps de Michel Pasquier et Jean-Pierre Haramboure au pied du dièdre, eux qui étaient pourtant de bons et sûrs grimpeurs.

SUR LES MURAILLES DE GAVARNIE

2 - LE GRAND DIÈDRE
Par Robert Ollivier
Première ascension, le 6 septembre 1936, par Ch. FAZEUILLES, J. LABEDAN, Ch. LAFFONT et R.OLLIVIER

A droite des Arceaux, dans la partie la plus haute de la paroi du deuxième étage, s'ouvre un immense couloir en angle dièdre, voie directe qui s'impose pour s'élever du premier au deuxième gradin. Mais, au mois de septembre 1936, personne ne l'avait encore utilisée. Pour ma part, j'y songeais depuis au moins deux ans, et notre ami Pierre VERGEZ me faisait remarquer, à chacune de mes visites, combien serait élégant un itinéraire direct jusqu'au faîte du Cirque, par le Mur de la Cascade et le Grand Dièdre.
Le 5 septembre, devant la gare de Lourdes, LAFFONT et moi cueillons deux excellents camarades de la Section des Pyrénées Centrales, et filons en auto vers Gavarnie sous une pluie torrentielle. Mais qu'importe le temps menaçant quand on vient de retrouver deux bons amis ! D'ici demain les nuages auront le temps de s'en aller. Un optimisme inébranlable règne dans la troupe. D'ailleurs, quand on regarde la figure ronde et toujours joyeuse de l'ami LABEDAN, peut-on être autre chose qu'optimiste ?

À Gavarnie, le ciel semble justifier notre confiance ; il se dégage peu à peu, et, à la nuit tombante, nous pouvons gagner tranquillement l'hôtel du Cirque. La traditionnelle soirée se déroule normalement, c'est-à-dire que nous nous levons de table le ventre fort lourd, et qu'il nous faut deux bonnes heures de digestion avant de nous endormir. Peu importe ! Demain nous laisserons le soleil se lever avant nous.

Vers 7 heures, en effet, nous prenons la direction du Mur de la Cascade. Ce hors-d'oeuvre est nécessaire pour que notre ligne générale d'ascension soit aussi directe que possible. Et puis, il constituera une petite séance de culture physique matinale et préparatoire, qui nous chauffera les muscles pour le Grand Dièdre. Hélas ! Le Mur est affreusement mouillé. L'eau ruisselle partout, recouvre les passages, nous dégouline dans les manches. De multiples douches sont ainsi combinées à la séance de culture physique, et quand, après une heure et quart d'escalade aquatique, les deux cordées débouchent sur le premier étage, elles sont bien loin d'avoir les muscles chauds. Mais les vêtements sèchent vite en montagne, et, pour hâter l'évaporation, nous nous dirigeons aussitôt vers le Grand Dièdre.

Afin de gravir le névé qui nous sépare de la paroi du second étage, les seconds de cordée, qui ont gardé leurs chaussures, passent en tête et remorquent les leaders en espadrilles. Nous parvenons ainsi à la base du Dièdre.

Lui aussi s'avère tout ruisselant d'eau ; et l'escalade commence par le passage d'un sur-plomb assez difficile... agrémenté d'une petite cascade. Au-dessus, nous effectuons un crochet à droite, sur un système de corniches, revenons à gauche en traversant le petit torrent qui coule dans l'axe du Dièdre, et nous nous élevons sur la paroi de la rive droite, que nous ne quitterons plus.
Dès les premiers mètres, nous avons reconnu les dangereux rochers du massif calcaire : parois perfides, qui semblent relativement peu inclinées, sillonnées de plates-formes et hérissées de prises, et qui se révèlent tout à coup fort raides, très délicates, dépourvues de points de repos ou d'assurance, avec des aspérités peu solides et disposées comme les ardoises d'un toit. De redoutables pièges y guettent le grimpeur : parfois il s'engage sans méfiance dans une cheminée d'aspect débonnaire; bientôt un curieux malaise s'empare de lui ; il ne trouve aucune des prises qu'il croyait voir d'en bas ; il ne peut même pas s'élever par opposition, car la cheminée se révèle moins profonde qu'elle ne le paraissait; il éprouve une sensa-tion de plus en plus intense de dérochement ; s'il n'a pas de piton, il se trouve immobilisé dans une position précaire, ne pouvant plus monter, tandis que la descente lui pose un sérieux problème. Rendus méfiants par des mésaventures de ce genre, armés d'ailleurs d'un marteau et de quelques pitons, nous nous élevons avec précaution d'environ cent cinquante mètres sur cette muraille, qui trompe sans cesse notre espoir de trouver de bonnes terrasses et des prises franches. Enfin le terrain s'améliore un peu, et une plate-forme bien réelle nous permet de respirer.
Dès que nous la quittons, la lutte reprend, assez sévère. Devant deux cheminées paral-lèles, je choisis celle de droite. Dans l'eau qui y ruisselle, je la ramone sur vingt-cinq mètres sans trouver de point de repos. Plus je m'élève, plus l'inclinaison s'accentue. Mais la fin approche sans doute; au-dessus de ma tête, la pente diminue et forme une convexité qui me cache la partie supérieure. LAFFONT doit s'engager à son tour dans la cheminée, pour me donner assez de corde, et je m'élève jus-qu'au changement de pente. L'inclinaison diminue, certes, mais les prises deviennent de plus en plus inversées. Cette fois, j'empoigne mon marteau, et un piton bien enfoncé me donne toute sécurité pour permettre au reste de la caravane de me rejoindre.

Sitôt parvenu à ma hauteur, LAFFONT effectue une traversée horizontale vers la gauche, et rejoint la cheminée parallèle à la nôtre. Au-dessus de nos têtes, en effet, se dresse une barrière de dalles surplombantes; seule, la che-minée de gauche, qui se transforme plus haut en une fissure profonde, semble permettre de franchir l'obstacle. Laissant à LABEDAN et à FAZEUILLES, qui nous ont rejoints, le soin d'enlever le piton, je me hisse vers la fissure. Elle est garnie de blocs coincés, mais elle est si profonde, tellement hérissée de saillies, et d'une largeur si adéquate, que c'est un véritable jeu d'enfant de la ramoner. Toutefois les pierres dégringolent, et nous devons intimer l'ordre à nos amis de patienter quelques minutes, à l'abri des projectiles, avant de s'engager sur nos traces.

Tandis que LAFFONT s'escrime dans la Fissure, je lève la tête, et, juste dans l'encadrement des parois, je vois se dresser l'orgueilleuse face nord de la Tour, étrangement lisse et lavée. La paroi, d'un bleu sombre, est sillonnée de coulées noirâtres, comme si, au sommet, un gigantesque pot de peinture s'était renversé et avait coulé sur les rochers. Une telle muraille semble vraiment jeter un défi aux lézards eux-mêmes. J'ai, je l'avoue, quelquefois songé à sa conquête; mais, aujourd'hui, je n'éprouve pour elle, en toute sincérité, que très peu de convoitise.

Je pense surtout à en finir avec le Grand Dièdre, ses prises croûlantes et son humidité. Depuis bientôt quatre heures que nous grimpons sur ces rochers visqueux, le vide se creuse, certes, au-dessous de nous, mais le but ne paraît guère se rapprocher. Aussi, dès que nous ne risquons plus d'assommer nos cama-rades, j'entraîne LAFFONT à toute allure vers le soleil qui brille, là-haut, sur le deuxième étage. Je me souviens d'une fissure assez raide, d'un couloir tout mouillé, d'un surplomb en rocher pourri et d'une vire où tout s'écroule, où l'on ne peut nous reprocher d'avoir flâné.

Le Dièdre s'évase enfin. Cinquante mètres encore sur une pente moins raide, mais aussi humide que le reste, et nous surgissons sur la corniche du deuxième étage :
« Ce n'est pas tout, pensai-je, reste l'ascension directe jusqu'à la crête du Cirque ».

Et, après un rapide casse-croûte, nous escaladons une série de banquettes assez faciles, Nous arrivons ainsi au glacier de l'Epaule. Là, quelque chose s'offre à notre vue, qui arrête net notre élan . C'est, au-dessus du glacier, une petite muraille blanche, pas très haute et légèrement surplombante. Elle est striée de rares fissures, qui ont mauvaise mine. Notre itinéraire, pour être direct, devrait passer par là. Mais le démon de la paresse s'insinue peu à peu en nous. Si nous n'avions qu'une alternative, franchir l'obstacle ou descendre le Grand Dièdre, le cas de conscience serait facile à résoudre. Mais, sur notre gauche, le démon tentateur a pris la forme d'un bon névé pas trop raide, qui permet de contourner, par un détour de deux cents mètres environ, la barre rocheuse inopportune, et de rejoindre l'itinéraire du col de la Cascade. Et comme nos amis FAZEUILLES et LABEDAN doivent prendre le train ce soir à Lourdes, et qu'il est 14 h. 25 - l'excuse est bonne - nous n'hésitons plus et filons vers le glacier de la Cascade.
Une bonne heure après, sur les corniches aériennes et herbeuses de l'inénarrable voie de Monts, les deux cordées s'injurient avec la fougue des héros d'Homère. La seconde se plaint que la première ne l'attende pas et ne lui montre pas les passages. Et la première équipe trouve que, vraiment, la seconde s'en-dort, et qu'à ce train-là « on va y coucher ». Heureusement, d'injures en injures et de corniches en corniches, nous voyons approcher l'hôtel du Cirque. Nous y pénétrons vers 18 h., réconciliés.

Robert Ollivier - La Montagne n°293, Décembre 1937.








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