photo sharing and upload picture albums photo forums search pictures popular photos photography help login
Jean M. Ollivier | all galleries >> Climbing in Sixties >> 1962 > Le bal des cloportes sur la crête du Diable
previous | next
08/1961 et 07/1962 jmo

Le bal des cloportes sur la crête du Diable

Ph : Balaïtous et Ar. de Costerillou depuis Crête du Diable

Samedi et Dimanche 5 et 6 Août 1961 – Aux Crêtes du Diable.
Participants : Jean-Pierre Leire, Michel Podevin, Richardson, Jean. Véhicule : DS19.
Je ne connaissais pas ces personnages avant qu’ils viennent me voir. Je ne sais plus qui me les avaient adressés. C’est sans doute JP Leire qui m’a rendu visite à El Patio alors que je continuais la peinture du grillage côté rue, peinture qui avait débuté en Juillet (voir plus haut, mardi 11 Juillet). Un grand blond un peu timide, qui pouvait disposer de la DS19 de ses parents. Une aubaine. Il me dit qu’il a déjà fait un stage dans les Alpes, niveau IV, et qu’il aimerait faire une course de ce niveau dans les Pyrénées. Qu’à cela ne tienne, j’ai une idée.
J’ai déjà fait la traversée des Crêtes du Diable avec mon père dans les années 1950. C’est du IV maxi. C’est beau. Et avec un peu de chance nous pourrions enchaîner avec l’arête de Costérillou et arriver au sommet du Balaïtous. Mais ça je ne le dis pas à Leire.

A 7 h du matin nous démarrons de Pau dans la luxueuse DS19. Le temps est fumant, mais un certain vent du sud me donne des inquiétudes lorsque nous arrivons au Plan d’Aste, terminus de la route. Cela ne nous empêche pas de remonter le Val d’Azun à vive allure, allure que j’impose à mes trois « clients ». Là où l’on met trois heures arrêts non compris, nous mettons deux heures ½, arrêts compris (Plaa de Labassa, Toue de Castérie [où nous avions dormi lorsque j’étais venu avec mon père]).
Si j’avais été raisonnable nous aurions pu nous arrêter là, ce qui se fait d’ordinaire, afin de faire la course avec des sacs allégés. Mais non, sitôt la dernière miette engouffrée, j’entraîne la troupe obéissante et ses gros sacs sur le dos vers les Crêtes du Diable que nous venons d’entrevoir. Je prends l’itinéraire direct, hors sentier et très raide. Arrêt au bord des neiges du cirque de Las Clothes. La journée s’étire mais reste toujours aussi merveilleuse. Depuis le Plan d’Aste nous avons parcouru des km de sentier dans le Val d’Azun et un dénivelé de m et des sacs impitoyablement lourds
Et tout aussi impitoyable le leader entraîne ses troupes sur les raides névés de Las Clothes à l’assaut des Crêtes par l’Est. Mais déjà les deux jeunes Richardson et Podevin manifestent quelques graves inquiétudes que j’attribue à de la simple nervosité. Cela ira mieux, pensè-je à tort, lorsque nous serons dans l’action sur la Crête du Diable. Nous formons deux cordées : Richardson et moi, JP Leire et Podevin.
La première longueur d’escalade m’amène au Col de la Canine. Je fais monter Richardson qui se met à pousser des gémissement sitôt qu’il est arrivé au col. Leire et Podevin mettent un temps fou pour arriver.
J’aurais dû conclure là. Les énormes sacs où tout a été prévu nous handicapent, c’est évident, mais quand même… Nous nous traînons sur cette crête avec une lenteur extrême. Nous avons attaqué à 16 heures en espérant faire la Crête intégralement, ou du moins une grande partie. Il nous a fallu trois heures pour parcourir ce qu’une cordée normale aurait absorbé en un ¼ d’heure, pas même !
Une escalade facile, presque de la marche, nous mène sur un replat (le Plateau de ). Là je fais le point. Richardson, blême de trouille, tremblant de tous ses membres, est au bord des larmes. Il ne veut plus continuer, sur ce point il est très ferme. Podevin est plus courageux, mais pas très ferme sur la suite à donner à ces aventures. Rien à voir cependant avec ce poids mort de Richardson au bord de la crise de nerf. Je décide de larguer les deux insuffisants sur Las Clothes, non pas en les jetant dans le vide, mais en leur infligeant un immense rappel de 60 m sur brin simple, avec assurance du haut. Ce rappel leur grille les fesses et use leur pantalon jusqu’à la corde. Une fois décordés ils dévalent les névés très raides sur le cul à toute allure, bras et jambes écartés en une attitude comique vue d’en haut. Quelques quolibets et injures sont échangés. Ceux du haut ricanent car ils ont emporté toute la bouffe. Et ceux du bas pleurent et vitupèrent, impuissants, rageurs et gelés…
Je reforme la cordée avec Leire avec l’intention de poursuivre un maximum. Et nous nous rendons compte que nous avions gravi le plus facile avec les insuffisants. Qu’aurait-ce été maintenant ?
Il est tard, le jour baisse vite, il est temps de rechercher un emplacement de bivouac. Nous en trouvons un très confortable. Nous avons le temps d’aménager la plate-forme choisie, Leire a même emporté un matelas pneumatique ! N’ayant rien d’autre à faire nous passons notre temps à nous empiffrer et à jeter les boîtes de conserve vidées en hurlant à ceux du bas « Encore une que vous n’aurez pas ! » Concert de vitupérations et d’imprécations de toutes sortes en réponse. Nous sentons que nous ne sommes pas là pour être aimés nous, les leaders, qui ne manifestent que mépris pour cette valetaille timorée et affamée croupissant dans des douves glacées.
Nous savourons notre bivouac de luxe. Mon troisième bivouac, le premier de Leire. Couchés sur le dos nous admirons la voûte étoilée et avons le privilège d’observer le passage d’Est en Ouest d’un Spoutnik. Quelle nuit ! D’en bas nous parviennent de temps à autre signaux lumineux et hurlements vindicatifs…
Vers 5h des éclairs suivis de grondements caractéristiques nous réveillent. L’orage !
Pour moi il n’y a qu’une seule chose à faire, la fuite ! Fuir cet endroit farci de paratonnerres. Deux longueurs d’escalade libre et deux rappels nous ramènent sur les névés de Las Clothes après avoir essuyé deux ou trois grains. A peine sommes-nous en bas que le beau temps revient. Encore une course ratée bêtement. C’est idiot, déprimant. Je voulais faire Crête du Diable et Costérillou, c’est raté. Mais quelle utopie avec des abrutis pareils.
Les survivants insuffisants sont affamés (ni dîner ni petit déjeuner ce matin, une nuit à claquer des dents), ils sont heureux que l’orage ait arrêté notre entreprise. Les estomacs calés il reste du temps pour gratonner sur les blocs de granit de Las Clothes. Je les initie à l’artif, mais n’y arrivent pas.. En désespoir de cause je les décide enfin à monter au Pic Soulano, que nous aurions atteint si nous avions réussi la traversée. Cela commence par un immense névé à traverser et qui décourage Richardson. Podevin suit mais je me trompe de sommet [ ?]. Et je suis le seul à le gravir.
Le retour va s’avérer très long, interminable. Ils sont morts. Au Plaa de Labassa nous faisons une mauvaise plaisanterie en bourrant le sac de Podevin, qui pleurniche tout le temps, de lourds pavés. Crevé comme il est il ne s’en rend même pas compte, il dit seulement qu’il est de plus en plus crevé et nous le laissons méchamment transporter ces poids morts. La troupe clopine lentement, si lentement qu’il me semble que le val d’Azun est plus long en descendant qu’en montant !. En plus du coton épais qui nous enveloppe maintenant la nuit tombe. Nous trébuchons. L’orage revient et ramène la pluie. A l’arrivée au Plan d’Aste de sympathiques campeurs nous réconfortent. Podevin cherche sa gourde et tombe sur les magnifiques pavés d’Azun. Il n’a pas eu la force de les jeter sur nous !
Vive la DS19 dans laquelle nous pouvons enfin nous prélasser. Mais Leire conduit très mal et le roulis mou de la DS fait vomir tripes et boyaux à Podevin. Résultat des litres d’eau glaciale qu’il a bus au Plan d’Aste. Nous nous réconfortons dans un bistrot trouvé sur la route du retour. Maison à minuit.


other sizes: small medium original auto
comment | share