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Jean M. Ollivier | all galleries >> Climbing and skiing in Pyrenees in the '30s >> Escalades à l'Ossau années 30 - Pyrenees >> Pour les magazines, livres etc. des Pyrénées >> Respyr > Face Nord du Petit Pic d'Ossau : la traversée. Et deux récits.
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30 Aout 1935 Roger Mailly

Face Nord du Petit Pic d'Ossau : la traversée. Et deux récits.

Ossau - Pyrenees

Robert Ollivier en train de négocier le passage-clé
(on dirait le "crux" aujourd'hui),
lors de la première ascension en 1935. c'était à
l'époque une des escalades granitiques les plus
difficiles de France.
La perspective ne met pas spécialement le grimpeur
en valeur ! Raison pour laquelle sans doute cette
photo ne fut jamais publiée, contrairement à la
suivante réalisée lors d'une répétition.
Et puis le grimpeur préférait se voir
ainsi.


"CES MONTS AFFREUX" (suivi de "Ces Monts Sublimes")
R. Ollivier

Depuis deux ans, depuis le retour du service militaire, je vivais
vraiment un rêve de montagnard comblé : tous mes projets se réalisaient
comme par enchantement ; le succès couronnait camps volants ou escalade
ambitieuse sans un accroc, sans une égratignure ni pour mes compagnons,
ni pour moi-même. Il semblait qu'il me suffisait d'effleurer du bout
de ma sandale le pied d'une paroi, ou de mordre avec mes crampons la
base d'une pente de glace pour les voir l'un et l'autre s'incliner
devant mes désirs.
Montagnards, mes frères, si vous l'éprouvez un jour, méfiez-vous
d'une telle euphorie.

L'année 1935 commença mal. Le 7 mars, Herbert Wild,
l'écrivain, compagnon inséparable de Dubosq,
mourait d'une chute bénigne dans la région d'Ansabère. Duboscq et Wild,
équipe célèbre à l'époque, parcouraient en tous sens les Pyrénées et
avaient mis à leur actif des courses d'une longueur invraisemblables,
dignes des très grands marcheurs d'autrefois. De plus, Wild avait été
pour moi un très remarquable second de cordée à maintes reprises : Arête
de Salenques et des Tempêtes bout à bout, Arête Sud du Pic Maudit, face
Ouest du Lézat, Arête Crabioules-Lézat, Arête de Costérillou. Dubosq
nous accompagnait parfois, ou suivait Jean Santé à la Crête du Diable,
à Costérillou ou au Capéran de Sesques. Mais Dubosq était surtout
l'homme des 1000 sommets, celui qui avait voulu gravir tous les pics
décrits dans la guide Ledormeur et qui avait tenu son pari en quelques
années. Ils avaient tous deux 54 ans, moi 24. Je les aimais bien ;
ils me le rendaient. L'amitié vraie se moque de l'âge. L'amour aussi
d'ailleurs. Vint le 7 Juin 1935, trois mois, jour pour jour après la mort de Wild.

La neige était encore abondante. Crampons aux pieds, Henri Duboscq,
André Bacelon et moi-même arpentions les pentes blanches et dures
de la hourquette Badet, versant de Gèdres. Nous allions au Pic Long.
A la hourquette du Pic Long, nous jugeâmes plus judicieux de suivre
l'arête, plutôt que de traverser le flanc ouest, cuirassé de névés
qui commençaient à fondre.
Un moment nous sommes réunis tous trois sur une étroite terrasse,
une dizaine de mètres sous la crète, Duboscq à l'extrèmité sud,
Bacelon au milieu, moi à l'autre bout. Je grimpe le mur au-dessus
de moi. Le rocher est franc et solide. Je m'installe sur la crête,
assis et bien calé, la corde sur l'épaule. J'invite Bacelon à monter.
Au même instant, intuition, prémonition ou simple réflexe de prudence,
j'estime l'assurance insuffisante ; je fais passer la corde derrière
un énorme rocher. Bacelon commence à grimper, juste au-dessous de moi.
Il ne peut détacher des pierres, la corde non plus ; tout était bon
quand je suis passé. Duboscq, d'ailleurs est nettement à droite
et en dehors de la trajectoire.
Pourtant j'entends le raclement d'un rocher glissant sur la paroi,
suivi aussitôt d'un hurlement "Attention, tiens bon !" La corde se
tend si violemment que le gros rocher bascule un peu mais n'est
pas arraché. Quant à moi, j'ai bien failli être catapulté dans les
airs, tant la secousse fut grande, malgré le freinage de la
corde sur le gros bloc.
Une dalle de granit -comme une table ronde de café, me dit
André par la suite - descellée par le gel, s'est détachée
juste au-dessus de Duboscq, à l'extrêmité de la terrasse.
Elle l'a frappé en plein crâne, par le tranchant. Duboscq
est tombé dans le vide. Dix mètres d'anneaux de corde se sont
déroulés, puis tendus brutalement. Bacelon a été arraché de
la paroi et l'homme de tête, sur la crête fort heureusement
assisté du gros rocher qui a amorti considérablement le choc,
tient maintenant 145 kgs avec une corde qui a eu le bon esprit
de ne pas se rompre sous une traction brutale qui a dû multiplier
par 3 ou 4 le poids de mes deux compagnons. Sans mon rocher, nous
eussions tous roulé au fond du précipice d'Estibère-Male et nous
n'aurions pas connu, André et moi, "le plus mauvais moment".
(D'où l'intérêt d'être "vaché" au relais - ndt)
Car ce moment-là, ce ne fut pas celui du drame, ni celui de
la bataille pour nous tirer de la situation précaire qui était
la nôtre : un corps inerte de 85 kgs sur la paroi, un second
de cordée déroché par le choc et suspendu entre la victime et
l'homme de tête. Ce ne fut pas non plus, l'effort harrassant,
ni la difficulté que nous éprouvâmes à ramener Duboscq -
qui râlait mais n'était pas mort - sur la hourquette du Pic Long,
puis sur le glacier, où nous le trainâmes un moment dans
la neige molle et profonde. L'action violente annihile l'émotion
et anesthésie plus ou moins les sentiments.
En fin d'après-midi, notre ami ne râlait plus. En attendant
notre retour avec des compagnons pour nous aider à le ramener
sur la terre des hommes (l'hélicoptère n'existait pas), nous
l'enterrâmes dans la neige, afin de le protéger des oiseaux.
Puis, titubant, abrutis, ivres de fatigues et de peine, nous
descendîmes dans la vallée.
Par moment, je cessais de regarder où je posais les pieds ;
je levais les yeux vers les montagnes qui, probablement,
étaient belles et majestueuses au soleil couchant. Je les vis
horribles, hostiles, maudites. Elles n'étaient plus les amies
qui semblaient me tendre la main au pied des parois. Je ne voyais
plus que de sinistres gorgones, exhalant la cruauté et la haine.
Duboscq, mon ami avait été tué, et tué dans ma cordée ! Fatalité ?
Sans doute, mais j'ai tout de même appris ce jour-là qu'une paroi
verglacée, si courte soit-elle, est dangereuse au soleil qui fond
le verglas, ciment des rochers éclatés. J'avais perdu un ami,
perdu confiance en moi, perdu confiance dans les montagnes. Et la
montagne elle-même n'était plus une amie ; c'était perdre beaucoup
d'illusions à la fois. Ce fut bien là le plus mauvais moment passé
en montagne ; et aussi l'un des plus mauvais de ma vie.

"MONTS SUBLIMES"


1935, toujours....l'année terrible. Wild est mort le 7 Mars
(jeudi), Duboscq le 7 Juin (vendredi), Robert de Villeneuve
le 21 Juillet (dimanche, donc collective, donc cailloux...).
Je suis devenu supersticieux (3x7=21). En montagne j'ai peur.
Pas pour moi. Pour ceux qui me suivent. Je ne voudrais pour rien
au monde revivre ces heures sinistres. Mais quoi !... Faut-il
renoncer ? Remplacer l'alpinisme par la gastronomie ou la pêche
à la ligne ?
Quinze jours après l'accident de Duboscq, j'ouvre une voie nouvelle.
D'autres suivent. Et le 30 Août 1935 marque probablement le point
culminant de mes joies montagnardes "le moment le plus exaltant".
Il est six heures trente du soir. Deux garçons débouchent d'un beau
précipice au sommet du Petit Pic d'Ossau. Avec des bourrades à
vous démettre une épaule, à vous casser une côte, ils se manifestent
mutuellement leur satisfaction. Roger Mailly et moi venons de
vaincre la face Nord-Ouest du Petit Pic, au-dessus d'un vide grandiose.
Jamais pareille paroi n'avait été gravie dans les Pyrénées - ni à
cette époque, dans les Alpes françaises -. Nous avons, nous aussi,
notre Meije, notre Couloir de Gaube. La nuit proche, le retour dans
l'ombre nous importent peu. Nous contemplons longuement, autour de
nous, de merveilleuses montagnes roses, mauves, violettes, si riches
de teintes délicates qu'il est impossible de les décrire. Nous dévalons
enfin la voie normale très vite et nous touchons le pied de la montagne
et le chaos de Peyreget à la nuit. La victoire est vraiment ailée et,
même donne des yeux de chat : nous rentrâmes à Bious-Artigues à toute
allure, sans nous tromper d'un mètre, à la seule lueur des étoiles.
Les romantiques avaient probablement raison : l'horreur ou l'admiration
pour un paysage, ce n'est jamais que la projection d'un état d'âme
sur ce paysage.
Alors, diront en guise de conclusion les contemplatifs, les artistes,
les esthètes de tout poil, pour apprécier la beauté,il vous faut, en
guise d'apéritif, un bel abîme sous les pieds et quantité de coups
de marteau sur des pitons ?
Je proteste : j'ai éprouvé des joies sereines et inoubliables autour
d'un feu de camp, au bord d'un lac sauvage et je prétends aimer la
montagne autant pour sa beauté que pour l'action intense qu'elle
provoque. La contemplation m'a donné d'abondantes satisfactions,
fort délicates. Mais le rédacteur en chef de "Pyrénées" demande de
décrire "le moment le plus exaltant". Exaltation veut dire impression
puissante, violente. J'avoue n'en avoir éprouvé de semblables que dans
la lutte et la victoire. Et je suis bien convaincu que la plupart des
hommes, des montagnards en tout cas, me ressemblent sur ce point.
Quand de Saussure parvint au sommet du Mont-Blanc pour y procéder à
des observations scientifiques, il avait tant peiné pour atteindre
ce but qu'il foula la neige avec colère et orgueil. "Ce n'était point
là, a écrit un auteur dont j'ai oublié le nom, le geste d'un savant".

Robert Ollivier - 1969 pour "Pyrénées"


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