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30-Juin-1962 jmo

Couloir de gaube : mur de glace terminal

Vignemale - Pyrenees

30 juin 1962. COULOIR DE GAUBE

(Ce texte a été écrit en 1962 et ne comporte que quelques remarques pour aider à la compréhension)

Le 28 Juin nous partons Hervé et moi dûment équipés pour affronter ce que nous pensons être une formalité - gorgés que nous sommes de littérature d’exploits alpins fantastiques - le Couloir de Gaube, au Vignemale.
C'est un vaste toboggan de glace qui remonte le versant nord jusqu'au glacier d'Ossoue "fascinante et provocante cheminée de neige et de glace, ouverte dans la paroi nord du Vignemale et haute de 600 mètres" écrit l'un de ses premiers vainqueurs, Henri Brulle, en 1889 (son guide était Célestin Passet et c'est lui qui a ouvert la route). Henri Brulle était "gonflé", comme on dit, car les seconde et troisième ascensions ne se firent qu'en Juillet 1933. Mon père Robert en fit partie. http://www.pbase.com/image/26370844).

Vers 3 heures de l’après-midi chacun enfourche sa moto, Mahaut pour Hervé et Néocide pour moi. Je suis content de Néocide, qui marche toujours bien... mais Mahaut ! .... A peine arrivée à Espoey, à 15 kilomètres de Pau, elle fait un caprice et ne veut pas aller plus loin. Il ne nous reste plus qu’à retourner à Pau. Nous n’avons pas le cœur de la laisser sur le bord de la route. Et pourtant ...
Nous formons donc un équipage insolite, Néocide tirant Mahaut au bout d’une corde, jusqu'à des vitesses pouvant atteindre 60 Km/heure. Gare aux coups de frein ! !
Nous sommes furieux. Que le sort du couloir de Gaube puisse dépendre d’une misérable mécanique nous fend le cœur, nous fait trépigner d’impatience et de frustration. Mais le temps reste toujours magnifique et l’espoir demeure.
Comme moyen de transport il nous reste ma seconde moto, Super Néocide, à peine remise du terrible accident du 10 Juin, qui a failli me priver à tout jamais des plaisirs magiques de la montagne. Malgré les soins attentifs et compétents prodigués sans compter par l’adorable papa de François le soir tard après son travail, elle montre des faiblesses, et, en ce moment elle ne veut rien dire. Donc, au lieu d’être en train de remonter la charmante mais néanmoins austère Vallée de Gaube, nous voilà plongés dans le cambouis toute la soirée et la matinée du lendemain. Notre esprit plane néanmoins vers le Couloir. Vers midi elle (mais la moto bien sûr !) tousse, crache quelques fumées puis rugit franchement. Considérant qu’elle est guérie, nous accrochons les sacs de montagne et partons tous les deux sur le noble coursier avant qu’il ne change d’avis.

Super Néocide file bon train sur la route qui mène à Lourdes, Argelès, Cauterets, puis La Raillère... Et là, malheur de nous, nous sommes en avance ! ! Un véritable accident en ce qui nous concerne. Nous avions oublié que la route restait fermée à la circulation dans le sens de la montée jusqu'à 18 heures 30. Plutôt que nous morfondre, nous en profitons pour aller admirer les cascades et humer les émanations soufrées de la station balnéaire. Le spectacle des curistes et des touriste vaut également son pesant de fou-rire !
A partir du Pont d’Espagne, gagné rapidement dès l’ouverture de la route, commence la longue « marche de facteur » dans la vallée de Gaube. Les sacs nous paraissent lourds, le chemin long. Le jour baisse sérieusement et le ciel se couvre alors que nous arrivons au Lac de Gaube. Nous nous y arrêtons quelques instants pour nous restaurer et nous reposer. Les courtes nuits précédentes passées à travailler sur la moto malade se font sentir maintenant. Le moral baisse en même temps que la fatigue augmente.
Nous poursuivons la marche dans cette immense vallée après avoir contourné le Lac de Gaube. A un détour du sentier nous apercevons les grandes faces Nord rosies par les derniers rayons. Cette vision nous fouette, le moral remonte en flèche, les forces reviennent. Nous accélérons.
Le sentier se perd par endroits et, pressés, nous ne trouvons pas le pont qui permet de traverser le torrent. Tant pis. Nous nous déchaussons et traversons pieds nus. Un peu plus haut nous trouvons un endroit sympathique où nous décidons de dormir, la nuit étant maintenant tombée.
Chance, les nuages sont partis. Car nous avions décidé de dormir à la belle étoile pour économiser le poids d’une tente. Un petit enclos de pierres sèches nous protège de la brise froide du soir qui semble couler au fond du vallon. Nous sommes face au Vignemale et à son fantastique Couloir de Gaube. Une bougie est confectionnée avec de l’huile de sardines en boîte (les super « Criquas » ! !) et un vieux lacet. Ambiance sympa. Dodo.
Des millions d’étoiles constellent les cieux. Du Nord au Sud le grand voile de la Voie Lactée ondule dans le firmament. Sommes-nous vraiment seuls dans l’Univers ? Pourquoi faisons-nous ça ? Ce genre de questions me revient presque toujours avant les grandes entreprises. La face du Vignemale m’impressionne et chaque fois que j’ouvre un œil dans sa direction un frisson d’inquiétude me parcourt l’échine. L’allure rébarbative qu’elle a depuis le bivouac n’est pas pour me rassurer. Car revient toujours à l’esprit que ces grandes montagnes ont eu et auront encore leur lot de victimes.
La nuit n’est pas tout ce qu’il y a de plus serein, donc, et déjà le réveil sonne, à trois heures du matin.
Tiens, nous ne serons pas seuls. Des lumières montent le glacier situé à la base du couloir et sont presque arrivées à la rimaye (crevasse séparant le couloir du glacier. La lèvre supérieure peut se trouver à 40 mètres au-dessus de la lèvre inférieure). Ces gens ont une grande avance sur nous. Je n’aime pas savoir quelqu’un devant nous dans une escalade. Dangereux.
Nous remontons la vallée le plus vite possible, passons à côté d’une tente (les gens ?) et prenons enfin pied sur le glacier des Oulettes. Il est relativement vaste, recouvert de neige bien gelée. Nous décidons de mettre les crampons tout de suite afin de les tester. Avant la rimaye, un ressaut très raide nous permet de prendre confiance en nos engins. Si ça tient ici, ça tiendra là-haut !
Sur la gauche du glacier s’ouvrent de belles crevasses bleutées. Je n’en avais pas revues depuis l’ascension du Vignemale par le glacier d’Ossoue, une douzaine d’années auparavant. Elles créent l’ambiance ! Mais pas forcément sinistre, comme on pourrait s’y attendre. A cette heure matinale le soleil éclaire les faces Nord. Par effet de perspective elles paraissent petites et peu inclinées, accueillantes, presque !
Bref arrêt au niveau de la rimaye, pour sortir la corde. A cette époque pas de baudrier. On attache directement la corde à la taille. Des fragments de neige et des petits cailloux tombent de la rigole centrale creusée dans la lèvre supérieure de la rimaye. Nous mettons les casques (ceux qui servent pour faire de la moto).
La rimaye est impressionnante. Heureusement, à gauche il y a un passage, glace puis rocher en surplomb. Je franchis le passage de glace et Hervé négocie le surplomb. Nous prenons pied sur le névé de base du couloir, somme toute confortable. On a l’impression d’être tout près du sommet du couloir. Les rayons de soleil du matin augmentent encore notre confiance. Mais où est-il ce terrifiant couloir. Ce n’est que ça ? ? Viens, Hervé, partons, c’est indigne de nous.
Nous montons néanmoins, passant à tour de rôle en tête de cordée, ce qui donne à chacun 60 mètres à parcourir sans s’arrêter. Grosse facilité. Il faut simplement faire attention. Quelques cailloux ronflent dans l’espace, le plus souvent dans la grande rigole centrale creusée sans doute par ces chutes de pierres. La progression est rapide et la pente augmente progressivement. Elle s’accentue nettement aux abords de l’Y, sous le Piton Carré. On passe à droite, sur la rive gauche après avoir traversé l’énorme rigole centrale en neige compacte, excellente à cramponner. De temps en temps nous nous arrêtons sur une petite plate-forme pour manger une orange ou réparer un crampon. Nous nous sentons très à l’aise. Et il nous vient à l’esprit les réflexions de certains pyrénéistes qui affirment que les courses de glace-neige sont faciles par rapport aux courses de rocher de niveau en principe équivalent. Nous admettons que c’est sans doute vrai, ayant l’impression, malgré notre expérience très limitée, de dominer facilement le problème. Le temps reste splendide, et le site n’a rien de sinistre. De plus, la pente ayant augmenté, le couloir paraît encore plus court que vu de la rimaye. O effet apaisant de la perspective !...
Passé l’Y, il rétrécit et se redresse notablement : 60 - 65°. Il nous fait souffler. Mais la neige dure est suffisamment travaillée pour que la progression s’en trouve facilitée. Néanmoins les pierres deviennent plus fréquentes et plus grosses. Elles ne doivent pas tomber toute seules. Les petites lumières de ce matin ont dû atteindre la zone rocheuse de sortie. Manifestement elles font comme si elles étaient seules ! !
Le hasard d’une longueur de corde me mène sur une bonne plateforme de neige surmontée d’un petit surplomb de glace tout à fait rassurant. C’est le premier relais où l’on peut s’asseoir et sur lequel on se sent à l’abri. Mais finie la tranquillité ! A peine ai-je mis le nez hors de l’abri qu’une pierre de calibre respectable me fonce dessus, m’attrape le bras et me l’envoie dans le dos. Rien de cassé heureusement. Le casque aurait-il été assez solide si cette pierre avait frappé ma tête ? Un peu plus haut, Hervé me crie « attention ! ! ». Je n’ai que le temps de me plaquer sur la pente et de sentir le souffle d’un gros pavé me frôler l’épaule dans un ronflement sonore. Je n’ai rien vu.
Nous arrivons assez vite au niveau du Bloc Coincé. On ne voit rien du bloc, seulement une grosse stalagmite de glace bleue verticale creusée de trous. Hervé la passe en tête. C’est délicat mais peu difficile. Il semblerait que nos inconscients prédécesseurs aient creusé des marches. Nous les injurions copieusement, mais rien n’arrête leur progression assassine. Ce sont des espagnols, deux gars et une fille qui n’a pas l’air douée.
Nous sommes arrivés au pied du mur de glace terminal, en haut du couloir de neige. Ce mur représente en fait une tranche du glacier d’Ossoue qui nous domine, un sérac en quelque sorte. C’est une grande masse de glace verte surplombante, creusée de mille trous et canelures, ornée d’une myriade de stalagmites, étincelante de lumière à son sommet et laissant jaillir une grande cascade qui se perd à grand bruit sous la neige du couloir. Prodigieux. Photos.
Sans équipement spécial il est hors de question de gravir ce mur. La sortie normale se fait sur la rive gauche du couloir, sur des rochers d’une qualité plus que douteuse. Les espagnols ont très peu progressé. La minette ne sait manifestement pas grimper, et c’est à cause d’elle que tombent tous ces cailloux. Car ça canarde de plus en plus dur maintenant, et impossible de se protéger. Il faut éviter à tout prix les cailloux. Le calibre augmente. Des blocs rebondissent dans tous les sens. L’un d’eux, ronflant comme une toupie éclate sur la paroi opposée du couloir et vient me frapper de plein fouet. Les multiples rebonds l’ayant freiné, le choc n’a pas été grave. Nos casques nous donnent une agréable impression de sécurité. A moi, du moins. Car Hervé, qui n’a pas subi l’outrage des cailloux enlève le sien - car ça le gène me dit-il ! ! Que répondre ?
Nous montons aussi vite que le permet le rocher infect de la paroi de sortie du couloir. Je reste devant. Pas de difficulté technique, mais aucune assurance. Une dernière salve de mitraille salue la sortie des espagnols sur le glacier d’Ossoue. Le tir nous encadre, nous évite mais fait encore monter l’adrénaline. Puis tout se calme. Nous émergeons au soleil, nous apercevons le grand mur de glace au-dessous. Nous évoluons avec des précautions de chat de gouttière sur ce terrain pourri à souhait. Nous posons des assurances chaque fois que c’est possible. On a le temps maintenant. Le versant nord du Vignemale est surmonté. Une courte traversée nous permet enfin de prendre pied sur l’étincelant glacier d’Ossoue, vierge de toute crevasse. C’est là que j’étais passé un jour avec mon père, oh oui, mais y ai-je pensé aujourd’hui ? C’était bien trop loin dans le temps. Vu de mes dix huit ans, une éternité ! ! (voir : http://www.pbase.com/jmollivier/image/36228299 ).
Les espagnols maudits sont allés au sommet du Vignemale. Pas nous. Car si en plus il y avait des touristes ! ! Nous sommes venus pour le couloir, pas pour le Vignemale ! et encore moins pour les touristes ! Quelle mentalité !
Nous redescendons le glacier et nous arrêtons au bord d’un petit ruisseau qui sort de la glace. Le ruisseau murmure gentiment, nous nous étendons sur des dallettes blanches, le soleil nous enveloppe ... C’est bon tout ça. Au loin le Cirque de Gavarnie étale sa splendeur.
Pour revenir il faut remonter vers la Hourquette d’Ossoue, non loin du refuge Baysselance. Il n’y a personne. Nous nous laissons glisser sur les immenses névés pendant 600 mètres, à cheval sur nos sacs de montagne. C’est un régal. Les faces nord et le couloir de Gaube ont pris un aspect terrifiant dans les brumes ombreuses de l’après-midi. Nous là-dedans ? Crainte et fierté se mêlent dans nos têtes. Pourquoi la vie paraît si belle quand on a failli la perdre ? Qu’il est mesquin et petit le monde des hommes. Faut-il vraiment y retourner ? Il nous semble en être partis depuis une éternité.
Notre folle descente nous conduit à la « Villa Meillon », curieux assemblage de gros blocs. C’était à l’époque le seul abri de ce versant. Depuis, un refuge (de merde) a complètement parasité ce site enchanteur. Il n’y a rien de plus laid qu’une bâtisse humaine dans un paysage vierge. Je rejoignais sans le savoir la profession de foi d’un grand pyrénéiste passionné, Henry Russell. Et ils l’ont fait !
Il reste à redescendre la longue vallée de Gaube. Nous récupérons quelques affaires à l’emplacement de bivouac de la nuit dernière et cinglons vers le lac de Gaube, et le Pont d’Espagne. Super-Néocide est toujours là, pour notre plus grand plaisir. Nous complétons sur la route notre provision d’émotions fortes. Car il ne faut pas arriver trop tard. Demain nous avons un rendez-vous à honorer à l’Ossau...

Copyright 2004 - JM Ollivier

Zeiss Ikon Super Ikonta A 531 ,Zeiss Novar 1:4.5/75mm

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marieblanque15-Apr-2004 22:45
Magnifique!!