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Jean M. Ollivier | all galleries >> Climbing and skiing in Pyrenees in the '30s >> Un grand pyrénéiste aux armées > Robert Ollivier - C'est du 281 au jus !!
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1932 Clichés R. Ollivier

Robert Ollivier - C'est du 281 au jus !!

Embrun – Dimanche 26 Juin 1932

Dans le journal de Robert Ollivier, "troupier" à La Cochette (Hautes Alpes)

"Et sur ces sommets clairs, où le silence vibre,
Dans l’azur éternel, immense et pur, jeté,
On croit entendre encore le cri d’un homme libre".
José-Maria de Hérédia

Hier et aujourd’hui, quartier libre. Une aubaine certes. Mais quand on n'a plus
rien à faire, on songe, on réfléchit. Ce qu’il vaudrait mieux ne pas faire quand
on est troupier parce qu’on se rend mieux compte de sa triste condition de
prisonnier. J’ai donc rêvé.
A quoi ? Aux sommets pyrénéens éclatants de lumière. Si belles que soient
les Alpes, elles ne me feront jamais oublier un instant les montagnes, si délicatement
colorées, de l’Ossau et du Balaïtous. Déserts chaotiques, jonchés de blocs de granit
énormes, tachetées de névés étincelants.
Je n’oublie point les heures tantôt sereines, tantôt orageuses, mais toujours sans prix,
que j’ai vécues sur votre sol tourmenté. Heures de libres luttes contre le rocher rebelle,
heures de délicieuses contemplations en face des horizons les plus beaux du monde.
Bataille orageuse dans le couloir occidental de la brèche Latour, corps à corps furieux
contre le dur surplomb de l’Aiguille d’Ansabère ; dangereuse escarmouche sur la Crête
du Diable, 6 heures de lutte, sous un vent glacial et violent ; victoire inattendue et
retentissante contre la face Ouest de la Tour de Costerillou, où personne avant nous
n’avait osé tenter un assaut. Combat patient et tenace contre la face Nord de l’Ossau,
dont nous avons conquis pied à pied, ignorant tout de l’itinéraire, les sculptures
gigantesques et où la Montagne nous a mitraillés d’une belle et bruyante chute de pierre.
Doux moments de rêveries sur les sommets récalcitrants ou faciles, dans les grands
pâturages où le silence n’est troublé que par le tintement nostalgique des clochettes que
les troupeaux agitent au loin. Ciel bleu des Pyrénées, chants éternels des torrents limpides
et puissants, hymnes sonores et farouches des ouragans, nuages roses ou violet des couchers
de soleil sereins, limpidité incroyable de l’atmosphère à l’aurore.
Et vous chers compagnons, qui m’avaient conduit, ou suivi dans ces régions
merveilleuses, avec qui j’ai partagé mes enthousiasmes, mes peines et mes joies, c’est
avec émotion que je songe maintenant à vous. Les dangers courus ensemble, les victoires
acquises par la conjugaison de nos efforts ont forgé entre nous un lien que le temps ne saurait
briser. La meilleure amitié est celle qui est née au cours d’épreuves supportées en commun, d’entreprises décidées ensemble, et menées à bien
par l’alliance de deux volontés, de deux intelligences poursuivant le même but. Les images de mes chers compagnons ont surgi les unes après les autres en mon esprit : François Cazalet, le grimpeur intrépide, que j’ai connu d’abord de réputation, avant de devenir son ami et qui partait seul à l’assaut des plus rudes murailles, lui, que le sommet de la formidable aiguille de Pombie a vu deux fois, celui d’Ansabère trois fois, celui du Capéran de Sesque quatre fois et que la mort a vu bien plus souvent encore sans pouvoir l’atteindre ; lui qui, à 18 ans, comptait dans ses souvenirs plus d’ascensions dangereuses que bien des grimpeurs maintenant célèbres ; lui dont le courage et la témérité sont presque légendaires dans tout l’Ossalois. Il est de la lignée des Winkler, de ces escaladeurs invraisemblables dont les noms passent à la postérité, et dont on finit par croire
qu’aucune paroi, aucune arête diabolique ne puissent leur résister. Son caractère est d’acier,
comme ses muscles ; mais autant il est intraitable avec ceux qui lui sont indifférents,
autant il est bon et fidèle
avec ses amis.- Jean Davasse, que j’ai rencontré pour la première fois, un soir, au refuge d’Arrémoulit . Skieur hanté par la folie des neiges étincelantes, de la froide beauté des Pyrénées hivernales, que j’ai conquis à la lutte âpre contre le rocher, et dont la volonté tenace a
triomphé de l’appréhension des précipices, qui le paralysait un peu dans ses premières escalades.-
Tony Cabuzet, marcheur infatigable, toujours prêt à partir pour des randonnées interminables.- MM.
Dubosc et Wild, qui, à 50 ans, courent comme des isards sur les plus hauts pics pyrénéens et cumulent 46 sommets dans une saison.- Raymond Harot, au long corps maigre et nerveux, Pierre Boucher, bon cœur et mauvais caractère, bâti à peu près sur le même modèle que son ami Harot, avec qui il a réalisé la première conquête de la face Nord du pic de Ger (en 1930), où personne n’a suivi leurs traces.
Voilà à quoi j’ai rêvé, ce 26 Juin 1932, prisonnier à Embrun. Je suis sauvage comme les Pyrénées que j’aime, et les images qui surgissent dans mon esprit quand je rêve, ce ne sont point des cheveux blonds ni des yeux bleus ; ce sont les visions inoubliables contemplées du haut des cols et des brèches, où le vent hurle, des aiguilles où l’on domine, avec orgueil, dans l’ivresse de la liberté et de la victoire, 150 kilomètres de pics rougis par l’aurore ou le soleil couchant.
Et surtout, quel monarque, quel empereur, quel porteur de galons pourrait m’intimer un ordre, quand je suis perché au sommet, rarement violé de l’aiguille Nord d’Ansabère et quand une ceinture de redoutables précipices me défend mieux que n’importe quel rempart contre la tyrannie des hommes ?
Embrun 26 Juin 1932
Robert Ollivier

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