Dessin, : Les secteurs du groupe de Sesto
Dimanche 22 Mars 1964 – François fait connaissance avec Chantal.
Equipe : François, Chantal, Jean.
Véhicule : 2 CV
A défaut de « perdre » ce dimanche nous allons passer l’après-midi
à Arudy, Chantal, François et moi, François conduisant la 2 CV.
Nous allons faire la voie Ougnouff Ier, sur le flanc Sud de la Grande
Arête Est [un jeune, Lhoste, s’y tuera quelques années plus tard –
le seul mort officiel des rochers d’Arudy].
François part en tête dans la variante gauche de la voie Ougnouff.
Chantal et moi le suivons. Nous enchaînons par un rappel au Grand Capucin.
Puis thé traditionnel au bivouac de Sesto devant un feu de paradis.
Nous avons prolongé la soirée jusqu’à 22h, occupés à diverses discussions.
Le bonheur de parler à l’un de ses meilleurs amis en tenant dans ses
bras sa petite amie.
Vendredi 27 Mars 1964 – Sesto. Marie et Cécile font connaissance de Chantal.
Participants : Chantal, Jean, François, Marie, Cécile, Schmull.
Véhicules : Moto 500cc RGST (Chantal et moi), 2 CV (François,
Marie, Cécile), Moto 650cc BSA (Schmull).
Chantal et moi arrivons les premiers à Sesto après un voyage
à moto. et. Nous avons commencé la journée par la voie en Z avec
la sortie en IV+ et pensons rester seuls au rocher en ce vendredi.
Un jodell bruyant venu du Turon nous en dissuade : François est
là pour faire des photos et nous a repérés. Il a emmené ses sœurs
Marie et Cécile, sans doute percluses de curiosité à propos de
Chantal, et les a abandonnées pour monter sur le Turon. Elles arrivent
seules à Sesto, bientôt suivies de Schmull.
Lorsque tout le monde est réuni au bivouac de Sesto une collective
est organisée pour escalader la voie en Z, devenue grande classique.
Les sœurs Fougère font la gueule, c’est évident mais acceptent de
se faire encorder.
C’est à ce moment-là que j’ai décrypté une foule de pensées qui
couraient depuis pas mal de temps dans ma tête. J’aime cette famille
Fougère, son Foufouland, le folklore que je lui attribue, imaginaire
ou réel. Je préfère imaginaire, car comme à l’égal des dieux il n’est
jamais sali par le réel et ses mesquineries. Ils étaient pour moi un
peu comme des anges sur lesquels le temps n’avait pas prise, une
famille idéale, figée en quelque sorte, comme sur une photographie.
étaient des anges qui vivaient dans un pays, le Foufouland, terre
elle aussi idéalisée, parfaite, à la couleur de l’amour. J’étais
amoureux de tout ce que j’avais construit. J’étais aussi le frère
invité, adopté, de ces adorables enfants – du moins les voyais-je
ainsi. Alors ces trois jolies filles, Marie, Catherine et Cécile, que
j’aimais avant tout comme des sœurs, pouvais-je faire la cour à
l’une d’elle ? J’eus un faible pour Marie, la plus délurée, mais
il n’y eut aucune suite après qu’elle avoua être tombée amoureuse
d’Hervé la première fois qu’elle l’a vu. Lui aussi avait remarqué
Marie, mais c’était un papillon.
Et enfin, quid d’une alliance avec quelqu’un de cette famille ?
Cet esprit « tribu » sympa vu de l’extérieur pouvait devenir dure
avec un élément rapporté. D’autant que je la percevais comme catho
lique praticante, ce que je n’étais plus depuis longtemps. Je craignais
aussi, comme ce fut le cas de ce grand dadais de Leire, d’être obligé
de me marier si j’approchais de trop près l’une de ces grâces, études
en cours, sans ressources. Quel tableau cornélien ! Que d’a-priori
qui se sont révélés sans fondement. J’ai donc tranché en me déclarant
à l’extérieur de cette famille. Je croyais éviter un piège, ma foi
très relatif, pour tomber dans un autre tout à fait redoutable et dont
je ne réchapperai pas.
Torturé par ces pensées terribles, j’assure avec François les trois
filles dans la voie en Z. La voie terminée François s’éclipse avec ses
sœurs. Que pense-t-il de son côté ? Je sais qu’il est très discret mais
qu’il n’en pense pas moins.
Nous restons trois, Chantal, Schmull et moi. La voie du Bloc-Coincé-Vire,
autre grande classique, est choisie pour tester les capacités de Chantal.
Elle s’y débrouille bien, bravo Chantal. Pour Schmull cette voie est une
vieille connaissance et il sait comment l’amadouer !
Rien n’est noté quant à la fin de journée.
Page 442 du Carnet II
Mardi 31 Mars 1964 – Sesto
Equipe : Chantal-Jean
Véhicule : 500cc RGST
Seul avec Chantal, en moto.
Conscient qu’en dehors de la voie en Z il n’existe pas de voies
pour débutants, je tenais en ce temp-là à ouvrir et équiper des
passages accessibles à tout le monde. Promotion du rocher, topo…Je
tenais sans doute inconsciemment à vouloir dénaturer notre « maison
de campagne » par des hordes envahissantes et sans respect. En tout
cas c’est à croire. Paradoxe.
D’où l’idée d’aménager le contrefort rocheux situé sous le Départ Herr
Wick. Voies peu élevées, peu raides, avec de bonnes plate-formes
de relais, mais, gros inconvénient, situées dans la trajectoire des
chutes de pierre en provenance des parois supérieures (surtout
lorsqu’elles sont peuplées d’enfoirés de type Podevin). Dans un
premier temps je n’y pense pas et m’active pendant des heures avec
Chantal à défricher et équiper. 9 passages sont ouverts, 7 pour
« tout le monde » et deux de V et V+.
(Suit la liste des passages avec leur côtations)
[Ces passages pour débutant n’auront aucun succès. Trop bas, trop
petits, pas assez nobles, genre école CAF…].
Avant de partir nous grimpons l’attaque Herr Wick et descendons par la VN Nord.
Page 443 du Carnet II
Jeudi 2 Avril 1964 – Collective à Sesto.
Participants : Chantal, Jean, Nounours, Yves Gros, Podevin,
Georges, Alain, Bernard et quatre autres gars amenés par Nounours.
Véhicules : Moto 500cc RGST, 2 CV et autres.
Chantal et moi commençons par la voie des Soupirs, puis Nounours
arrive avec sa troupe, dont il faut s’occuper.
Nounours fait du prosélytisme et a emmené 8 bonshommes, dont Yves
Gros qui est déjà venu.
Je retourne à la voie des Soupirs avec Podevin et trois des gars
amenés par Nounours : Georges (qui grimpe bien), Alain (qui a peur…) et Bernard.
Tout ce monde décarre de bonne heure et je reste seul avec Chantal.
Le temps se gâte et la moto se fait prier pour démarrer. La panne
est vite réparée néanmoins, bien que sous la pluie. Laquelle ne nous
quittera plus jusqu’à Pau, ce qui rend la route pénible.
Dimanche 5 Avril 1964 – Sesto
Participants : 10 Fougère + abbé Pierre Devianne (Dominique, Denyse,
François, Marie, Catherine, Cécile, Philibert, Edouard, Nicolas,
Claire), Nounours, Georges, Leire, Martine, Jean.
Véhicules : 4x2CV, moto 500cc RGST (Jean).
Beaucoup de monde aujourd’hui à Sesto : au moins 16 personnes,
dont l’abbé Pierre Devianne !
Pendant que tout le monde s’amuse à droite et à gauche j’emmène
Leire et François à la Directissime pour l’équiper. Le Sesto-Club
ne perd jamais de temps pour améliorer son rocher. Comme nous
envisageons d’équiper la partie supérieure de la voie j’épargne
à mes compagnons, surtout Leire, la dure escalade de la première
longueur, et nous passons par la voie du Bloc Coincé-Vire pour
rejoindre le premier relais de la Directissime, en pensant que
Leire connaît cette voie du Bloc par cœur et qu’il peut y courir
les doigts dans le nez.
Que nenni ! Mais que lui prend-il aujourd’hui ? Il aborde la
vire d’une façon incompréhensible, s’y prend très mal, sue à
grosses gouttes, est sur le point de renoncer. Crise d’angoisse
liée au vertige qui submerge le « vainqueur » en second de la
voie Calame-Carrive à Ansabère et de bien d’autres escalades.
Il y a des jours comme ça. Lorsque il émerge de la vire, tremblant
et dégoulinant il affirme qu’il vient d’avoir la plus belle (sic)
peur de sa vie. M’est avis qu’il doit être furieusement amoureux
en fait ; la Martine de tous ses émois n’est d’ailleurs pas loin…
Le temps qu’il se remette de ses émotions de haut niveau nous
arrivons au relais de la Directissime, au niveau du surplomb médian
de cette voie. J’entame alors un dur travail de forgeron, pendu
sous le surplomb. L’abbé Pierre qui nous observe depuis le bas,
balbutie, vert de peur : « Ah ! Quel jeu de con ! », ce qui pour
nous renforce la noblesse de notre entreprise, car nous avons tôt
fait dans notre tête d’inverser la proposition « Oh combien notre
jeu n’est pas fait pour les cons ! », et nous reprenons notre labeur.
Un solide relais sur deux pitons permet de faire venir François et
Leire (bizarre, il n’a rien dit dans le vertigineux surplomb qui a
tant impressionné l’abbé Pierre). Alors que je suis occupé à grimper
la dernière partie de la voie un oiseau, relativement gros, prend
mon nez pour un perchoir ! Impression garantie, car un coup de
bec dans l’œil peut vite arriver. Mais il a dû sentir que j’aimais
les animaux et il est parti comme il est venu…
La sortie sur la Pointe Centrale se fait à nuit tombante. Un thé
rapide au bivouac, un compte-rendu rapide dans
le Livre d’Or de Sestograd et il faut filer.
Page 444 du Carnet II
Mardi 7 Avril 1964 – Sesto.
Participants : Chantal, Jean, François, Schmull, Guy Lortet,
Dutrey [alias partout-partout]
Véhicules : 500cc RGST (Chantal et moi), 2 CV (François et
Schmull) et autres voitures.
Chantal et moi, arrivés en 500cc ouvrons le bal. François et
Schmull suivent. Nous allons à la voie normale de l’Aiguille
Sud. Le confort général que l’on peut trouver à Sestograd ne suffit
pas à Schmull, il fait qu’il y rajoute une note de luxe avec un paillasson.
Alors que nous négocions la voie surviennent deux nouveaux
sur le site de Sesto : un visage connu, Dutrey qui était trésorier
du CAF de Tarbes et que j’avais
connu à Espingo en 1960, et un palois étudiant en médecine
avec François, Guy Lortet. Ce dernier est un personnage assez
marrant, qui ne manquerait pas d’être une personnalité de
Sestograd s’il persiste à y revenir régulièrement [ce qu’
il ne fera pas]. Il fait la voie en Z avec Dutrey et sort par
la variante IV+ qui ne doit pas en être ai-je noté [A voir
tout ce monde qui passait par là j’en avais déduit que ce
passage était surcoté].
Après quelques plaisanteries au bivouac Lortet et Dutrey dit
partout-partout vont à la voie du Bloc Coincé-Vire. Partout
-Partout se dégonfle à la Vire et ils s’en vont en rappel,
puis quittent Sesto de bonne heure.
Ceux qui restent vont travailler un moment à l’édification du
refuge. Pour le moment c’est le mur principal qui est en construction.
Page 445 du Carnet II
Mercredi 8 Avril 1964 – Sesto.
Cordée : Chantal-Jean
Participants : François, Marie, Guy Lortet, Schmull, Yves Gros,
Alain Espagnac, Marc-Antoine Scotto, Joël X, Jean-Claude XX.
Véhicules : Moto 500cc RGST, 650cc BSA ? (Schmull), 2 CV et autres voitures.
Alors que nous arrivons, Chantal et moi, il y a déjà 5 gars aux
prises avec les « petits » rochers fraîchement défrichés. Voilà
qui fait plaisir, mais cet engouement ne durera pas. Nous y trouvons
Yves Gros, Alain Espagnac, Marc-Antoine Scotto, Joël X,
Jean-Claude XX. J’emmène Yves et Alain au Bloc Coincé, suivi
de François, Marie et Guy Lortet qui viennent d’arriver avec
Schmull qui, lui, fait le guide dans la voie en Z avec les autres.
Au Bloc Coincé la vire en fait baver plus d’un. J’enchaîne avec
l’Aklon, où c’est moi qui en bave, mais pas tant qu’Alain Espagnac
qui opère un splendide dévissage et qu’Yves qui préfère renoncer
après plusieurs tentatives infructueuses. Guy Lortet passe les
doigts dans le nez. Il promet le garçon.
Après un repas énorme, qui menace de se prolonger sine die, tout
le monde déménage au secteur du refuge. J’emmène Chantal à la
voie normale du Coiffeur ; je suis suivi de François, Jean-Claude
et Schmull. Le reste des effectifs voulant participer à la
construction du refuge passent leur temps à charrier un énorme
bloc jusqu’au refuge.
En poussant assez haut à la voie normale du coiffeur je découvre
une caverne curieuse et haut perchée. Je marque une pause
avec Chantal sur l’arête.
Nous descendons ensuite au refuge pour aider à la construction,
au continuer la construction du refuge, nous entendons des
appels que je localise mal. Sourde oreille, la barbe ! Les
appels se précisent : c’est François et ils sont en panne.
Descente rapide au parking, puis en moto à trois jusqu’au
garage d’Arudy. De là je ramène François au Foufouland où il
récupère la 2 CV valide et retourne à Arudy prendre Chantal,
Marie, Schmull et Lortet. Pour François qui était parti tôt de
Sesto pour accompagner tranquillement l’abbé Pierre à la gare,
c’est (presque) raté. Cravachant sa 2 CV à qui mieux mieux il
arrive à la gare de Pau juste au moment du départ de l’abbé Pierre. Ouf !!
Page 446 du Carnet II
Dimanche 12 Avril 1964 – Sesto.
Participants : Nounours, Christian (Blaise ?), Leire, JP Debat, militaire X, Jean
Véhicules : 2 CV et autres voitures.
Nounours, accompagné de Christian (Blaise ?) vient me chercher
pour aller à Arudy. Nous passons au Foufouland où nous échangeons
les voitures [sans explication dans le manuscrit – peut-être Nounours
y avait-il abandonné sa vieille deuch et avait embarqué dans
celle de François].
A notre arrivée à Arudy il y a déjà Leire et JP Debat accompagnés
d’un copain militaire de moi inconnu et dont j’ai oublié le nom.
Ils vont faire la TS (du côté de la voie des Soupirs), pendant
que je vais grimper avec Christian (Blaise ?) à la VN de l’Aiguille
Sud, qui est une très belle escalade. Leire et Debat, retour d’un
échec cuisant à la TS, ne veulent pas nous suivre dans cette voie,
n’étant pas en forme disent-ils. Il se rattrapent en allant faire
la voie de IV à droite de la voie des Soupirs.
La soirée est occupée par Leire, Christian et moi, à travailler au
mur du refuge. Nous arrivons à placer des blocs particulièrement
« colossaux » [on voit là que nous ignorions totalement la technique
de construction des murs en pierres sèches !].