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1946 B. Clos

Face sud de la Pte Jean Santé : seconde ascension

Ossau

Dans la fissure sud du cirque du Pentagone
Cette fissure, extrêmement raide, qui s'élève de la Raillère de Pombie jusqu'à la base du cirque du Pentagone, est la plus soutenue des voies de l'Ossau. Les difficultés s'y succèdent et le Ve degré y est fréquent. La première ascension fut réussie par la cordée Marcel Jolly, Arnautou (Marc et Jean), Limargues le 31 août 1946. La cordée J. Arnautou-M. Jolly termina la course à la Pointe Jean-Santé, par un dièdre de 45 mètres et une fissure difficile. (« Altitude » n°6, 1947). La deuxième ascension jusqu'au cirque du Pentagone a été faite par B. Clos et A. Brives, le 26 août 1947, et la troisième par R. 0llivier, Paulette Daudu, A. Ballocq, J. Dauga, le 3 octobre 1948.
Récit de Bernard Clos
Pendant la brève marche d'approche à travers la Grande. Raillère nous avons contemplé ce formidable dièdre vertical qui s'ouvre dans l'austère face de Pombie. Comme devant la Face Nord du Petit Pic qui se découvre soudain aux regards du grimpeur, hautaine et verticale dans le ciel bleu du matin, nous avons pressenti dans nos membres la rigueur de l'effort qui nous donnerait peut-être la clef de l'obstacle. Devant le mur doré déjà par le soleil levant, nous avons hésité un moment, comme étonnés de notre audace. Cette course n'avait été réussie qu'une fois, et elle avait été extrêmement rude. Mais il n'était plus temps de reculer. Nous avons senti dans la paume des mains ce tremblement que l'on sent toujours au départ des grandes courses, lorsque le contact de la pierre rude marque le début de l'aventure nouvelle.
Après une traversée désagréable vers la droite nous sommes sous le Bloc du Choucas. André Brives, mon compagnon, ne dît mot devant la bizarre cassure qui entaille cette énorme verrue brune. Un piton aidant, je me hisse avec difficulté dans la cheminée étroite. Sur le belvédère où je débouche, face au vide, l'horizon s'élargit; on domine la Raillère. La vue s'étend à l'infini vers les sierras bleues estompées dans l'horizon vaporeux. On se croirait à la proue d'un bateau immense. Et voilà, justement André qui surgit de sa «cale» pour faire cesser l'illusion. C'est derrière nous que l'affaire se passe dans un terrain vague plaisamment qualifié de «plus facile». Il le paraît en effet, et nous en sommes, tout réjouis. Je pars aussitôt et je m'engage, très loin à l'horîzontale, sans pouvoir progresser d'un mètre en altitude.
J'hésite longtemps, je vais, je viens, en adhérence sur des dalles moutonnées, je manque cent fois le dévissage et finis par trouver une, fissure où planter un piton précaire pour remédier à l'existence de toute prise. Je me hisse et le manège recommence. Craignant de nous être fourvoyés, nous consultons sans succès la notice de nos devanciers. Ce terrain «plus facile» nous laisse perplexes et nous augurons mal de la suite lorsque, tout à coup, paraît sur une petite plate-forme un piton muni d'un anneau de corde, témoin d'une tentative infructueuse et au-dessus commence le dièdre qui occupait nos esprits, depuis bien des jours.
Mais le temps a passé bien trop vite. Nous avons gagné de l'altitude. Rien, ne s'agite autour du refuge maintenant minuscule. Nos amis restés en bas, n'ont sans doute pas bougé depuis notre départ, intrigués par la lenteur de notre progression. Nous finissons par les distinguer, taches noires dans l'inextricable pierrier juste au-dessous de nous, à quelques mètres du point d'attaque. Curieuse atmosphère que celle-ci ! La rude ambiance de la course nous étreint car autour de nous l'œil ne distingue rien qui le repose, pas de vire qui attire, rien qu'un paysage inexorablement vertical, c'est bien la face sévère de Pombie, telle qu'on la, contemple depuis le refuge. Perdus dans son sein il nous semble que, pour en sortir, il faudra, vaincre des difficultés énormes tant nous nous sentons petits et dérisoires sur ce perchoir étroit, aux pieds de ce dièdre géant qui nous domine brutalement. Très haut, contre le ciel bleu, le vent tiède agite mollement une, touffe de fougères. Les ailes déployées, un oiseau plane dans l'azur. C'est l'heure tranquille. Pour nous seuls le temps est impitoyable.
A l'œuvre donc. Impressionné par l'ambiance, je flaire à ma droite une duelfer surhumaine qui s'élance à la verticale. André me rappelle à l'ordre. «Tu ne crois pas que ce serait plutôt par ici ? Ça me paraît meilleur !» En effet cela va bien mieux et sur les prises rares nous progressons, heureux d'avoir enfin entamé les grosses difficultés. Voici le premier passage-clef, un énorme surplomb barré d'une fissure oblique où perche un incroyable piton. Nous nous regardons perplexes. Hélas ! notre expérience est encore jeune et jamais encore nous n'avons trouvé semblable passage en pareil endroit. Je m'élance sur une dalle raide et humide et je finis par saisir un becquet tourné vers le bas. Penché en arrière je le tiens de la main gauche et j'élève mes pieds bien à plat sur la dalle, le plus haut possible. Je parviens à saisir le piton de main droite. Je me tire sur lui. Au-dessus, pas de prise, j'aperçois d'autres pitons. Il faudrait donc passer en escalade artificielle. Penché en arrière, je me fatigue énormément ; un doigt passé dans le trou du piton ne me tiendra pas longtemps. Il faut descendre ou passer. De la main gauche j'essaie de prendre à ma ceinture un de mes mousquetons. Ils sont si empêtrés que je n'arrive pas à le dégager. Les secondes cruciales, s'écoulent. Pour redescendre il faudrait pouvoir ressaisir le becquet inversé et reprendre l'opposition contre la dalle raide. Pareille manœuvre est problématique. Il est trop tard, d'ailleurs; je sens ma main lâcher peu à peu sous mon poids. De toute ma volonté j'essaie de garder ma main fermée mais elle s'ouvre malgré moi. Deux secondes où je sens le recul instinctif de l'être, la crainte innée de la chute imminente. Je regarde André crispé sur sa corde passée autour d'un becquet branlant et je tombe en arrière, la tête en bas, vidé de toute force. Je vois vaguement défiler les dalles grises. Un choc terrible, je tourbillonne comme une araignée au bout de son fil, c'est l'arrêt d'une seconde, et tout recommence. Toujours la tête en bas, je comprends confusément ce qui se passe : le bec branlant a cédé et André tombe après moi. Nous allons atterrir dans le pierrier. Soudain un freinage, j'arrive sur la plateforme de départ du dièdre, brutalement. Brives est toujours à son poste au-dessus de moi. Tout est stabilisé. La chance, une fois encore, nous a souri. Le bec a tenu et la verticalité de la paroi m'a sauvé. Dix-huit mètres de chute libre, trente mètres de chute totale. Je n'ai pas heurté seulement le rocher. «Il faut descendre», dit André. -- Pourquoi ? — Je suis blessé aux mains». Incrédule, je réponds : «Ce n'est rien, on va continuer».
Je le rejoins facilement. Il est vraiment blessé. Des brûlures effrayantes aux mains, qu'il recouvre hâtivement de sparadrap sur la chair vive. L'intérieur des mains est emporté. La douleur l'a fait relâcher la corde sous le choc mais il s'est vaillamment repris ensuite pour enrayer définitivement ma chute. Brutalement, la situation est devenue tragique. La descente est incertaine car André ne peut se servir utilement, de ses mains pour descendre en rappels de corde. Monter est également problématique. Mais en montée je pourrai tirer mon compagnon. En descente je ne saurais le retenir, C'est pourquoi nous continuons l'ascension. Profitant de l'euphorie, nerveuse causée par ma chute, je me munis de deux étriers et, dans la position occupée naguère, je les fixe et, me rétablis sur eux. C'est gagné. André me suit avec peine, mais je peux le tirer efficacement. Les difficultés, continuent, que nous franchissons tant bien que mal. Sous la fissure terminale nous sommes épuisés. J'essaie de l'atteindre par la gauche pour m'y glisser ; je n'y parviens pas. L'énergie nerveuse qui me soutenait m'a abandonné. Pour le moindre rétablissement, je dois hisser André de toutes mes forces. Son courage est admirable mais ses mains ne peuvent lui servir et il souffre de se voir en un tel état. Quant à moi, je ne peux pas me hisser dans la dernière fissure Par trois fois je manque une nouvelle chute, fatale cette fois, car l'assurance est depuis longtemps illusoire.
Je reste longtemps accroupi sur une étroite vire déversée, dans un état de, complète prostration Enfin je me réveille, et, sortant du dièdre par la gauche à l'aide d'un piton, je parviens à forcer un mur qui mène dans le crique gris du Pentagone. De toutes mes forces je réussis à hisser André par la fissure. Nous nous retrouvons enfin tous deux dans un lieu confortable pour boire une boîte de lait condensé. André me dit, que j'ai vieilli de dix ans. Il ne vaut guère, mieux. Une poussière noire de lichen encombre ses cheveux, elle s'est arrêtée sur ses rides et se mêle dans sa bouche au lait qu'il mastique comme une pâte.
Qu'importe, le, retour est désormais probable. Pour éviter le bivouac, nous nous hâtons vers le Pentagone, puis vers le Rein de Pombie où, après une lente et pénible traversée, la nuit nous surprend. Nous descendons la voie normale de l'Ossau par nuit noire. Plus tard seulement ce sera le refuge et le repos, l'accueil touchant de nos, amis. Désormais nous ne donnerions rien au monde pour avoir renoncé à cette course, tant les plus mauvais moments sont beaux aux yeux du souvenir.
N.B. Ces impressions datent de 1947. Un « dévissage » dû à une fausse manœuvre du leader, au premier passage-clef, rendit cette course très dure. Cependant, par la qualité du rocher et la sévérité du profil, elle est très belle. Toutefois elle est à la portée des cordées bien entraînées à la technique moderne du rocher.
Bernard CLOS. Altitude n° 23, 1951


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