Dimanche 10 Septembre 1961 – Escalade à Sesto.
Participants : Maïky (la revoilà !), Marie-Jo, Vincent, Jean.
En ce samedi après-midi 9 Septembre je rongeais mon frein, ne sachant comment faire pour amener Marie-Jo, la sœur d’Hervé que j’ai invitée à faire de la montagne ou de l’escalade à Arudy. Marie-Jo n’est pas adepte du vélo, il faut donc trouver un véhicule.
Vers 16 heures la Providence [ou le Diable] vient à mon secours. Alors que je bosse à mes examens dans ma chambre d’El Patio, j’entends une voix provenant de dehors : « Jean ». Voix féminine ressemblant à celle de ma petite sœur Hélène ; mais c’est petit Maïky qui est là et mon grognement [sympa pour Hélène !] se transforme instantanément en un large sourire. On l’oublie vite celle-là, mais ça fait plaisir de la revoir. Cette mignonne chose vient me porter des photos en couleur qu’elle m’offre, la gentille [sans doute des photos de la balade au Ger avec Loulou, voir plus haut].
Je lui fais part de mes malheurs. Elle n’osait pas trop me demander de l’amener à Arudy [gonflée la minette après l’épisode sac de patates et tout le carnaval du paternel]. Je calme ses scrupules et nous arrangeons ça pour 8h demain matin. Tant et si bien que j’oublie, puis que je n’ose, lui parler de Jo.
Au moment où j’allais lui téléphoner [quand et pourquoi] elle me demande par fil si demain matin je peux aller la chercher à Mont Vert, chez ses parents. Sa maman est inquiète, elle craint de la voir descendre seule des côteaux avec la 2 CV. Elle n’a le permis de conduire que depuis 4 jours seulement. Aussi… Je lui parle de Jo. Elle est d’accord.
Dimanche matin j’attrape une suée en montant à Mont Vert. La descente vers Pau ne s’effectue pas trop mal. Les réflexes restent néanmoins à éduquer. A Pau, chemin rural Cazalis villa Mamaïta nous embarquons Marie-Jo qui tient absolument à amener Vincent. Elle y réussit. Là, elle est emmerdante.
Sur la route rien de particulier, si ce n’est un accident frôlé à la sortie de Pau ! Un détail. Les deux Butel, les fesses serrées posées sur les places arrières, tremblent de peur et le font savoir. Finalement agaçants ces deux-là, verts de peur !
La montée du pierrier qui conduit au bivouac de Sesto les calme un peu et ils peuvent enfin se reposer sur la « couche nuptiale » du bivouac, ainsi nommée par Hervé. Hervé qui continue à travailler à Chamonix et à courir la montagne là-bas. Et qui communique épistolairement de façon assidue avec Maïky, nous le saurons plus tard.
Nous faisons semblant de grignoter quelque chose avant d’attaquer l’escalade. La chaleur est épouvantable et je me mets torse nu. Vincent déclare forfait, il a trop peur, il n’a pas encore digéré les angoisses de la Voie des Soupirs ! Bon débarras d’ailleurs.
Cordée de trois : Jean - Marie-Jo – Maïky en brillant second. Itinéraire ultra-classique : Bloc Coincé par le Dièdre puis la Vire. Marie-Jo se demande déjà comment grimper le dièdre et déploie tous ses efforts pour y parvenir. J’en déduis que la cotation IV est pleinement justifiée, Marie-Jo en ayant fourni la preuve (le IV est la limite extrême de ce que peut franchir un débutant disons moyen). Par contre elle s’en tire très bien pour surmonter le Bloc Coincé. Quant à Maïky ça va bien partout. Non seulement elle connaît car elle est déjà passée parlà, mais encore elle a assimilé. De plus aujourd’hui elle est chargée [ ?] à bloc. Elle s’est prise à aimer l’escalade et elle en veut. Son moral est au plus haut.
Sur la Vire, Marie-Jo est au plus mal. Elle tremble de tous ses membres. Peur, fatigue, elle se crispe trop. Il faut dire à sa décharge que cette vire est impressionnante. Hervé et moi n’avions même pas envisagé de la franchir la première fois que nous avons pris pied sur le Bloc Coincé. Nous étions psychologiquement coincés. Aujourd’hui la chaleur épouvantable qui règne sur cette paroi n’est pas faite pour arranger les choses. Jo pense y mourir. Mais elle trouve les ressources dans un sursaut salvateur de sortir de cette vire du diable. Haletante elle s’installe au relais. Je lui explique que son embarras sur la vire venait de ce qu’elle était trop plaquée sur le rocher, position faussement sécurisante. Elle écoute mais je sens que ça n’imprime pas.
Maïky arrive sans problème, avec sa méthode à elle pour passer la vire. Le vide l’impressionne toujours. Mais ce que nous venons de faire n’a pas été suffisant pour décharger ses accus. Nous continuons par la traversée sous l’Aiguillette et la montée directe à cette dernière.
Marie-Jo peine à la traversée, bien qu’encouragée par Maïky. Et elle s’effondre lors de la montée directe à l’Aiguillette, résultat conjugué des émotions, la peur du vide, une fringale, la chaleur et la fatigue. Elle est prise d’éblouissements, de bourdonnements d’oreille, l’impression générale très désagréable d’aller « ailleurs » ainsi qu’elle l’a décrit, ou de s’en aller tout court, de mourir. Elle tombe dans un état de faiblesse extrême, elle perd le sens des réalités, ne sait plus où elle est, elle se blottit contre le rocher comme si elle voulait s’y incorporer et m’appelle : « Jean… oh Jean, qu’est-ce qu’il faut faire ?… Aide-moi Jean… ». Elle essaie de s’abstraire du vide, elle est désemparée.
A mon relais, quelques mètres au-dessus d’elle, je plante un piton et l’attache, puis descend à son niveau pour la soulever et l’aider à atteindre l’Aiguillette. Elle se remet doucement, à l’ombre du rocher. Maïky arrive, toujours très à l’aise.
Surprenant ! Les deux filles veulent continuer par l’Aklon, sans savoir réellement de quoi il s’agit. Maïky pense qu’elle est très en forme et qu’il faut en prifiter, Marie-Jo, très Butel en l’occurrence, pour ne pas casser l’ambiance, pour ne pas gâcher l’escalade. C’est bien du courage après ce qu’elle vient de subir !
Si je suis presque sûr que Maïky serait passé à l’aise, il n’en est pas de même pour Marie-Jo. Elle est affaiblie et ce passage est au-dessus de ses moyens techniques. Je n’ai pas envie de lui voir faire un grand pendule ravageur, comme pour le toubib Nougué auparavant.
Nous sortons simplement par la Cheminée Carrée. Vincent nous attend avec de l’eau. Il aura toujours servi à quelque chose. Nous n’allons pas à la Microde, qui était inscrite dans le projet d’escalade, pour permettre à Jo de récupérer et préférons rejoindre le bivouac pour faire une bombance bien méritée et conjurer le mauvais sort. J’apprécie grandement l’Armagnac et le rhum à l’orange offerts par Maïky. Nous savions vivre en ce temps-là. Mais je refuse obstinément les cigarettes que les deux filles fument comme des pompiers.
Après ces agapes les filles sont remontées comme des coucous (l’Armagnac n’y est peut-être pas pour rien !), et elles tiennent absolument à faire la Verte, la voie de l’Elite dont elles veulent désormais faire partie, les coquines. Le soleil tape encore la paroi et je ne suis pas très chaud pour la Verte, façon de parler. Je leur propose un peu d’artif avant de faire la Verte. Ça les intéresse, c’est nouveau. Que ne feraient-elles pas pour me séduire ?
J’ai mon idée, ça va faire une excellente voie nouvelle. Nous [qui exactement ?] grimpons rapidement, non encordés (ô imprudence) la partie inférieure de la voie en Z de façon à arriver au pied de la fissure de la Verte. Il est en effet possible de tracer une voie juste à droite de la fissure de la Verte. Il suffit d’atteindre une niche où pousse un arbre. Il fait une grosse chaleur et le soleil n’est pas encore passé derrière la colline.
J’attaque, et dois monter les premiers mètres en artificielle assuré par Marie-Jo, dans une fissure peu visible, tout contre celle de la Verte.J’effectue ensuite une amusante traversée à droite, l’occasion pour les filles de me prendre en photo. Suit un rétablissement avec l’aide d’un piton sur une marche minuscule (5x5 cm). Après quelques instants d’hésitation je me lance en libre et parviens à la niche que j’aménage de mon mieux. Relais assez bon tout compte fait. Eh bien j’y suis. Il y a seulement un an jamais je n’aurais osé me lancer dans l’artif avec des seconds trop faibles, n’arrivant pas à bloquer la corde comme il faut, ç’aurait été la panique. Je commence à avoir la confiance qu’il faut.
C’est au tour de Jo de me rejoindre. Les grattons du bas du passage permettant de rejoindre le premier piton la mettent dans une situation difficile. Elle n’ose se servir des cordes et se crispe trop. Ce sont les défauts du débutant en escalade artificielle. Aucune confiance en la corde, partant mauvaise utilisation et fatigue excessive. Elle se fait des nœuds à plusieurs reprises avec les cordes et finalement je dois l’aider. Elle arrive épuisée au relais. Un étourdissement menace de la reprendre.
Maïky arrive ensuite sans trop de mal. Par suite d’une erreur de manœuvre elle laisse un mousqueton sur un piton et n’ose faire le pendule qui lui permettrait de récupérer le mousqueton. Je ne lui ai pas fait enlever les pitons, cela valait mieux. Son potentiel baisse (ça se voit sur les photos), il vaut mieux ne pas insister.
Assuré par les deux filles je vais récupérer le fameux mousqueton, ce qui se fait rapidement. La fin de la voie est intéressante, n’eut été la présence d’un arbre abritant des guêpes ou des abeilles. Vincent nous attend à nouveau en haut avec de l’eau et des pommes. Photos du groupe.
Les émotions ne sont pas terminées pour les Butel, Marie-Jo surtout. Le retour en voiture réveille leurs transes frénétiques provoquées par la conduite de Maïky. De là à être morts de peur. Au premier virage de la côte de Sévignacq ils ont failli s’évanouir, Maïky n’aurait-elle pas vu que la route tournait ? Toujours est-il que Maïky n’est pas très sûre au volant, il faut bien l’avouer, d’autant plus qu’elle même est gagnée par la panique. Je fais ce que je peux pour la calmer et lui remonter le moral.
En entrant à Pau les ennuis commencent. Elle réalise seulement qu’elle n’a pas de freins à main ! Panique à nouveau au premier démarrage en côte. Avec trois pieds travaillant en équipe le problème est résolu de manière à peu près satisfaisante. Plus loin, au bas de la côte du XVIIIème des motards nous arrêtent. Gla Gla. Mais c’est simplement pour nous signaler qu’il manque un phare. Peu méchants ils n’insistent pas [fin de service sans doute].
Maïky vient dîner à El Patio et sa mère vient la chercher à 22 h. [Et la Deuch ?].