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Juin 56 jmo

L'Immaculée Conception de Pau, classe de troisième en 56

Classe de Troisième : professeur principal l'abbé Duvergé (sur la photo)
J'ai retrouvé avec plaisir mon camarade Gérard (blouson blanc) sur cette photo.
En vélo nous avons écumé les routes du Béarn durant l'année
scolaire 1956, cette année de troisième sanctionnée par le BEPC.
Je me souviens avec précision de la première "grande" balade
que nous fimes.

Le vœu de Gérard
………………..
.....Afin de nous tester sur de longues distances plutôt que sur de courtes pentes revêches et en profiter pour prendre l’air loin de chez nous, j’arrive à convaincre un camarade de collège dynamique et décidé, Gérard Renard, à venir faire avec moi une vraie balade en vélo. Cela s’appellerait du cyclotourisme aujourd’hui. Si le concept existait dans les années cinquante, il ne concernait qu’un nombre très faible de pratiquants. En dehors des villes, ou au voisinage des villages, lieux dans lesquels la bicyclette rendait de fieffés services, on ne rencontrait pas de cyclistes, ou si peu.
Le parcours que je propose à Gérard passe en principe par Oloron, puis Arudy via le Bager et retour à Pau par Rébénacq et Gan. Pour un début ce n’est pas mal. Nous verrons par la suite que ce trajet va s'enrichir de notables variantes !
Mardi 1er mars 1956 nous nous retrouvons à 8h30 à l’intersection du Boulevard d’Alsace-Lorraine et de l’avenue Jean Mermoz à Pau. Nous emportons un petit casse-croûte, un demi-litre d’eau chacun dans le bidon d’aluminium du vélo et une vieille carte Michelin. Nous ne portons pas de vêtements particuliers, seulement un anorak, en cas. Vélos monovitesse, guidon droit.
Quel bonheur de remplir ses poumons d’air frais et de foncer tête baissée vers la sortie de la ville, en descendant en trombe la rue qui mène au Pont du IV Juillet au-dessus du gave vers Jurançon. Ca part très fort. A Gan, après 7 km, nous tenons conciliabule. La route nationale qui rejoint Oloron est trop fréquentée à notre goût (déjà !) et nous jugeons plus agréable d'emprunter le chemin des écoliers qui passe par Lasseube et Estialesq. Nous sommes arrivés tellement vite à Gan qu’il nous semble déjà que notre balade va être trop courte, et que quelques extras ne peuvent que l’agrémenter agréablement. D’ailleurs Gérard est passé par Estialescq avec ses parents récemment et il m’assure que c’est facile et sans problème. Va donc pour Estialecq !
Cette route est très touristique, tout à fait charmante, sans la moindre circulation mais elle a un profil de montagnes russes. La moyenne tombe ! Les 23 km de Gan à Oloron nous prennent plus d’une heure, et nous nous demandons si nous avons bien fait de passer par là. Gérard était en voiture lorsqu’il l’a parcourue avec ses parents et il n’avait pas remarqué le relief ! Cependant il n’est pas 10 heures du matin lorsque nous caracolons sous un beau soleil dans les rues d’Oloron, qu’il faut traverser pour rejoindre à 8 ou 9 km le village de Lurbe-Saint-Christau, à la porte de la majestueuse forêt du Bager. Tout va bien jusque là, et dès Lurbe passé, nous nous sentons sur le retour.
Nous pique-niquons au bord d’un ruisseau juste avant le bois du Bager proprement dit. Ces grandes forêts et la proximité des premières montagnes (Mail Arrouy, Escurrets…), confèrent un caractère d’aventure à notre équipée. Qu’il nous semble loin le collège, qu’elle est loin la maison familiale. Nous avions coupé les ponts, nous nous sentions très loin de tout cela. Nous nous sentions libres et je me souviens que, tous les deux, nous partagions cette euphorie et en parlions. Avec nos petits mollets nous étions sûrs de pouvoir aller n’importe où. Gérard avait en plus l’art et la manière de lier conversation avec les «naturels» du pays pour leur soutirer des renseignements sur le chemin à suivre (la signalisation était loin d’être ce qu’elle est devenue aujourd’hui). Tout allait bien.
En guise de digestif nous traversons la forêt du Bager, un peu sévère en ce début mars car les arbres à feuilles caduques sont encore nus, mais la majesté du lieu nous enthousiasme. Nous nous en imprégnons et l’adoptons. Sans que nous nous en doutions un lien profond se crée avec les pays que nous découvrons aujourd’hui, un lien d’amour dont nous ne pourrons plus nous passer à l’avenir. Nous sommes victimes du syndrome de la terre natale vers laquelle toute sa vie on aspire à revenir, ou bien à ne pas la quitter, surtout quand elle est si belle.
Nous sortons tout ébouriffés du bonheur des merveilles rencontrées dans la grande forêt, de laquelle nous nous attendions à voir surgir à chaque instant ours sauvages et phacochères en délire. Mais le grand silence de ces lieux majestueux nous impressionnait tout autant.
Nous arrivons à Arudy en pleine forme, juste échauffés, et joyeux d’avoir si bien négocié cette première partie du parcours. Ah ah ! on aurait bien aimé les voir les «autres». Nous ne pouvons nous empêcher, affreux gamins que nous sommes d’évoquer les petits camarades de collège, un peu trop choyés et vite fatigués, et que nous aimions faire souffrir. Gosses de riches ! Les parents de Gérard, bien que de conditions modestes, lui font suivre sa scolarité dans un collège privé qui ne bénéficie pas encore des subventions d’état. Il faut savoir compter. Quant à moi, ressources ou pas, mon père a élevé ses enfants à la dure, dans le culte de la performance. Etre le meilleur était tout juste suffisant ! Zéro défaut !
Bon. La journée est à peine entamée, nous avons des fourmis dans les jambes et surtout aucune envie de rentrer à la maison à la mi-journée. Au lieu de revenir directement sur Pau nous décidons donc d’effectuer un petit détour par Nay, via Mifaget et Bruges, une vingtaine de km en plus sur notre plan de route initial.
Ces routes faiblement vallonnées se laissent parcourir sans peine. Juste un peu mal aux fesses, et encore…
Au carrefour des routes de Nay et de Lourdes, nouveau dilemme. Rallier Pau, comme le bon sens devrait nous le dicter ? Car en effet pour une première sortie au long cours, le contrat avait été bien rempli. Le retour par la morne plaine de Nay ne nous disait rien. D’autant moins en ce qui me concernait que je connaissais bien la route Pau-Bizanos-Igon et retour pour l’avoir parcourue un certain nombre de fois avec ma maman et mon petit frère Pierre pour rendre visite, généralement le jeudi après-midi, à ma sœur Christine pensionnaire dans l’Institution religieuse qui faisait la réputation du petit village d’Igon. On allait généralement se promener le long du gave avec la «prisonnière».
Igon, Bétharram, deux mots qui sonnaient comme le tonnerre dans la bouche de notre père. Ceux qui travaillent mal seront mis pensionnaires, à Bétharram pour les garçons, à Igon pour les filles. Pensionnaire ! Terreur ! Finies les petites balades du soir après l’école, finies les lectures sauvages tapi au fond du lit, sous les draps lorsque toutes les lumières sont censées être éteintes, finie la construction de la cabane jamais terminée au fond du jardin, adieu mon élevage de tritons, mes observations astronomiques, bye bye tous ces petits riens qui font le charme de la vie quotidienne, libre et indépendante. Sans compter la terrible réputation de ces institutions auprès des collégiens de la région. J’avais frôlé la sanction, mais ma sœur Christine, très dégourdie pour son âge, indépendante et pas toujours obéissante – et pas forcément attentives aux préceptes du père en ce qui concernait les études – y avait eu droit.
Donc cette région il fallait la fuir au plus vite ! Direction Pontacq ? Le détour n’était pas énorme, mais l’itinéraire pour rallier Pontacq nous parut compliqué (nous devions déjà être un peu fatigués). Et là, comme inspirés par l’odeur de sainteté répandue par le collège de filles d’Igon, nous eûmes tous deux, Gérard et moi, la même idée : et si l’on passait par Lourdes ?
Notre virée prenait de ce fait une toute autre envergure ! Nous passions d’une simple petite balade de collégiens en goguette à un véritable pèlerinage vers la ville sainte ! Cette perspective nous donna des ailes… toutes relatives cependant !
Le trajet vers Lourdes commençait à nous éloigner sérieusement de nos bases, et nous savions bien qu’une fois arrivés à Lourdes, 40 km allaient nous séparer encore de Pau, de chez nous. Serons-nous capables ?
Gérard a des parents propriétaires d’un hôtel à Lourdes, oncle et tante, l’occasion de les saluer. Nous les gamins sommes très respectueux des «grands» et aimons à voir reconnus nos mérites par eux. Sûr qu’ils vont être étonnés !
En attendant nous commençons à «ramer» sur la route qui passe par Lestelle (Bétharram est de l’autre côté du gave, tant mieux et bon vent !), et Saint-Pé-de-Bigorre. L’air de rien, ça monte ! Et la route est pas mal accidentée. Les mollets souffrent, et leurs propriétaires aussi. Il ne nous reste rien à grignoter ni à boire. Nous pensons faire le plein à Lourdes. Mais Lourdes c’est où ? Il est loin le bel enthousiasme du matin sur la route d’Oloron. Nous avons l’impression que c’était un autre jour, au cours d’une autre balade. Le temps s’est couvert, et la radieuse lumière qui encore au carrefour Nay-Lourdes éclairait notre route a disparu. Nous sommes au charbon, prisonniers d’un défi que nous nous sommes imposé. Gérard, qui commence à douter, affirme que si la Vierge Marie lui en donne la force, il ira déposer un cierge à la grotte de Massabielle de Lourdes.
Cette fois nous l’aurons mérité le pèlerinage. Car tous les ans, le 8 décembre, le collège organise, selon sa tradition, un pèlerinage officiel. Des cars nous déposent à Lourdes et nous avons droit à la totale : messe, sermon, bénédiction et chemin de Croix tout le long de la rampe qui mène à la basilique. Journée exceptionnelle qui nous sauve malgré tout de la monotonie rigoureuse des pères abbés qui nous prodiguent les enseignements laïques et religieux tout le restant de l’année. Nous avons même une petite grotte de Massabielle en réduction dans le parc du collège. Des répétitions y sont célébrées avant le grand jour. Quel crédit et quelle foi accordions-nous à tous ces salamalecs ? Je ne puis le dire aujourd’hui. Nous faisions ce que l’on nous demandait de faire. Toute métaphysique avait disparu pour moi depuis la Première Communion. Chose curieuse, car ce n’était pas faute de prodigieux efforts de la part de notre encadrement religieux : catéchisme, retraites spirituelles, messes pluri-hebdomadaires, confessions (j’y échappais la plupart du temps), communion, sacrements, saluts, vêpres, prières avant et après chaque classe et aux grands moments de la journée (matin, midi, seize heures), en rang et les bras croisés. Le résultat ? Certains d’entre nous ne croyaient plus en rien. Nous laissions faire en ruminant au fond de nous-mêmes que plus tard nous adorerions le dieu de notre choix, ou pas de dieu du tout, ni de vierge, ni de saint. Saturés et non convaincus nous étions. Avec leur rigueur et leur discipline les curés avaient échoué dans leur entreprise. Ils ne savaient pas parler au cœur de leurs ouailles. Nous n’avions plus peur de l’enfer et ne croyions pas du tout au paradis. Que restait-il alors ?
Eh bien, des sursaut de croyance, le respect de certaines valeurs, un système de référence qui nous conféraient une certaine morale. Et pour le moment il fallait prosaïquement arriver à Lourdes sans traîner si nous voulions regagner nos pénates à temps pour ne pas subir les foudres parentales, et se voir interdire toute autre escapade. Et avoir l’honneur de déposer un cierge à la Grotte. C’était le souci prioritaire de Gérard, son vœu le soutenait, lui donnait des forces, lui faisait croire en la légitimité de sa démarche insolite. Sans compter que cela nous faisait bien rire tous les deux. Y aura-t-il un miracle ? Le miracle ce sera d’arriver !
A force d’encouragements mutuels et de petits coups de pédale nous atteignons la cité mariale, sensiblement à l’heure du goûter. Gérard hésite quant à l’adresse de ses oncle et tante. Oh là ! Pas de blague, nous comptons bien sur un petit en-cas pour nous réconforter ainsi qu’un franc six sous pour acheter le fameux cierge.
A force de tourner dans les rues la mémoire revient à mon petit camarade et nous finissons par dénicher l’hôtel. Nous sommes reçus avec sollicitude, engouffrons un bon goûter pris rapidement, et nous repartons en nous répandant en moult remerciements émus. La bénédiction de l’oncle et de la tante nous accompagnent, impressionnés qu’ils sont du vœu de Gérard de vouloir faire ses dévotions à la fameuse Grotte, à l’issue d’un si long cheminement. Pour aujourd’hui ce sera notre grotte, et non cette chose imposée par le collège, dans sa stricte discipline. Nous nous sentons responsables et grandes personnes. Gérard achète un cierge à l’entrée de l’esplanade et va le placer religieusement à l’endroit réservé devant la grotte. Une courte prière (là il m’épate l’ami Gérard quand je le vois à genoux, prosterné, les yeux mi-clos) et nous ré-enfourchons dare-dare nos bien-aimés vélos que personne ne nous a chipés. Il ne faut pas traîner si l’on veut être à l’heure du souper à la maison.
Sanctifiés par notre geste pieux, regonflés par le goûter pris à l’hôtel, nous avons retrouvé une bonne partie de nos forces. Et il nous en faut. Le vent s’est levé et souffle de face, comme dans toute bonne histoire de vélo. Ce vent d’ouest, annonciateur de pluie, nous rend la besogne difficile et diminue la «moyenne». Il nous reste à rouler 40 km qui s’ajoutent aux 100 km déjà parcourus.
Bref arrêt à Espoey où nous rencontrons un camarade de classe, natif du coin, Adrien Pondebat pour ne pas le nommer. Une force de la nature, taillé en rugbyman, qui ne songe que musculation et gros muscles. Il avait toujours considéré nos chétives silhouettes avec un certain mépris, même si nous arrivions à lui «faire la nique» au collège dans des disciplines telles les agrès (barre fixe et anneaux). Mais aujourd’hui il est «bluffé» pour employer un langage contemporain, lorsque nous lui disons que nous venons d’Oloron via Lourdes. Oloron pour lui c’était déjà «terra incognita», étrangère à coup sûr. Lourdes ça lui parlait mieux. Nous venions en quelques instants de gagner son estime, d'exister à ses yeux. Ses remarques admiratives nous insufflèrent suffisamment d’énergie pour gagner Pau après avoir bataillé plus de 15 km sur l’interminable ligne droite de Soumoulou, et arriver à l’heure pile du dîner chez nos parents respectifs.
Le lendemain il y avait école et la vie reprit son cours «comme avant». Mais étions-nous toujours les mêmes ?


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