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20-21-FEV-1965 jmo

Face Est du Rognon de Ger. Récit de l'ascension en hiver.

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Reprise à peine corrigée de mes notes de 1965.
Non que je tinsse un journal en ces époques reculées, mais chaque événement que je trouvais marquant avait sa place dans un petit classeur à feuilles perforées.
D’où la relation de cette escapade en hiver avec un être exceptionnel.

Un jour de février 1965, quelqu’un m’appelle dans la vaste maison de mes parents :
« Un p’tit blond veut te voir ! »
C’est ainsi qu’est annoncé Yannick, tout sourire, un topo-guide d’une main , et une photo de l’autre. Il a une idée… Quelque chose du côté de Gourette a attiré son regard sélectif..
Nous avions fait connaissance il y a quelques mois, dans la même maison. Il venait d’être incorporé au bataillon de Joinville, ses études d’ingénieur terminées, et était basé au camp militaire du Hameau, tout près de Pau. Il vient accompagné de deux camarades de régiment, Jean-Paul Paris et Michel Feuillarade, alpinistes comme lui. Leur sport c’est la montagne, et au camp pas évident de s’entraîner. Ils cherchent un endroit propice, pas trop loin, où il leur sera possible de continuer à pratiquer l’escalade. Yannick a consulté les annales du GHM (Groupe de Haute Montagne) et a trouvé l’adresse de Robert Ollivier, membre du GHM, au 7 avenue de Lons, à Pau.
Mon père étant absent, j’essaie de les informer du mieux que je peux. En a-parte, JP Paris me glisse que Yannick a un grand appétit de premières, et qu’il en a déjà fait une razzia dans le Vercors. Perdu dans la grisaille d’un milieu d’année universitaire, je suis de prime abord un peu déstabilisé par ces gens athlétiques et sympas venus d’une autre planète, sans autres soucis que de réaliser des exploits….
Nous sympathisons tout de suite, et je leur fais les honneurs de «Sestograd City», notre rocher d’Arudy.
Pendant des mois, chaque fois que cela lui est possible, l’équipe de Joinville comme nous les appelons, adopte le lieu, et y fait même des séjours en bivouaquant sur place. Dynamiques et entraînés par Yannick ils défrichent et équipent des voies nouvelles pour faire honneur à leur statut d’invités. Ils investissent en particulier un groupe de rochers particulièrement escarpés, que nous autres du pays avions jusqu’à présent négligés (ou évités ?) et qu’ils nomment GSIP (pour Groupe Sportif Interarme de Pau). Un grotte sèche permet un bivouac confortable. La voie ouverte la plus difficile est appelé voie Stéphan, du nom du commandant du Groupe Sportif qui signait les ordres de mission (sportive) de ces athlètes de haut niveau. La voie Piedahut tire son nom de Piedloup, un champion dans une discipline olympique… Jours heureux, ambiance sympa…
Mais Yannick ne comptait pas s’en tenir là. Il était aller fureter dans les montagnes et avait identifié des objectifs. C’est de l’un de ceux-là dont il voulait m’entretenir.
En hiver ? Bivouaquer ? Il ne me sent pas très chaud et je le suis d’autant moins qu’un grand froid s’est abattu depuis quelques jours sur notre pauvre terre. Mais comment ? un pyrénéen serait capable de faire faux bond à un alpin , autrement dit se dégonflerait ? Avec de tels arguments Yannick décide définitivement le pyrénéen à relever le défi. C’est d’accord, on y va. Mon entraînement est nul cette année où les études prennent le pas sur les joyeuses expéditions en montagne. Un petit run dans les rochers d’Arudy couverts de neige m’en convainc. Mais à dieu va !

Il est entendu que Yannick vienne me chercher avec la 4L de son ami Michel Feuillarade. Mon ami François tient à nous accompagner jusqu’au départ de la voie que nous avions projetée. Il dispose aussi d’une voiture. Nous préparons les sacs qui sont d’un volume impressionnant. En effet, avec la vague de froid qui sévit, nous ne lésinons pas sur les vêtements chauds, sachant qu’il était tout à fait prévisible que nous allions bivouaquer.
Nous faisons un petit détour par le camp militaire du hameau pour aller récupérer l’appareil photo dont Yannick ne se sépare jamais. Il ne le retrouve pas. On se contentera de mon petit SEM. Ses copains viennent aux nouvelles et envient notre escapade. En tous cas ils viendront demain faire du ski et voir où nous en sommes.
Laruns est rejoint à un train d’enfer et nous y retrouvons François.
Il a neigé très bas ces jours derniers et toute la vallée d’Ossau se réveille entièrement poudrée, aux reliefs adoucis ourlés d’ombre bleutées. Irréelle de magnificence.
Nous retrouvons Gourette grouillant de monde. Yannick, qui a déjà ses entrées un peu partout dans la vallée, va voir Jo Simpson qui nous embarque dans les œufs de Pene Blanque. Des œufs tout petits, deux places à peine, les sacs et les skis nous suivant dans l’œuf suivant. Entre Pene Medaa et Ger, où pas un rocher n’émerge de l’immense tapis de poudreuse, le paysage est somptueux.
Notre objectif est le Rognon de Ger, voie Marcel Bernos - Sylvain Sarthou, ouverte en 1959. J’ai dessiné la voie et écrit sa description sur une feuille de papier placée dans une poche de l’anorak.
A midi nous sommes réunis tous les trois au pied présumé de la voie pour casser la croûte. J’ai bien émis quelques restrictions, trouvant que nous nous trouvions trop à droite, mais Yannick ne veut rien entendre.
Peu importe après tout. C’est Yannick qui va négocier tout ça. Hormis les premières dalles, le reste au-dessus paraît très hostile. Malgré les abondantes chutes de neige de ces derniers jours, pas trace de poudreuse dans les surplombs retors. Je commence à trouver le sac très lourd pour aller se promener là-dedans. Mais je n’ai pas le temps d’épiloguer longtemps, déjà la corde se dévide à la suite de Yannick qui évolue rapidement sur le calcaire gris.
François, plein de sollicitude, me bourre de biscuits et de recommendations et bientôt je décolle à mon tour sur la pointe des pieds. Ceci au sens littéral, pour économiser les bras, à cause du poids du sac. Je remarque au pied de la voie l’air inquiet de François. Manifestement il ne nous envie pas. Nous sommes entrés dans l’ombre de la montagne, un petit vent aigre qui s’insinue dans les moindres ouvertures des vêtements n’invite pas au farniente. Première longueur de corde, première onglée. Elle sera suivie de beaucoup d'autres !
François s’éloigne en direction des lacs de Pla-Segouné pendant que nous entamons la seconde longueur.
Cette dernière met Yannick très mal à l’aise, alors que la difficulté n’est pas très élevée. Mais nous sommes sur le calcaire de Gourette, à nul autre pareil. Et j’y ai vu des ténors du gratton sur d’autres massifs sucrer les fraises et flipper comme des malheureux …. Tout en injuriant cette géologie !
La troisième longueur ne pose pas de problème, mais aboutit sur … rien. Ou du moins pas la moindre plateforme, pas le moindre redan où poser ses pieds . Et pourtant d’en bas… Du coup Yannick enchaîne aussitôt en direction d’une gouttière coiffée de surplombs. Deux heures à attendre qu’il puisse négocier cette longueur très dure. Avec le gros sac, bonjour la bavante. Je ne laisse qu’un clou, un clou déjà en place, preuve que cet itinéraire, à défaut d’être le bon avait été fréquenté. Le relais se fait sur étriers, et on continue. La paroi se couche maintenant sur la gauche et le cheminement se poursuit le long d’une sorte de rampe. L’escalade doit se faire en traversée, ce qui rend la position de second plus périlleuse, situation aggravée par le poids du sac. Prodiges de force et d’équilibre pour récupérer les pitons plantés à toute force par le leader.
Au cours de ces acrobaties j’entraperçois entre les jambes la frêle silhouette de François, qui a fini sa promenade, et qui nous regarde un moment, très dubitatif, avant de poursuivre sa descente sur Gourette. Adios amigo ! Il m’enverra par la poste, et sous forme d’une bande dessinée*, les péripéties de cette journée, et l’état d’esprit qui était le sien lorsqu’il prit le soir un bain chaud en pensant à nous perdus dans cette hostilité raide et froide ! Tout chose il était.
La rampe est interrompue par une sorte de dièdre suspendu, défendu par un passage enneigé difficile à franchir. Il est 18 heures et il n’est pas question d’enchaîner une autre longueur, qui finirait à la frontale et un peu dans la débandade. L’ «alpin» est un grimpeur très méthodique et organisé. Là où nous sommes il n’y a rien qui puisse faire office de plate-forme de bivouac. Qu’à cela ne tienne, nous allons édifier une zone de repos, genre hamac, avec les cordes et les étriers tendus au-dessus du dièdre suspendu. Ce devrait être assez confortable.
Le froid est maintenant très vif. La grimpette de tout à l’heure fut douloureuse pour nos doigts. Les derniers pisteurs ont fermé la piste des œufs et nous voilà seuls dans la pureté glacé et le silence de l’air du soir. La brume monte sur Gourette, loin à l’est.
Nous nous installons à gestes mesurés en faisant bien attention de ne rien perdre et en ajoutant moult pitons et coins de bois pour sécuriser le bivouac au maximum. Nos positions sont les suivantes : je suis assis dans le dièdre sur un entrelacs de cordes, les pieds dans le vide, et un peu au-dessus de moi, Yannick peut s’appuyer sur une vire inclinée, à condition d’être soutenu par des étriers. Position peu confortable qui lui vaudra quelques crampes douloureuses. De son aveu même, c’est le bivouac le plus « petit » qu’il ait fait jusqu’à présent. Il me semble que pour moi aussi…
Bien calés, nous pouvons nous confectionner un bon Tonimalt bien chaud grâce à la neige que l’on a heureusement à portée de la main. Le bonheur. Après cet apéritif nous croquons un morceau de fromage congelé et faisons passer le tout grâce à un tilleul-menthe (la boisson fétiche de Yannick) destiné à nous assurer un sommeil paisible «comme à la maison» !
Bien restaurés – du moins selon les critères spartiates de Yannick – nous parachevons l’installation de ce lieu étrange et vertigineux. En prévision d’une certaine froidure j’avais emporté mes deux vieux sacs de couchage afin d’améliorer l’isothermie, avec l’idée de les balancer au pied de la paroi une fois la nuit passée et les récupérer plus tard. Ce projet ne fut pas mis à exécution, et les sacs firent tout le voyage sur mon dos. Le casque accroché à un piton me sert de table de nuit. Des étriers m’empêchent de glisser vers le vide, juste là, sous mes fesses. Les cordes d’assurance allant de ma taille aux pitons de relais créent quelques courants d’air fâcheux, qu’il faut colmater de temps en temps. Le bonnet est tiré jusqu’au menton.
L’heure, le lieu et le temps dont nous disposons sont propices à toutes les discussions : métier, montagne, voyages, projets, philosophie générale de la vie. De Gourette en fête montent des échos harmonieux de cors de chasse qui viennent égayer ce début de nuit polaire et bercent les deux grimpeurs béats qui se laissent glisser lentement dans les bras de Morphée. Le lieu et les conditions sont exceptionnels, il y a comme un parfum de bonheur qui plane.
Evidemment nous ne dormons pas d’une traite. Un coup d’œil furtif de temps en temps «à l’extérieur» nous permet d’entrevoir la merveille d’une nuit glacée d’hiver (- 18°C à Gourette) lorsque la lune se lève et fait étinceler la neige de millions de paillettes d’or. Le calme est sidéral. Rien ne bouge, rien ne bruisse. A part nous sans doute, à la recherche de la meilleure position par des mouvements lents et précautionneux. L’un de ces mouvements suffit d’ailleurs à crever ma superbe veste en duvet achetée chez Mr. Frendo avec l’argent des leçons particulières données entre les cours. Les fins duvets s’envolent et planant en lentes volutes vont se mêler aux cristaux de poudreuse.
Je me sens bien. J’ai en face de moi le plus beau paysage du monde. Je n’ai pas froid. Et tout près de moi un copain solide, optimiste et sympathique, avec lequel je sens confusément qu’il ne peut rien arriver de fâcheux, à moins que la montagne ne s’écroule.
Cette nuit n’a pas paru longue, bien que nous soyons en février, et déjà l’horizon rosit puis s’enflamme. Nous bénéficions des premiers rayons alors que la vallée, et même Gourette sont encore dans la presque nuit. En absence de vent nous bénéficions de la chaleur de ce soleil nouveau qui nous avait abandonnés si tôt hier soir. Il nous insuffle un moral d’acier et nous met de bonne humeur. Le traditionnel Tonimalt renforce ce sentiment. Le pain et le fromage sont congelés, donc immangeables.
Nous rangeons au plus vite les affaires du bivouac et déjà les premières bennes montent. C’est le CAF (de Pau) qui fait son tour annuel du Ger. Toute une population vient nous examiner d’en bas et nous interpelle. J’ai des copains dans le groupe mais je ne les identifie pas. D’ailleurs, après la grande solitude de la nuit, tout ce monde qui s’agite a quelque chose d’incongru, j’irais même jusqu’à dire un peu irritant…
Mais l’ouvrage nous appelle. La rampe que nous avons commencée à suivre se poursuit sous un bourrelet de surplombs. Tout de suite c’est le grand cirque. La nécessité de dépitonner, pendu je ne sais comment sous les surplombs, attiré vers le vide par un sac décidément trop lourd, fatigue les bras et rend le souffle court. Je le voue au diable ce sac et l’envie m’effleure de le jeter au bas de la paroi ! Mais est-ce bien raisonnable ? Si un autre bivouac survenait…
Dans cette longue traversée ascendante nous ne trouvons qu’une minable plate-forme, impraticable à deux surtout avec un sac sur le dos, pour ébaucher un petit pique-nique. On verra plus tard. Plus haut la rampe n’est plus abritée par les surplombs et la neige fait son apparition sur les rochers, en même temps qu’un vent violent et glacial. Les doigts collent aux pitons et aux mousquetons. Cela dure quelques longueurs. Le Tonimalt du matin commence à être loin et la communication est mauvaise d’un bout à l’autre de la cordée, la faute au vent et aux terrain accidenté. Un tintement cristallin m’indique l’envol d’un piton qui a refusé de se planter. Il passe au large dans un bref scintillement et poursuit sa route dans les neiges de Pla Segouné. En-dessous de notre itinéraire ce ne sont que surplombs et dalles lisses. Redescendre par là poserait de vastes problèmes, si notre rampe butait sur une impossibilité.
Heureusement la jonction de la rampe avec une arête qui borde un grand dièdre marque la fin des traversées périlleuses et des grosses difficultés, et propose enfin un bon relais confortable. On peut alors sortir l’appareil photo et jouer aux vedettes dans les longueurs faciles qui mènent au sommet du Rognon, faciles malgré la neige peu stable. Le vent abrège nos congratulations !
Le retour emprunte une arête fine ourlée de corniches qui partent en coulée, puis un grand vallon genre four solaire où la poudreuse s’est transformée en neige lourde. La remontée en direction du col d’Amoulat est rendue pénible par la neige profonde et le fait que nous soyons sans skis ni bâtons. Ensuite c’est une immense glissade dans un maëlstrom de neige. Nos ailes sont coupées dans le vallon de Pla Segouné, ce qui nous laisse tout loisir d’examiner les parois du Rognon, et d’ici il est évident que nous n’avons pas suivi la Sarthou-Bernos. Yannick ne veut rien entendre, mais la consultation du document irréfutable que je sors de la poche de mon anorak finit par le convaincre que nous avons réalisé ce qu’il convient d’appeler une première. En tous cas il y a de fortes présomptions pour !
Il fallait bien cela pour nous donner l’énergie de remonter à la station des œufs, après les échecs pour faire fondre un peu de neige pour boire, enveloppés que nous étions de nuages de poudreuse chassés par un vent violent. C’est donc morts de faim et de soif que nous parvenons à la gare, accompagnés par les copains de Yannick venus fêter le héros.
Je revois encore Yannick dans la benne se coiffer avec un peigne qui aura vraisemblablement fait l’ascension. Décidément cet « alpin » m’impressionne !
On retrouve bien vite la foule grouillante de Gourette où une première collation humecte nos gosiers asséchés. Mais ce n’est pas fini. Sur la route qui descend sur Laruns, passé Eaux-Bonnes, un accident bizarre vient à nous faire douter de la stabilité du monde dans lequel nous sommes revenus : une longue file de voitures telles des chenilles processionnaires descend à allure réduite de la station. Juste devant notre petite 4L Renault, une DS19 Citroën se met à glisser, effleure le bas-côté de la route et fait derechef un pavillon, c’est à dire se retrouve sur le toit ! Par bonheur personne n’est blessé à l’intérieur. La légende de cette voiture capable de tous les exploits en prend un coup. Rappelez-vous la DS du Général de Gaulle lors de l’attentat du Petit Clamart qui a pu sortir du traquenard malgré ses pneus crevés – que serait-il advenu si la voiture avait capoté comme celle que nous venons de voir ? Ô relativité (instable) des choses !
Pour nous remettre de cette nouvelle émotion nous dégustons un thé sélect à Laruns. Il est à remarquer que nous n’avons encore rien pris de solide depuis hier soir. Je suis obligé de rouspéter comme un voleur (affamé) béarnais autant que pyrénéen, pour que ces «alpins» consentent à s’arrêter au Soum me Reposi à Sévignacq pour enfin se restaurer sérieusement ! Et c’est grande ripaille, bien arrosée jusqu’à tard dans la nuit, en nous contant moult histoires de nos pays respectifs. Ce sont de vrais moments de bonheur. Toujours pratique, Yannick tient absolument à rédiger la note technique de la «première», bien qu’il soit deux heures du matin ….

Pour voir ce qu'il est advenu de Yannick : http://www.pbase.com/jmollivier/image/160958147
* La bande dessinée d'Anfoy ; http://www.pbase.com/jmollivier/vpanfoy

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