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SEP-1941 Coll. R. Ollivier

Robert Ollivier. Les Grandes Escalades Pyrénéennes en 1941

Voici ce que pensait R. Ollivier des grandes escalades pyrénéennes,
après 10 ans intenses passés à parcourir les grands itinéraires des
Pyrénées et des Alpes, de 1930 à 1940. Les références entre crochets
[...] renvoient aux guides Ollivier édités par Cairn.

LES GRANDES ESCALADES PYRENEENNES
par Robert OLLIVIER

Il est évident que les Pyrénées ne permettent pas de réaliser des courses exactement comparables aux itinéraires célèbres des grands massifs alpins. Les ascensions possibles dans une chaîne de montagne sont forcément fonction de la nature de ces montagnes, de leurs caractères généraux. Sur le Mont-Blanc lui-même, les grimpeurs les plus imaginatifs ne trouveront pas une voie d’ascension du même ordre que celle du Mont-Everest. Est-ce une raison pour dédaigner l’arête de Peuterey ? La différence est moins grande entre le Mont-Blanc et le Vignemale, qu’entre l’Himalaya et le Mont-Blanc. Si les caractères généraux des Pyrénées imposent une limite aux plus rudes courses de la chaîne franco-espagnole, s’ils donnent à ces ascensions une physionomie particulière, ils n’interdisent pas les escalades de grande classe. Ces ascensions ne ressemblent ni à celles de Chamonix, ni à celles de l’Oisans, ni à celles des Dolomites, des Andes ou des Montagnes Rocheuses. Elles possèdent une atmosphère bien à elles ; il serait faux de se les représenter comme une imitation en petit, plus ou moins réussie, des courses alpines. Elles sont avant tout pyrénéennes, et leur charme spécial et leurs difficultés leur octroient une valeur suffisante pour les rendre dignes des meilleurs montagnards.
Les Pyrénées ont néanmoins un point commun avec les Alpes : la technique de l’escalade s’y est développée et ce progrès s’est manifesté par des réalisations nouvelles, des itinéraires non seulement inédits, mais différents des précédents par l’audace de leur tracé et les difficultés surmontées. Ce «pas en avant », réalisé, comme dans les Alpes françaises, par un petit groupe de grimpeurs, constitue l’histoire du Pyrénéisme de 1920 à 1939 et surtout de 1933 à 1939. Il est intéressant, aujourd’hui de jeter un regard sur le chemin parcouru, de suivre l’évolution du Pyrénéisme et d’étudier de quelle façon ce progrès a été réalisé
Donc, pour donner une idée précise du Pyrénéisme actuel, nous rappellerons d’abord les caractères généraux qui conditionnent les escalades pyrénéennes et leur confèrent une physionomie originale ; ensuite nous décrirons rapidement les grandes courses, que l’on peut diviser en deux catégories : celles qui servent de transition entre le Pyrénéisme d’autrefois et celui d’aujourd’hui ; celles qui, dans les dernières années, ont affirmé le perfectionnement technique et approché les limites de l’escalade pyrénéenne.
L’altitude constitue l’un des facteurs essentiels qui conditionnent une escalade. Les Pyrénées ne dépassent pas 3404 mètres et les massifs les plus escarpés atteignent rarement 3000. Conséquence : la montagne se présente, à de rares exceptions près, en de bonnes conditions. Du 15 Juillet au 15 septembre, parfois jusqu’au 15 Octobre, le verglas, la neige fraîche sont à peu près inconnus. Après une période de mauvais temps, on peut immédiatement attaquer le rocher. Pour la même raison, les tempêtes y sont moins dangereuses. En plein été, la pluie demeure le seul adversaire sérieux du grimpeur. Le froid n’est jamais assez vif pour le mettre en danger et les bivouacs les plus malencontreux ne peuvent guère entraîner de catastrophe semblables à celles qui ont coûté la vie à maints alpinismes sur les grandes cimes des Alpes. Certes, j’ai vu la face Nord du Vignemale couverte de neige fraîche du haut en bas un 25 Août. Le Pyrénéiste n’est donc pas absolument à l’abri de ces aventures. Mais elles sont extrêmement rares.
Cette altitude moyenne est due à l’usure assez prononcée du relief. La haute montagne apparaît ruinée ; les vallons sont jonchés d’importants débris : les «raillères» croulantes, les chaos énormes caractérisent les Pyrénées. Les parois se révèlent profondément burinées, travaillées par l’érosion. C’est pourquoi les murailles pyrénéennes semblent toujours plus redoutables de loin que de près et que les grimpeurs ne se hasardent plus à juger une escalade avant d’avoir «mis le nez dessus». Les pics les plus sourcilleux s’humanisent presque toujours quand on s’approche d’eux, alors que, dans les Alpes, le contraire se révèle fréquent, toutefois le bas des murailles granitiques oppose assez souvent de sérieuses difficultés. Usées, polies probablement par d’anciens glaciers, elles sont plus lisses que la partie supérieure. Dès lors, dans certaines régions des Pyrénées centrales, il suffit de surmonter les 100 premiers mètres et la victoire, en général, est acquise. Le temps le plus affreux ne déterminera pas forcément le grimpeur à battre en retraite. Il pourra, presque toujours, forcer sa route jusqu’au sommet, qui, à moins d’orage, représentera pour lui le salut
En effet, la descente ne lui opposera aucun obstacle sérieux. Les voies normales sont faciles pour la plupart et la course se termine virtuellement au sommet. La descente n’est guère qu’une marche plus ou moins longue. Faut-il le regretter ? Oui ou non. De ce fait, les courses ont moins d’ampleur. Mais elles comportent aussi moins d’ennuis. Après tout, quand l’ascension est terminée, la muraille ou l’arête vaincue, le problème résolu s’il s’agit d’une course nouvelle, quand le montagnard a mesuré ses forces avec une rude paroi et s’est révélé capable de la vaincre, est-il indispensable qu’il lutte encore de longues heures contre des obstacles inférieurs, des pièges désagréables et sans noblesse, pour arriver au refuge complètement exténué ? Aux Pyrénées, la joie de la victoire n’a pas de contrepartie, la médaille, point de revers. Le vainqueur peut laisser éclater sa joie sur la cime, sans souci du retour, qui n’est pour lui qu’un enchantement plein de calme et de poésie, une promenade pleine d’euphorie sur les rochers dorés et débonnaires, sur les prairies émaillées de fleurs, sur les bords des torrents et des lacs limpides, où il plonge son corps pour effacer les dernières fatigues. Pleines de diversité dans leur nature, leur forme, leur climat, leur végétation, les Pyrénées offrent encore aux grimpeurs le contraste saisissant d’une journée durement commencée sur d’hostiles murailles et terminée dans la sérénité des paysages les plus souriants.
Ces descentes faciles permettent d’éviter presque toujours le bivouac, même après des ascensions très longues. Un 25 Octobre, Maurice Grosjean et moi avons escaladé le pic central de la Cascade [127/PCII] par les murailles du cirque de Gavarnie : 1500 mètres de dénivellation, du verglas, de la neige fraîche. A 17h.30, c’est à dire à la nuit, nous arrivions au sommet. Nous ne songeâmes nullement au bivouac. Nous avions calculé que la lune se lèverait vers 19 heures. Elle éclaira en effet tout notre chemin de retour par les corniches sud du Cirque, la brèche de Roland, l’Echelle des Sarradets. A 1 heure du matin, nous étions au village. Un autre jour, en Septembre, après 10 heures d’escalade difficile sur la muraille Nord de la Fourche d’Ossau [200/POII], nous passâmes à 19h.30 sur le sommet du Petit-Pic. Cette fois encore, nous échappâmes, de justesse il est vrai, à la nuit en plein air.
Enfin, autre conséquence importante à la fois de l’altitude moyenne et de la forme du relief, les glaciers, les neiges éternelles sont rares. Les murailles mi-rocheuses, mi-neigeuses n’existent pas aux Pyrénées pendant la saison d’été. Avec la quasi-certitude de ne pas bivouaquer, toutes ces particularités fournissent d’excellentes raisons pour ne pas porter de sacs lourds. Le Pyrénéiste quitte son campement en espadrilles, avec une corde et un casse-croûte dans la poche et grimpe toute la journée avec le minimum d’impedimenta. Il peut aborder les pires difficultés avec tous ses moyens physiques et dans les meilleures conditions possibles. Il se rapproche, par-là, des grimpeurs des Dolomites, avec toutefois cette différence que les marches d’approche sont pour lui beaucoup plus longues et que, s’il n’est pas chargé le jour de l’escalade, il se rattrape les jours d’approche.
En effet, l’habitat et l’équipement touristique donnent un caractère très particulier aux expéditions pyrénéistes. Les villages, très bas, ne peuvent guère servir de point de départ. Les refuges sont rares. Il faut se contenter de la cabane de berger, quand il y a de la place dedans, ou porter sa tente, ou coucher dehors. Le résultat est que le montagnard courbe le dos sous des sacs très pesants, où s’entassent son abri, son sac de couchage, son réchaud avec le carburant et les vivres pour plusieurs jours.
C’est vraiment une rude école que le Pyrénéisme, où l’homme se transforme tantôt en mulet pour les marches d’approche, en lézard pour grimper les murailles, en chamois pour dévaler les éboulis ; bien heureux quand il n’est pas coureur cycliste pour gravir les routes non desservies par les services de transport, ou pour ne pas manquer un train dont l’horaire se trouve, en général, fort mal calculé pour lui. Mais toutes ces misères ne l’empêchent pas de mettre encore dans son sac, au détriment des vivres, plusieurs kilos de ferraille et, perdu dans son rêve d’escalades vertigineuses, de remonter, courbé sous la charge, les interminables vallées, au fond desquelles se dresse la muraille, la crête ou le Capéran, sur les flancs desquels son marteau forgera «l’Echelle de Pater Noster ».
Quelles sont donc ces grandes escalades pyrénéennes ? On peut les diviser en deux catégories : celles qui sont pratiquées depuis déjà longtemps, escalades de Russel, de Célestin Passet, de Brulle, dont la formule a été l’inspiratrice de courses nouvelles plus récentes, menées seulement avec plus de virtuosité et de maîtrise ; ensuite les courses de difficulté exceptionnelle, pratiquées depuis 1935 et qui diffèrent singulièrement des autres par la technique qu’elles ont exigée et les difficultés beaucoup plus grandes qu’il a fallu vaincre.
Après l’interruption de la guerre de 1914, l’école toulousaine avec, à sa tête, le grand animateur Jean Arlaud, entreprit de poursuivre l’œuvre des grands Pyrénéistes, en particulier d’Henri Brulle et de la Pleiade. Poursuivre l’œuvre de Brulle me paraît d’ailleurs une expression impropre. Il faudrait dire vulgariser. Arlaud entraîne des jeunes à la montagne ; c’est là le meilleur de son œuvre. Avec eux, il refait un grand nombre de vieilles courses, il en inaugure de nouvelles, sur le même style. Il ne poursuit pas l’œuvre de Brulle, car poursuivre, c’est aussi perfectionner et hâter une évolution : il l’imite et l’étend. Mais jamais il ne fait mieux que son modèle. On peut même prétendre qu’il ne fait pas aussi bien. Le couloir de Gaube [206/PCI], course maîtresse de Brulle, ascension qui marqua l’apogée du Pyrénéisme de l’époque (1889), tint en échec les Toulousains. Quoi qu’ils aient dit, et surtout quoi qu’ils aient écrit ; bien qu’ils aient multiplié les petites escalades de second ordre et les «premières» faciles à glaner sur les flancs désertiques des Pyrénées espagnoles, ils n’ont pas su donner le jour au Pyrénéisme moderne, dont Henri Brulle et son guide prestigieux Célestin Passet avaient été les précurseurs. En 1933 seulement, la deuxième et la troisième ascensions du couloir de Gaube, à deux jours d’intervalle, par les grimpeurs des Pyrénées Occidentales, marquèrent le trait d’union entre les ancêtres et les Pyrénéistes d’aujourd’hui. Après s’être hissés à la hauteur de leurs anciens, les jeunes Palois allaient pouvoir saisir le flambeau, ce flambeau demeuré 46 ans en suspens dans la grande cheminée de glace du Vignemale, le rallumer et poursuivre la course.
Il serait fastidieux d’énumérer les très nombreuses courses nouvelles réalisées par les Palois de 1933 à 1939. En 1937, le Groupe Pyrénéiste de Haute Montagne, qui réunit cette jeunesse ardente, fait paraître un guide spécialement consacré aux escalades des Pyrénées Occidentales les plus intéressantes de la chaîne. Cet ouvrage, sous le titre de «Haute Montagne Pyrénéenne», résume la plus grande partie de leur activité, tout en rappelant l’œuvre des précurseurs, en particulier Brulle, Célestin et Henri Passet, de Monts, Bazillac, les frères Cadier, Maurice Heïd, Schrader, Jacques Blanchet, Georges Ledormeur, Pierre Abadie, Jean Arlaud, etc…Œuvre incomplète et imparfaite, certes, elle est aussi la première du genre dans les Pyrénées.
Tout en évitant la sèche énumération, il est intéressant de dire quelques mots des courses nouvelles les plus marquantes, celles que l’on peut mettre en parallèle avec le couloir de Gaube, puis celles qui l’ont dépassé. A droite du couloir, se dresse une dalle de 800 m. : la face Nord de la Pique-Longue [198/PCI]. Dans un article sur les itinéraires Nord du Vignemale, Arlaud ne cachait pas son scepticisme sur les possibilités d’une telle ascension. La paroi est gravie en 6h.30, le 8 Août 1933. De difficulté moyenne, mais d’une ampleur peu commune par la hauteur de la paroi et la grandeur du cadre, cette course demeure l’une des plus belles des Pyrénées. Vue du fond de la vallée de Gaube, cette face a vraiment grande allure, paraît sévère et beaucoup plus difficile qu’elle ne l’est réellement. Mais l’alpiniste qui descend de la Meije ou des Drus peut venir à la face Nord de la Pique-Longue sans craindre une déception.
Parmi les murailles d’aspect peu encourageant, les faces vierges de l’Ossau tenaient une bonne place. Sur cette montagne originale, bien des itinéraires avaient été tracés dans les temps jadis. Brulle, Bazillac, d’Astorg, Célestin Passet et François Salles eux-mêmes découvrirent une voie d’ascension sur le versant Nord [188/POII]. Le Pic d’Ossau était, depuis longtemps, l’un des sommets les plus populaires des Pyrénées. Si donc, il lui restait en 1933, des faces vierges, ce n’était pas, comme pour certains pics espagnols perdus dans des régions éloignées, faute d'avoir été visité par les grimpeurs. Seulement on avait gravi sur l’Ossau, jusqu’à nos jours, tout ce qui paraissait accessible et laissé de côté les parois trop rébarbatives. Elles sont vaincues l’une après l’autre à partir de 1933. Certaines se laissent gravir par escalade libre : la face Sud de la pointe Jean Santé, la face Ouest du Petit-Pic. La première a 400 mètres de haut. Extrêmement redressée, elle est coupée de vires assez commodes, séparées par des ressauts presque toujours difficiles. Il y fut tracé, en 1933 et en 1934, deux itinéraires principaux[230 et 232/POII], et en 1935, un troisième [231/POII], plus ardu, mais qui n’est qu’une simple variante rejoignant les deux autres. Les Palois répétèrent très souvent ces escalades. La paroi devint pour eux un but classique d’entraînement.
Fort sévère aussi, se révèle l’aspect de la face Ouest du Petit-Pic [211/POII]. Haute de 400 mètres, mais difficile seulement sur les 200 derniers, elle aurait découragé des grimpeurs moins bien outillés et moins sûrs de leurs moyens. Les vainqueurs n’eurent pas encore à se servir des ressources de la technique moderne. Mais ce fut la dernière paroi importante de l’Ossau qui se rendit à l’escalade libre.
Tout en attaquant des parois que leurs anciens n’auraient même pas eu l’idée de gravir, les jeunes pyrénéistes en viennent à une formule très particulière : les jonctions d’itinéraires. On ne fait plus seulement la face Sud de la pointe Jean Santé – 3 heures d’escalade- on poursuit l’ascension vers la Pointe d’Aragon, puis vers le Grand Pic, d’où l’on descend au besoin par une voie nouvelle comme la face Nord intégrale de la Pointe de France [189/POII]. On ne fait plus seulement la face Ouest du Petit-Pic, on descend par la face Nord de la Fourche. On traverse dans la journée les quatre pointes de l’Ossau dans tous les sens. Dans le massif du Balaïtous, on ajoute les arêtes les unes aux autres. Crête du Diable [233-234/POIV]et Costerillou [212-213/POIV], puis arête Nord-Ouest-Costerillou-Crête du Diable. Au Vignemale, après une ascension par le versant Nord, la descente s’effectue par l’arête du Petit-Vignemale [183/PCI], ou l’arête de Gaube [195/PCI], ou le Clot de la Hount [192/PCI], ou la falaise de Cerbillona [188/PCI]. A Gavarnie, ces combinaisons d’itinéraires s’imposent tout à fait : il faut grimper le cirque tout entier (1500 à 1700 mètres de dénivellation de bas en haut), et par les voies les plus aériennes. On dédaigne de profiter pour cela de la belle saison : un 25 Octobre, le pic central de la Cascade [127/PCII] est gravi par le Mur de la Cascade [75-91/PCII], les Arceaux [98/PCII] et la face Nord, à travers neige fraîche et verglas. Mêmes exemples à citer pour les Pyrénées centrales : l’arête des Salenques [302/PCVII] et l’arête des Tempêtes [282/PCVII] sont ajoutées bout à bout, car l’une sans l’autre paraîtrait une course trop mesquine.
Ainsi, de plus en plus, la virtuosité des jeunes s’affirme. Ils font beaucoup plus vite qu’autrefois et avec une grande désinvolture des courses qui paraissaient aux anciens très longues et très ardues. Quelle formule va donc pouvoir les satisfaire ? Il leur faudra surmonter des murailles que seuls permettent de vaincre les moyens actuels de l’alpinisme, moyens sans lesquels ces escalades seraient impossibles. Voilà le véritable "pas en avant" du Pyrénéisme de haute montagne. Jusqu’au jour où s’est rendue la face Nord du Petit-Pic d’Ossau [214/POII], nous avions imité nos anciens, en perfectionnant plus ou moins leurs procédés, en nous attaquant avec plus d’audace qu’eux, peut-être, à des problèmes en face desquels notre technique nous donnait confiance, mais qui ne différaient pas essentiellement de ceux qu’ils avaient résolus. Du jour où les grandes murailles de l’Ossau tombèrent, l’échelon était enfin gravi : notre génération avait apporté sa contribution propre au Pyrénéisme. Que vaut ce progrès ? Peu importe : une évolution se constate, elle ne se justifie pas. En répétant exactement les gestes des anciens, on ne peut prétendre se hisser à leur niveau. Pour les égaler, il faut tout au moins, comme eux, foncer vers l’inconnu. En escaladant le Petit-Pic par le Nord, techniquement plus difficile que le couloir de Gaube, nous ne pensons pas avoir fait mieux que Brulle et Célestin Passet. Bien heureux serons-nous si l’on nous accorde un jour d’avoir fait aussi bien, c’est-à-dire d’avoir saisi d’une main ferme le flambeau que nous tendaient les anciens, et d’avoir poursuivi la course.
Haute d’environ 450 mètres, la face Nord du Petit-Pic comporte une série de passages d’escalade artificielle sur 100 mètres. Ces passages sont aériens et difficiles. Les premiers grimpeurs mirent une dizaine d’heures, à la deuxième tentative, pour gravir la paroi. Pitons plantés, il suffit de 6 à 7 heures. A la fois athlétique et délicate, se déroulant sur un rocher de bonne qualité, cette course peut passer pour le type d’une grande escalade pyrénéenne
La voie d’ascension directe à la Fourche de l’Ossau par le Nord a également 400 mètres de hauteur environ. Les passages de difficultés exceptionnelles sont groupés dans le tiers supérieur sur une dénivellation d’environ 40 mètres. Les premiers grimpeurs mirent 4h.30 pour le gravir et 10h. environ pour la muraille entière.
L’éperon Nord du Grand Pic [194/POII] fait moins appel à l’escalade artificielle (7 pitons). Mais l’ascension en est extrêmement aérienne et la plupart des passages sont très délicats et exposés. D’autre part, vers le haut, un dièdre de 15 mètres demande un sérieux effort musculaire
Mais l’escalade la plus athlétique dans le genre est certainement la face Nord du Capéran de Sesques [117/POII]. La muraille a peu d’allure. Du point de vue spectaculaire, cette course ne paie pas. Mais comme exemple de difficulté extrême, on ne fait pas mieux aux Pyrénées. Haute d’une centaine de mètres, en surplomb sur les 40 premiers, d’un rocher de qualité douteuse, elle exige du grimpeur un effort vraiment extraordinaire.
Avant de clore cette revue, il convient de dire un mot des possibilités de la chaîne en courses de neige et de glace. En été, le choix n’est pas grand : couloir de Gaube, séracs du Mont-Perdu et du Petit Vignemale [233/PCI], couloir Ouest du Marboré, glacier du Clot de la Hount [191-192/PCI]…En hiver, par contre, le champ d’action reste immense. Les Toulousains ont effectué de nombreuses ascensions hivernales. Ces courses soulèvent plus d’un problème, en raison de la nature spéciale de l’orographie pyrénéenne, de l’habitat et de l’absence presque complète de refuges convenables. Jean Arlaud sut mener à bien de longues expéditions sur le versant espagnol, dans les Monts-Maudits et les Posets et ce n’est pas son moindre mérite. Récemment, des Palois ont réussi en hiver, l’arête de Costerillou, le versant Sud de l’Ossau et la face Est du Ger. Ces hivernales peuvent être classées, sans discussion, parmi les grandes escalades pyrénéennes. Elles montrent que l’on peut, en hiver, combler la grave lacune que constitue l’absence des grandes courses neigeuses d’été.
Essayons, pour conclure, de définir la place des Pyrénées dans le monde de l’Alpinisme. Par une échelle admirablement graduée des difficultés, elles constituent une école excellente pour les jeunes et permettent à ceux qui ont affronté la plupart de leurs grandes courses d’été et d’hiver, d’aborder les ascensions les plus rudes des Alpes. Mais s’il est vrai que seuls les excellents pyrénéistes peuvent faire face correctement aux difficultés alpines, il serait dangereux d’en conclure que n’importe quel alpiniste moyen pourrait s’attaquer aux grandes escalades pyrénéennes. Quant à une longue dissertation sur les valeurs générales et comparatives des Alpes et des Pyrénées, je la crois vaine et j’en appelle au grand Schrader : « On n’a que faire de comparer les Alpes aux Pyrénées ; ces dernières sont assez belles de leur propre beauté, de leurs violents contrastes, de leurs vallées calcaires et de leur double aspect d’Europe et d’Afrique, pour qu’on y vienne chercher ce qui n’appartient qu’à elles ».

R. OLLIVIER - Alpinisme n°60, Septembre 1941


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