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Jean M. Ollivier | all galleries >> Climbing and skiing in Pyrenees in the '30s >> Escalades à l'Ossau années 30 - Pyrenees > 1934 - Face Ouest du Petit Pic d'Ossau
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1934 - Face Ouest du Petit Pic d'Ossau

Autre photo
AU PETIT PIC DU MIDI D’OSSAU
Première ascension par le versant Ouest
(Par F. Cazalet, R. Mailly et R. Ollivier le 3 Juillet 1934)


Sur les cent cinquante kilomètres de chaîne que l’on découvre nettement de Pau, pas une muraille, pas une arête ne dessine sur le ciel un profil plus pur, plus harmonieux et plus Hardi, que le versant Ouest du Petit Pic d’Ossau.
Mailly et moi aimons à nous rappeler comment naquit en nous le projet de parcourir cette paroi inexplorée. Que de fois, le soir, à l’heure où le soleil couchant ajoute à l’harmonie des lignes la féerie des couleurs, nous sommes-nous arrêtés devant des horizons à la vue duquel Lamartine, dit-on, s’est écrié : « Voilà la plus belle vue de terre, comme Naples est la plus belle vue de mer ». Que de fois nos yeux se sont attardés sur la silhouette familière du Pic d’Ossau, farouche et isolé au fond de sa vallée, énorme bloc de porphyre, unique dans les Pyrénées par la nature de sa roche éruptive, par ses escarpements quelquefois lisses et polis sur des hauteurs de cinq cents mètres, par son architecture étrange, avec sa double cime en forme de bec d’aigle, se dressant vers le ciel comme la gueule ouverte d’une bête monstrueuse. Ce ne fut point cependant au cours d’un de ces soirs là que l’idée nous vint d’attaquer la face Ouest du Petit Pic. Il en était d’elle comme de ces beaux paysages que l’on est trop habitué à voir pour en goûter convenablement toutes les beautés. Trop souvent, la courbe élancée de la paroi avait frappé notre regard, et nous ne remarquions plus avec quelle envolée superbe «elle escaladait les nues ». Pour admirer la fière allure, il nous a fallu la voir sous un autre angle.

Par une de ces matinées froides et extraordinairement limpides des premiers jours d’octobre, nous arpentions les vastes prairies du cirque d’Aneü en direction de l’Anayet, ascension peu sévère qui nous permettait de goûter intensément le charme mélancolique et délicieux de cette ultime course estivale. Pas une brume, pas la moindre vapeur n’embuait l’horizon. Sous les rayons obliques du soleil d’automne naissaient des jeux d’ombre inaccoutumés, qui donnaient aux arêtes et aux murailles un relief inconnu en toute autre saison. Les couleurs les plus riches, les teintes les plus fines habillaient magnifiquement les roches sauvages : dernières couleurs, derniers reflets, qui bientôt allaient disparaître sous la domination uniformément blanche de l’hiver. Du haut de l’Anayet nous promenâmes nos regards d’un bout de l’horizon à l’autre, du Pic d’Enfer au Bisouri, du Balaïtous à la Pena Collorada. Mais nos yeux se détachaient difficilement d’une pyramide rougeâtre, qui se dressait non loin de nous, solitaire et formidable : l’Ossau… Mailly s’exclama :
« Mais… cette paroi, que nous voyons là-bas de profil, elle n’a jamais été gravie ?
Son bras désignait la face Ouest du Petit Pic. Au même moment, je la regardais sans rien dire, en supputant les chances que l’on pourrait avoir d’en réussir l’ascension.
- Je ne crois pas.
- Et personne n’a jamais songé à en tenter l’escalade ?
- Quelques-uns y ont songé, mais l’entreprise ne paraît pas commode.
- Elle n’en est que plus attirante. Un montagnard palois se doit d’avoir au moins essayé de
s’approprier une semblable muraille qu’il a sans cesse sous les yeux. Comment ne l’avons-nous pas remarquée plus tôt ?
- Puisque tu la désires, nous irons la voir de près l’an prochain. »
Mailly considéra «sa » paroi avec un air de regret. Mais une froide bise s’éleva tout à coup,
lui enlevant, pour cette année, toute idée d’escalade. « Oui, l’année prochaine », murmura-t-il en se frottant les doigts.
Le soir, au col d’Aneü, le vent du Nord soufflait avec violence. Les mains enfouies au plus profond de nos poches, nous courbions la tête sous les bourrasques glaciales. Les derniers rayons du soleil enflammaient le Petit Pic, devenu rouge comme un rubis. Nous saluâmes d’une main frileuse : « A l’année prochaine ». Bientôt, la nuit, une froide nuit d’hiver, s’insinua dans les vallées, submergea les sommets.

Quatre heures du matin à Bious-Artigues… La fin d’une belle nuit, bientôt l’aube du jour que nous avons choisi pour engager la lutte avec notre muraille. Une brume très légère, qu’argentent les rayons de la pleine lune, flotte sur le plateau. Ce voile presque imperceptible ne nous empêche pas de voir l’Ossau, énorme et énigmatique, qui menace les étoiles de ses deux pointes sombres. Nous traversons en silence les vastes pelouses et nous engageons d’un pas rapide sur le sentier de Bious-Dessus. L’air vif de l’aurore fouette notre ardeur et nous parvenons sur les hauteurs de Peyreget avant les premiers rayons du soleil. Le Petit Pic dresse devant nous sa tête pointue, et, sans doute pour nous intimider, offre d’abord à nos regards les dalles vertigineuses de son versant Nord. La face Ouest se révèle plus abordable à la base, mais tout aussi rébarbative dans la partie supérieure. Là, un véritable mur, tout à fait lisse en apparence, semble devoir barrer le chemin aux plus résolus. Au centre de ce mur, comme un œil noir dans le front d’un Cyclope, se creuse la niche d’un énorme surplomb.
A notre connaissance, deux grimpeurs seulement se sont intéressés à la face Ouest du Petit Pic : en août 1927, Marcel Cames et Henri Sarthou en ont escaladé une partie, puis ont viré vers la droite et franchi l’arête Sud-Ouest, remarquable par ses flammes de pierre. L’ascension fut achevée par la face Sud-Sud-Ouest, parallèlement à la cheminée classique. Course fort intéressante, où les vainqueurs d’Ansabère ont rencontré, paraît-il, d’assez sérieuses difficultés. Restait à résoudre le principal problème de cette paroi : le grand ressaut terminal, haut de deux cents mètres environ.

Nous nous arrêtons un moment sur les éboulis, au pied de la muraille, le temps de remplir nos poches de chocolat et de sucre, et de remplacer nos chaussures par des espadrilles. Puis, les pieds légers et les épaules délestées, mais les inévitables pitons de fer cliquetant à la ceinture, nous attaquons la face Ouest, à l’endroit où la rocaille monte le plus haut dans la paroi. Mailly part en tête et grimpe rapidement les premiers ressauts, gymnastique facile et opportune qui échauffe nos muscles et réveille nos réflexes. Les modestes sommets voisins s’abaissent rapidement autour de nous ; l’Ossau est un vieux solitaire qui, sur un rayon de plusieurs kilomètres, domine de plus de quatre cents mètres tous les pics environnants. Bientôt, sous la lumière ardente du soleil qui brûle, les monts d’Ossau ne sont plus à nos pieds que des ondulations sans accent. Seule, vers l’Ouest, une grande muraille calcaire arrête nos regards, qui se portent sur elle avec envie : la paroi orientale de la grande Aiguille d’Ansabère.
Nous n’avons nul besoin de chercher si loin les lignes verticales : elles se multiplient autour de nous. A droite, l’arête Sud-Ouest s’élance vers le sommet avec sa chevauchée d’aiguilles. A gauche, l’arête Ouest-Nord-Ouest projette sur le ciel une courbe de plus en plus redressée. Devant nous, incurvé en demi-cercle, s’offre à nos yeux inquisiteurs le rempart qu’il faudra forcer. Il nous semble que la cuirasse est sans défaut. Mais, à mesure que nous approchons, des fissures se révèlent, des corniches, des prises. Toutes, il est vrai, paraissent aboutir au grand surplomb que nous avons remarqué d’en bas.
Parvenus au pied du ressaut terminal, après une heure d’escalade amusante mais sans difficultés, nous hésitons un moment. L’arête Ouest-Nord-Ouest retient notre attention. Nous décidons d’aller l’examiner de près. Nous suivons donc une vire vers la gauche et une courte escalade nous amène sur le fil de l’arête. Elle s’avère aussitôt remarquablement aérienne : de l’autre côté, nous découvrons subitement les grandes dalles du versant Nord. Mailly se penche sur le vide et constate gravement que «ça dévale par là ». Cazalet regarde à son tour et esquisse un hochement de tête admiratif. Quant à moi, je regarde l’arête et je fais la primace : elle se présente au-dessus de nous comme une «taillante » presque verticale sur plus de cent mètres, avec un départ délicat, des prises fort arrondies, et sans aucun repos durant un long parcours.
Avant de laisser Mailly, qui tient à conserver la tête de la cordée, s’engager sur cette voie scabreuse, il me vient un scrupule : il doit y avoir un autre chemin : «Revenons à la paroi, dis-je ». Et aussitôt Cazalet part devant en éclaireur, et commence l’escalade d’une cheminée redressée au centre de la muraille. Nous nous y engageons à notre tour. Soit par coincement, soit avec des prises franches et solides, nous nous élevons de cinquante mètres environ et rejoignons notre camarade sur une petite plate-forme où la cheminée bifurque. A droite, une fissure d’aspect difficile se perd dans des dalles lisses ; à gauche, une autre fissure mène au grand surplomb ; nous choisissons cette dernière. Mailly repart en tête, vire de quelques mètres, et s’élève verticalement. Bientôt nous ne le voyons plus ; mais la corde se déroule avec régularité ; il n’est donc pas en mauvais terrain. Cazalet part à son tour, puis moi-même ; nous nous réunissons tous trois sur une terrasse d’éboulis surmontée d’un bloc coincé. Le ramonage est impossible, les parois de la cheminée étant trop éloignées l’une de l’autre. Cazalet se met à cheval sur mes épaules, Mailly monte sur les épaules de Cazalet et entame le rétablissement. Tout à coup je ressens une douleur fulgurante : un pierre de bonne taille m’a éraflé la tête non loin de la tempe. Je tiens bon et ne dis mot. Mais lorsque Mailly est parvenu au-dessus du surplomb, la douleur se change en colère, et le leader se fait invectiver d’importance. Je dois reconnaître toutefois qu’il est excusable, la plate-forme où il a pris pied étant recouverte d’éboulis croulants.
Nous approchons maintenant du grand surplomb ; nous espérons qu’il est creux et que nous pourrons le surmonter par l’intérieur. Pour atteindre la niche, Mailly escalade encore une fissure étroite et délicate, simple cassure ornée de lichen rouge. Nous voici tous sous le surplomb ; il forme une vraie petite caverne. Nous découvrons d’abord aucune issue ; mais la cavité a une certaine hauteur de voûte et j’ai l’idée de m’élever par coincement jusqu’au plafond. J’aperçois alors avec joie un rayon de lumière au-dessus et à droite de l’entrée principale. Pour atteindre cette issue il faudra parcourir, toujours par coincement, tout le plafond de la grotte. Cazalet se carre solidement dans le fond de la caverne, passe la corde sur une saillie, et je risque la manœuvre, qui se révèle tout de suite beaucoup plus facile qu’on aurait pu le croire. J’atteins l’étroit goulot par où filtre la lumière. Je me glisse à l’intérieur et je mets à tâtons la main sur un petit tas d’herbe sèche : un nid d’oiseau de proie. Je m’élève en rampant et débouche bientôt dans une niche creusée juste dans le front du grand surplomb, en plein dans l’avancée de la roche. De cette fenêtre, qui s’ouvre en plein vide, je domine tous le bas de la muraille comme du balcon d’un gratte-ciel. J’admire un instant cette perspective vraiment aérienne, puis je m’assieds avec perplexité. Comment sortir de là ? Des cris aigres et bien connus me font lever la tête : une nuée de choucas tourne furieusement devant la niche, en protestant bruyamment contre cette violation de domicile. Je les regarde évoluer avec aisance sur les vilains précipices. Ils ont des ailes, eux, au moins, et leurs cris ne sont-ils pas narquois plutôt que furieux ? «Que vient faire chez nous, se disent-ils, ce maladroit bipède ? Comme sa démarche empruntée est plaisante à voir ! »
Le bipède relève le défi : il se met debout, se penche, scrute la muraille : sur la droite, une paroi plonge à pic. Pour vertigineuse qu’elle soit, cette voie ne paraît pas trop redoutable : quelques prises rares, mais assez bonne, permettront peut-être de gagner, après trois mètres d’escalade aérienne, une cheminée d’aspect plus débonnaire. Avant d’appeler Cazalet, qui n’aime pas les passages étroits, je dégage le conduit de quelques pierres que je précipite dans l’espace ; elles rebondissent très bas sur la muraille avec un bruit de tonnerre répercuté par les parois voisines. Une odeur de soufre monte jusqu'à moi ; les choucas s’enfuient ; mais la tête de Cazalet apparaît bientôt à l’orifice du boyau. Le marteau et les pitons entrent en jeu. Je veux être convenablement assuré pour la partie de voltige qui se prépare. Nous avisons une fissure, et, peu à peu, sous les coups redoublés, le fer pénètre dans le porphyre. Mailly, qui, du fond de sa caverne, entend les heurts sonores du marteau, doit se croire transporté en quelque forge diabolique. Enfin le métal vibre ; la pointe a trouvé le fond de la fissure et s’y tord : le piton tiendra bien. La corde est emprisonnée dans le mousqueton, et je sors de la niche ; sous mes semelles, le vide est de première grandeur ; mes doigts saisissent les prises qui s’avèrent petites mais bonnes. Je n’ai presque plus rien à envier aux oiseaux. Je m’élève rapidement ; aucune difficulté sérieuse ne m’arrête. Le passage est aérien, mais assez facile. Ce n’était vraiment pas la peine de se donner tant de mal pour enfoncer un piton… J’ai vite gagner la cheminée, très raide, mais garnie de prises excellentes, et, vingt mètres plus haut, je m’installe sur une plate-forme confortable, près d’un solide rocher qui me servira à assurer les camarades.
Maintenant le soleil éclaire gaiement notre muraille. Le sommet ne doit plus être bien loin. J’entame à pleine voix une chanson ossaloise ; de coups de marteau me répondent. Cazalet voudrait bien récupérer son piton. Il n’y parvient pas. Il abandonne donc cette trace de notre passage ; elle servira de perchoir aux choucas. Il grimpe la cheminée surmontée sans peine, et, au moment où, les muscles bien chauds, nous sommes prêts à vaincre les pires obstacles, la face Ouest du Petit Pic capitule. Nous débouchons sur les éboulis du sommet, à quelques mètres du cairn.

Il est treize heures ; le brouillard monte peu à peu, voilant et découvrant tour à tour l’horizon. Par delà la brèche profonde de la Fourche, une haute paroi, celle du Grand Pic, nous dérobe l’Orient. Vers le Sud, un piton d’assez fière allure, quoique d’altitude modeste, règne en maître sur des pâturages immenses, terrains de ski incomparable en hiver : c’est l’Anayet, où est née, un jour d’automne de l’année précédente, l’idée de l’ascension que nous venons de réussir. Nous le regardons un instant avec gratitude. Au-delà de lui, bien plus loin vers le Sud, se développe la grande chaîne de Bouquesa, longue suite de murailles blanchâtres, fort hautes, quasi inconnues, et arides comme des escarpements du Sahara. Que d’itinéraires inédits pour les grimpeurs sur ces pics étranges. Mais, pour les parcourir, il ne faudra pas craindre la soif.
La brume s’épaissit et nous cerne complètement. Nous abandonnons le sommet et dévalons vers l’arête de Peyreget. Deux heures plus tard, nous retrouvons notre matériel dans les éboulis. A travers les grands pâturages, nous allongeons le pas vers Bious-Artigues. Soudain le Petit Pic montre sa tête orgueilleuse au-dessus du brouillard, qui le grandit démesurément. Tous ses voisins restant invisibles, il dresse son cône effilé dans un isolement superbe, tel un Petit Dru ossalois.

R. OLLIVIER
La Montagne n° 267, Mars 1935


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Guest 03-Jun-2007 10:22
comment sortir un oiseaus de la cheminer