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Jean M. Ollivier | all galleries >> Climbing in Sixties >> 1961 > jmo dans la face Ouest du Penemedaa, lors de la premiere. Récit.
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18 Juin 1961 Ph. Hervé Butel

jmo dans la face Ouest du Penemedaa, lors de la premiere. Récit.

Gourette - Pyrenees

DU NOUVEAU A GOURETTE

Première ascension de la face Ouest du Pénemédaa (2489 m) le 25 juin 1961 par Etienne Saix, Jean Ollivier, Hervé Butel. (Altitude n° 35, juin 1962, p. 10).

Que pouvait cacher Gourette d'inconnu, de jamais fait ? A première vue, tout avait été exploré à l'exception peut-être de quelque super pilier à « golos ». Et pourtant, le cirque si connu gardait encore un petit secret (et nul doute qu'il n'en garde encore pour qui saura chercher). Une face n'avait encore attiré les convoitises d'aucun grimpeur ; on l'avait oubliée ! Aubaine d'autant plus grande qu'elle reste dans la gamme les plus classiques des difficultés rocheuses. Ce n'était donc pas un problème « moderne » (?) cette face Ouest du Pènemédaa, mais tout simplement une ascension à faire parce qu'elle était là et qu'elle avait quelques chances de présenter un intérêt.
Cette paroi, invisible de la route, est bordée au Nord par le fameux pilier Nord-Ouest dont la courbe audacieuse est un des plus hardis motifs du massif ; au Sud, une mince arête marque la frontière entre la face Ouest proprement dite et le versant S.-O. du Pènemédaa. Alors qu'on parle tellement, à l'heure actuelle, de l'esthétique d'une voie, celle qui parcourt la face Ouest répond parfaitement aux exigences du beau en matière alpine car elle mène exactement au sommet Nord.
A vrai dire, c'est Robert 0llivier, mon père, toujours plein d'idées fécondes, qui proposa à l'appétit dévorant de nos enthousiasmes la solution de ce « problème ».
Et voici comment, ce matin de juin, trois camarades sont réunis : Etienne Saix, Marseillais, comptant déjà pas mal de prouesses dans les Alpes, et qui profite des loisirs que lui laisse parfois son service militaire pour goûter au pyrénéisme, Hervé Butel, ami de toujours, mon habituel compagnon de cordée, et moi-même. Après une nuit où j'ai peu dormi et un lever matinal, nous préparons un matériel qui doit nous permettre de faire face aux sérieuses difficultés que nous pensons rencontrer.
Le temps incertain d'hier soir a fait place à une aurore radieuse et déjà les grands sommets rosissent dans l'aube froide. Excités par les perspectives envoûtantes du « sesto superiore », nous arrivons rapidement au pied de la face. Hum !... Evidemment... elle n'a pas l’air commode. Excellent ! pensons-nous, Hervé et moi, cependant qu’Etienne, le doyen de l’équipe, voit son optimisme diminuer face au vilain mur qui nous domine. D’abord son expérience alpine et son âge lui font endosser la responsabilité morale de la cordée. En outre, il fait son service militaire et risque d'encourir des sanctions s'il n'est pas rentré ce soir. Pour Hervé et moi, ces problèmes ne se posent pas et nous envisageons en secret avec la plus parfaite insouciance et la plus ample satisfaction une série de bivouacs et des myriades de pitons... Nous ne tenons plus en place d'impatience, nous bouillonnons d'une frénétique envie de grimper.
Or, cette excitation aurait pu nous envoyer droit à l'échec. En effet, dans sa partie inférieure, la face Ouest est défendue par une barrière de dalles grises compactes et d'aspect redoutable ; au premier abord, nous pensons attaquer au moyen d'une longue fissure mince, à l'aplomb du pilier. Nord-Ouest ; mais cette fissure surplombante aurait sans doute nécessité une lourde artillerie et pour notre horaire, au moins, il est heureux que nous soyons allés voir la fameuse barrière de plus près.
A notre grand étonnement un cheminement apparaît et il a même l'air très praticable ; la route s'avère relativement aisée sur une bonne hauteur ; restent les surplombs hostiles qui, tels des moulures, ornent la partie supérieure de la muraille ; mais... nous verrons sur place.
En attendant, sans difficulté majeure nous traversons de vastes dalles si communes à Gourette et qu'Etienne n'aime guère, mais, s'il est un peu dérouté, le passage est franchi sans perte de temps et bientôt les premières défenses véritables de la paroi font leur apparition. Nous sortons la corde, Etienne s'équipe, prend la tête, et nous laisse les gros sacs. Le traitre ! Vétéran de la cordée, il entendait mener l'affaire de bout en bout. Nous comprenons la chose mais l'admettons avec peine ; cependant, nous n'avons pas le temps de nous désoler car nous sommes entièrement pris par le train d'enfer que mène notre leader sur un terrain maintenant plus à son goût.
Franchissant une nervure, nous prenons pied sur un vaste plan incliné descendant qui nous conduit à l'attaque proprement dite de la voie. Chaque relais est solidement équipé par Etienne de plusieurs pitons indéracinables qui font souvent gémir la « dépitonneuse », en l'occurrence Hervé.
Au milieu de la cordée, je pensais faire du tourisme agréable, exempt de soucis. Mais ils arrivent vite les soucis et je suis pris entre deux énergumènes qui se démènent furieusement au bout de deux ficelles, l'un réclamant du « mou », l'autre en ayant trop. Il faut assurer le leader, le dernier et contenter tout le monde est presque aussi difficile que résoudre la quadrature du cercle !
Heureusement la vitesse se réduit notablement car la paroi se redresse. Etienne parcourt une vire peu difficile mais croulante avec des précautions félines en direction d'un dièdre qui doit assurer la continuité de notre voie. Des pierres détachées passent en ronflant dans l'espace et vont s'écraser sur les dalles grises ou nous étions tout à l'heure ; leurs débris achèvent leur course sur le névé de base, loin, en bas. Il doit d'ailleurs tomber pas mal de pierres en certaines époques, car le ressaut de base est constellé d'impacts plus ou moins importants produits par la désagrégation, des surplombs supérieurs pourris, sympathiques hors-d’œuvre de cet édifice rocheux impressionnant.
Manquant de corde, Etienne établit le relais dans le dièdre avec la débauche de pitons dont il fait habituellement preuve dans ce genre de travail ; c'est incroyable ce qu'il arrive à planter dans ce rocher réfractaire ! Je ne m'en plains pas d'ailleurs, car le relais est pour le moins exigu et je crois, moi aussi, qu' « il n'est de bons alpinistes que ceux qui vivent vieux ».
Une fois rejoint, il s'assure scrupuleusement de ma queue de vache et reprend son escalade. Pour le moment, c'est bien simple nous montons tout droit. Le rocher est franchement mauvais, aucune prise ne fait partie de la masse et constamment Etienne cherche à ruser avec cet agrégat de roches croulantes mais, peine perdue ; tout un lot de ces maudits cailloux lui part sous les pieds et il se retrouve accroché à un piton, solide, comme par hasard. Ce n'était d'ailleurs pas à proprement parler un dévissage, mais plutôt un dérapage promptement bloqué. Il repart sur le champ et disparaît, sans mal cette fois, au-dessus d'un surplomb qui m'empêche de suivre ses évolutions ; seule la corde m'apporte des indications sur sa progression lente et mesurée.
Je me retrouve isolé sur un étroit marchepied, Hervé 30 mètres au-dessous et, 20 mètres au-dessus, Etienne, expédiant les habituels cailloux qui s'engouffrent dans le vide sans toucher la paroi, hachant l'air de façon désagréable, inquiétante même. Si inquiétante que je me surprends à penser à ce qui adviendrait si le grand escogriffe qui se démène là-haut, suivait la même voie... Mais il est « fort », pourquoi s'envolerait-il ?... Quand même, une petite inquiétude tourne au fond de l'estomac impression banale direz-vous et on arrive bien sûr à la faire taire mais, parfois, elle insiste et peut-être est-il bon, à l'occasion, d'avoir ce signal d'alarme discret en réserve.
Elles sont sérieuses ces parois, grandioses, imposantes, peut-être même hostiles, froides aussi... Tiens, moi qui transpirais à grosses gouttes tout à l'heure, j e me surprends à frissonner. Un courant d'air frisquet et continu se coule de façon indiscrète à travers les accrocs de mon anorak, et, détail singulier, il vient d'une fissure profonde qui balafre le fond du dièdre. Un trou souffleur en pleine paroi du Pènemédaa ! Cette montagne serait-elle un colossal morceau de gruyère, gigantesque fromage s'écoulant lentement vers Gourette ?
Des « fourmis » commencent à dévorer mes jambes, crispées de façon incommode sur de minuscules appuis. Les fesses, plus ou moins bien calées, manifestent, elles aussi. Première course de l’été, manque d'endurance, etc., etc. Mais, par contre, le travail effectué sur « nos » rochers d'Arudy (voir : ) paraît être efficace à en juger par notre aisance dans ce terrain qui n'a rien de si facile.
J'essaie d'engager la conversation avec Hervé, mais peine perdue, les surplombs empêchent toute communication claire. Je me tourne alors vers le vaste cirque des montagnes qui nous entourent : le puissant Ger, l'élégant Amoulat, la Pène Blanque, l’Aar-Sourins... De notre nid de choucas, ces sommets prennent un caractère particulier, souligné en cette saison par une abondance de neige bien sympathique. Mon regard plane doucement sur ce décor puis s'arrête sur le pilier du rognon de Ger (voir ). Belle allure. Cependant pas besoin d'aller si loin pour contempler des piliers vertigineux .- à ma gauche jaillit, altier et vengeur, s'arrachant violemment des calcaires gris, l'angle occidental du pilier N.-O. Dans un effort puissant il projette sa masse ocrée vers la profondeur bleue de l'azur et il apparaît à mes yeux de grimpeur comme le summum de la difficulté, paroi de cauchemar, ou de rêve. Lisse, à peine entamé par de très légères fissures, visiblement borgnes, il ne présente pour tout relief que de grosses écailles en perte de vitesse sur ses dalles unies.
Soudain un beuglement caractéristique interrompt ma contemplation ; déformé, le signal d'Etienne m'invite à le rejoindre après avoir fait monter Hervé ; ce qui est vite opéré. Surprise, une bonne plate-forme m'attend. Le premier bon relais. Il est possible d'effectuer quelques pas en toute quiétude sur un terrain plat, ce qui, évidemment est délectable on : regrette si vite le terrain des vaches !
La plate-forme s'étire à droite et s'en va sous forme de vire dans une zone abrupte surmontée de surplombs. Des surplombs il en existe partout au-dessus, mais nous croyons discerner une possibilité de progression relativement aisée à gauche. Donc, laissant la vire, Etienne, sans même me laisser le temps de faire une photo et de placer trois mots, s'élance vers un petit dièdre évasé et raide dont il grimpe une partie en artificielle ; puis il disparaît de ma vue derrière une nervure, sous un auvent.
La situation se complique maintenant. Des avancées rocheuses surgissent de partout, vilains surplombs pourris, tantôt jaunes, tantôt noirs ; ils se présentent sous forme de feuillets branlants tenant par on ne sait quel phénomène de la statique ; par endroits ils ont l'audace d'édifier de véritables toits !
Le défaut de cette barrière est une sorte de goulet, brèche dans les moulures de cette forteresse naturelle. Une courte vire mène au pied du passage qu'il nous offre. Le coin est équipé en vue des pires cataclysmes et nous étudions les lieux. Nous sommes dans un pli de la paroi. A gauche, démarre et grimpe la fissure libératrice. Mais impossible de l'atteindre directement de façon simple, du moins semble-t-il à Etienne qui préfère s'élever à droite en vue de faire un court pendule pour rejoindre la fissure. Il se rétablit donc avec force précautions sur une espèce de tubercule feuilleté, excroissance de roche en décomposition, verrue maladive accolée à la paroi. Ce petit exercice exécuté fort élégamment au-dessus de ma tête détache quantité de lamelles de roches tournoyant dans l'air avec un frou-frou très attendrissant jusqu'au moment où l'une d'elle fait un atterrissage forcé sur ma tête. Alors rien ne va plus et, la contemplation béate des « soucoupes » de pierre évoluant dans l'air se change en invectives coléreuses tant bien que mal contenues par égard pour le pauvre leader crispé par l'effort et l'inquiétude sur ce terrain instable. Le simple frôlement de la corde détache des colonies de feuillets.
Etienne, arrivé sous un surplomb en décomposition, traverse à gauche au moyen de clous qui n'ont pas l'air faciles à planter, « Aussi, avec sa manie de l'extra-solide... ça le perdra ! » Il arrive enfin dans la fissure et la remonte. Bientôt il sort sur des rochers francs, peu difficiles. Cri de joie. Mais la plate-forme de relais, comme d'habitude est minuscule, et des pitons sont nécessaires. Par malheur le seul qui puisse convenir échappe aux mains d'Etienne et s'envole dans un tintement de désespoir. Il faudra se contenter de clous plus ou moins douteux, de l'avis d'Etienne. Si ses pitons ne tiennent pas, selon l'expression familière, un éléphant accroché à la queue d'une vache, sa joie n'est pas complète. Toujours est-il qu'il m'est formellement interdit de dévisser ou d'utiliser la corde de façon exagérée. J'ai cependant confiance et tout va bien. J'émerge dans une gloire de soleil sur du beau rocher gris. Après cette face austère, froide et croulante, c'est bien agréable.
La suite est facile, véritable « prairie propice au camping ». La « dépitonneuse » suit. Il semble qu'elle marche mal aujourd'hui. Je l'entends là-bas dessous qui rugit, peste et vitupère, frappe, hurle, cogne et tempête. Elle passe au moins une demi-heure à dépitonner, le passage, au risque, me crie-t-elle, de dévisser vingt fois. « Mais tu es assuré, vas-y ! » lui dis-je très paternellement, L'argument n'est pas assez fort et Hervé n'a aucune envie de jouer les araignées au plafond avec 300 mètres de vide.
Encore un accès de rage sur un piton récalcitrant : « Salaud d'Etienne ! » et nous nous retrouvons enfin tous les trois sur une banquette herbeuse qui nous reçoit cordialement pour un agréable pique-nique.
Sortis d'une face sévère, confortablement installés au soleil, calmant les exigences d'un estomac aux abois, nous envisageons la suite avec un optimisme dévastateur. Il n'est jamais qu'une heure de l'après-midi et une très grande partie de la face a été gravie, sans mal, il faut l'avouer. C'est trop beau cette première sur mesure. Il nous faudrait un peu de « six » maintenant ! Un peu de suspense, d'émotion. Mais Etienne, fatigué par les longueurs de corde qu'il a menées en tête, voudrait une sortie rapide. L'examen des lieux se révèle intéressant. Nous sommes dans une sorte de cirque aux parois raides. A gauche, une possibilité de sortie s'offre sur la face N.-O. Mais cette solution, peu esthétique, n'est pas retenue ; de plus certaines zones apparaissent assez lisses. La partie centrale du cirque est fendue d'une immense fissure ; elle a l'air de monter droit au sommet. Ce n'est d'ailleurs qu'une impression car le sommet principal du Pènemédaa est plus haut et plus au sud. En outre cette fissure, ventrue par endroits, exagérément profonde en d'autres, n'inspire pas le génie sestogradiste d'Etienne qui préfère rejoindre l'arête bordant la face à droite. Elle a l'avantage de mener droit au sommet fort élégamment. Entre la grande fissure et l'arête, une belle paroi. Nous viendrons la faire une autre fois.
Le flanc Nord de l'arête est facilement rejoint. Le brouillard, vieil ami de Gourette, vient de se lever et tord ses bras vaporeux dans les replis de la muraille qui prend un aspect fantastique et redoutable. Le pilier N.-O. que nous avons dépassé depuis longtemps disparaît maintenant dans un remous glauque, et les puissantes murailles du cône terminal flottent au-dessus des nuées. Le paysage a grande allure et, bien qu'habitué des grandes faces alpines, Etienne lui-même en est impressionné.
Pour prendre pied sur l'arête il doit s'employer sérieusement et pendant qu'il halète dans un dièdre déversé, Hervé et moi nous racontons des histoires que ne paraît pas apprécier notre leader. « N'avait qu'à nous laisser passer devant, n'est-ce pas ? »
Cependant, notre attention se reporte sur lui bien vite pour éviter les blocs qu'il peut éventuellement nous expédier, le rocher se désagrégeant à nouveau aux abords de l'arête.
Le dièdre doit être joli, mais en second je ne peux pas en jouir pleinement, ni Hervé qui doit toujours enlever les pitons.
La suite est rapidement menée. Nous atteignons le sommet Nord et parcourons rapidement l'arête vers le sommet central. En cours de route, Etienne admire la puissante structure du Pènemédaa et le trouve très grande montagne. C'est bien aussi mon avis.
Bientôt, une glissade joyeuse nous mène., à la rencontre de mon père. Il est aussi heureux que nous de notre réussite. Dommage qu'il n'ait pu venir; cette ascension lui était un peu due.
Nous passons au pied de la face Ouest, « notre face » pour aujourd'hui. La brume masque la partie supérieure de l'édifice ; dans la pénombre grandissante du soir son relief disparaît et il prend l’apparence d’un mur lisse des plus rébarbatifs.
Et cette montagne nous semble étrangère, totalement différente de celle que nous étions venus conquérir ce matin.
Jean Ollivier


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