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Juillet 1902 Louis Robach

Mont-Perdu au clair de lune en 1902 - Photo offerte à R. Ollivier par L. Robach

Pose 1h15 au clair de lune

Louis ROBACH (1871-1959) - Récit
par Robert Ollivier
Lequel d'entre nous n'a pas lu, de temps en temps, cette revue
américaine qui s'appelle « Sélection du Reader's Digest » ?
Dans chaque numéro, ou peu s'en faut, nos psychologues d'U.S.A.
prétendent nous présenter, chaque mois, un véritable surhomme.
Eh bien, amis pyrénéistes, ces surh
ommes-là, vous les trouverez bien pâles auprès d'un des vôtres,
qui vient de s'éteindre à 88 ans, avec cette simplicité, cette
facilité, cette discrétion qui furent les qualités de sa vie
entière, et qui resteront, toujours, la marque des champions
de l'humanité.
Avant de faire, bien tardivement, sa connaissance, je, n'avais
jamais pu séparer le nom de Louis Robach du portrait truculent,
plein d'humour et, pour tout dire, pétaradant d'esprit comme
un feu d'artifice, que Le Bondidier avait tracé de lui, un
certain soir de 1933, au cours d'un banquet fêtant le trentenaire
de la Section de Tarbes du C.A.F. Le Seigneur du Château-Fort
de Lourdes remettait, ce soir-là, la médaille d'or du Club
Alpin à cinq pyrénéistes chevronnés : le Docteur Dupin,
MM. Camboué, Lataste, Ledormeur et Robach.
Et, de même que je n'ai jamais pu séparer Robach de son portrait
par Le Bondidier, je ne peux absolument pas résister à l'envie
de citer tout entier ce discours, tant je me sens bien incapable
d'en écrire un semblable.
Et pour finir, voici Robach, l'homme des records.
Recordman de l'âge. Il est le Benjamin de ces cinq nouveaux
promus qui représentent gaillardement d'ailleurs et en pleine
santé de corps et d'esprit, 360 printemps au total et 72 de moyenne.
Recordman de l'altitude pour cette promotion. Il a dépassé
à l'Aconcagua 5,800 mètres. Il est monté six fois au Mont Blanc,
trois fois au Mont Rose, au Cervin, à la Barre des Ecrins,
au Pelvoux, au Weisshorn, au Breithorn, au Stockhorn et à
bien d'autres sommets dépassant les 3404 mètres de notre Nethou.

Recordman du tourisme à bon marché. Végétarien, il se borne
comme nourriture en montagne au sucre, et dans la plaine,
au pain et aux fruits.
Comme gîte en voyage, il considère que les banquettes des
salles d'attente de chemins de fer quand il pleut et les
bancs des promenades publiques quand il fait beau, ne sont
pas édifiés pour les chiens. Ces principes admis et le
régime adopté, l'ascension du Mont-Blanc revient à dix-neuf
sous d'avant-guerre (une livre de pain et soixante-dix
morceaux de sucre), le Cervin à 2 fr. 60; le Mont Rose
à 4 fr. 25; une randonnée en Italie (chemin de fer non
compris), à 9 fr. 65; une autre aux cataractes du Nil à
14 fr. 60 (pain, concombres, 260 oranges et dix mètres,
de canne à sucre). Les chameaux du pays de Tout-an-Kamon
ont dû en être eux-mêmes épatés et, sur ce chapitre de la
sobriété, s'avouer vaincus.
Recordman des grands voyages. Comme je viens de le dire,
il a regardé sous le nez le Sphinx d'Egypte et vu le Vésuve
fumer au-dessus du golfe napolitain; il s'est promené sur
les quais de la Tamise et sur ceux de Hambourg; il a vu
danser à Biskra les Ouled-Naïls, ces petites prostituées
plus pudiques en leur tenue que beaucoup de
nos dames patronnesses; il a traversé l'Amérique sans
souffrir du régime sec; il a observé au Canada une éclipse
totale de soleil qui a ravi son cœur d'astronome passionné;
il a lu son journal à la lumière du soleil de minuit, franchi
les Andes, parcouru le Brésil, le Chili, la Grèce et la
Norvège. La dernière carte qu'il m'adressa était timbrée
de Constantinople et je crois que sous peu il part pour
Léningrad où les restrictions alimentaires n'auront pas
prise sur lui.
Recordman du Mont-Perdu avec 33 ascensions et une suite
probable la prochain saison.
Recordman des clichés photographiques; plus de 7.000 dont
certains pris au. clair de lune avec quinze degrés sous zéro
et des temps de pose de plusieurs heures.
Recordman de l'accident avec une dizaine d'anicroches dont une
seule suffirait à tuer un moins résistant. En 1904, monté au
Nethou à skis - car il a été un des précurseurs du ski - il
attrape une entorse en descendant au Col Coroné. Que ceux qui
connaissent le terrain imaginent ce qu'a pu être cette descente
jusqu'au plan des Etangs, la remontée au port de Venasque,
la descente à l'hospice de France à skis avec un pied immobilisé.
Dix-huit heures d'effort, à genoux, à quatre, pattes, à cloche
pied, assis, et le retour, à Luchon avec deux orteils gelés.
Ce qui ne l'empêchera pas de se croire très prudent et de déclarer
qu'il n'a jamais rien tenté de dangereux en raison de sa
«responsabilité morale» vis-à-vis de sa famille.
Enfin, dernier record, l'ambition. Car cet homme si modeste
d'aspect, de parole et de tempérament, est plus ambitieux que
n'importe lequel d'entre vous. Il rêve, en effet, de monter
au-dessus de 6000 mètres et de faire le tour du monde...
C'est ce qu'en votre nom je lui souhaite, en vous proposant,
en son honneur, un ban.
J'entends encore les applaudissements et les cris d'enthousiasme.
Je vois l'auteur de ce portrait sensationnel épingler la médaille
sur la poitrine d'un homme grand, mince, droit, extraordinairement
jeune et vigoureux et qui, pourtant, d'après l'Etat Civil, a 62 ans.
Vingt-six années ont passé depuis. Mon enthousiasme n'a pas faibli.
Et je ne me doutais guère, ce soir-là, que je serais l'un des
derniers correspondants, l'un des derniers confidents de cet
être extraordinaire dans le vrai sens du mot. Par hasard,
à propos de livres — de montagne, bien entendu — nous échangeâmes
deux lettres. D'autres suivirent, accompagnées de photos.
« Puisque, vous voulez bien vous intéresser à mes fantaisies,
écrivait-il, j'éprouve le besoin, comme les vieux, de revivre
mon passé, et je viens vous faire part de quelques-unes de mes
excentricités. » En quelques pages, avec quelques dizaines de
photos, il résuma, il illustra toute sa vie. Ce fut pour moi
la revue à grand spectacle, à multiples tableaux qui déroula sous
mes yeux une vie ahurissante d'homme libre, indépendant — ô combien !
aventureux, curieux, d'une curiosité passionnée, qui le poussa dans
tous les coins du globe, sous toutes les latitudes. Il se rendit
dans tous les lieux du monde où la nature avait mis en scène ses
spectacles les plus prestigieux, partout où l'Histoire avait gravé
ses événements les plus mémorables. Avec sa lunette astronomique,
il scruta les profondeurs du ciel et observa avec passion les
phénomènes de l'infini sidéral. Et ce grand voyageur, ce passionné
de toutes les connaissances humaines fut un père de famille modèle,
qui éleva sept enfants, en fit de vrais hommes, de vraies femmes,
tout en apportant dans son métier une conscience professionnelle
d'une rare qualité. Comment un seul homme a-t-il pu vivre de façon
si diverse, sans que la fortune, à sa naissance, lui apportât
cette indépendance qu'il gagna avec une énergie farouche ? Comment
a-t-il pu remplir sa vie jusqu'aux dernières années sans faiblir :
il avait 85 ans quand il alla voir, tout seul, comme d'habitude,
le Grand Canon du Colorado, d'où il m'envoya deux cartes postales ?
Ce furent les dernières. Peu après, une chute, une hémorragie
l'affaiblirent. La lettre qui, en mars 1959, me fut envoyée
de Montréjeau, était bordée de noir.
J'éprouvai un choc, et aussitôt, un remords : je ne lui avais
rendu visite qu'une fois. Il est vrai qu'il voyageait beaucoup -
à 84 ans - et moi aussi - 40 ans de moins - mais pas si loin
Comme je l'envie, et de quels programmes ne me fait-il pas rêver ?
Je n'oublierai jamais cette journée, le charmant accueil de
Madame Robach et de son mari, et cette impression inoubliable
de converser non pas avec des personnes dites âgées, mais avec
des camarades, comme tous ceux que je fréquente et qui ont, en
moyenne, dix ans de moins -que moi, des camarades sportifs,
dynamiques, ne rêvant que découvertes; des camarades
remarquablement intelligents, dont la mémoire fidèle n'avait
rien perdu de l'expérience d'une longue vie.
Par courtoisie, ces végétariens convaincus me servirent de la
viande et en mangèrent eux-mêmes, tout en me déclarant que
cette substance ne servait vraiment à rien. Devant le
résultat de ce régime, illustré par la jeunesse étonnante
de mes hôtes, j'avoue que je restai songeur et que je me
promis d'étudier sérieusement la question.
Toute la vie de Robach, d'ailleurs, est une leçon. La place
me manque pour la dégager comme je le voudrais et pour citer,
même en me contentant des principaux, les aspects pittoresques
de cette vie extrêmement originale. Je vais tout de même
essayer d'en retracer quelques-uns.
Nous avons laissé Le Bondidier, Seigneur du Château-Fort de
Lourdes, ouvrir le ban en l'honneur de Robach, un soir d'été
1933, après avoir annoncé que cet homme modeste était plein
d'ambitions et qu'il voulait notamment monter à 6.000 mètres
et faire le tour du monde. Il restait à Robach 26 ans pour
exécuter ce programme. Il avait alors 62 ans; à cet âge,
la plupart des hommes réduisent considérablement leurs
activités et, les pieds dans les pantoufles, le derrière
sur un coussin, souvent le petit verre à la main, ne goûtent
plus guère que les plaisirs de la table ou, pour les meilleurs,
ceux de l'esprit. Robach, lui, ne changea rien à ses habitudes.
Mieux : il élargit son champ d'action.
D'abord le nombre d'ascensions au Mont-Perdu passe de 33 à 43.
En 1935, il va, avec un altimètre de précision, s'assurer que
la Mer Morte est bien à 395 mètres au-dessous du niveau de la
Méditerranée et constater que les gens n'y flottent pas comme
des bouchons... Puis il se rend au Jourdain, à l'endroit présumé
du baptême de Jésus-Christ et y puise l'eau qui devait servir au
baptême de, deux de ses filles et à celui de ses petits-enfants :
« Il en reste pour les prochains », écrit-il ! Un peu plus loin,
il alla voir la Jéricho de l'histoire et rapporta une brique
des fameuses murailles qui tombèrent au son des trompettes
en l'an 1501 avant Jésus-Christ...
Il avait autrefois expédié ses fils .aînés en Argentine,
dans l'hôtellerie. Ils y avaient fait fortune. Cela leur
permit d'offrir à leur papa des voyages, « et quels voyages! »,
écrit-il. En 1948, il visite la Terre de Feu; il est
empoisonné, ce qui lui laisse des troubles d'équilibre.
Mais, dit-il, « on marche quand même ». En 1950, il va en
Bolivie et gravit le Chacaltaya (5.420 mètres). Il a 79 ans.
En 1954 (83 ans), il renouvelle sa
tentative à l'Aconcagua, mais il y essuie un nouvel échec
: « Mauvais temps, écrit-il, et je n'avais les guides et
les mulets que pour trois jours. Je voulus alors
m'offrir une fantaisie unique. Au Pérou, je suis allé jusqu'à
Cerro de Pasco, une ville située à 4.355 m. d'altitude, au
terminus de la ligne de l'Amazone et je comptais continuer
à pied jusqu'au plus gros fleuve de la terre (on fait des
bêtises à tout âge). Hélas ! j'en étaisà plus de 100
kilomètres à travers le désert, entre 4.500 et 5.000
mètres, et seul ! Pour atténuer mon regret, j'ai pensé
que je n'avais pas encore vu l'Himalaya et que ce serait
beaucoup plus intéressant. » Pour finir de se consoler,
il s'en va, accompagné d'un ouvrier d'une mine de cuivre
voisine, gravir le Pic Meya, 5.325 mètres. « Aucune, difficulté,
mais je me suis aperçu, tout de même que je ne suis plus jeune ! »
L'année suivante, il m'écrit : « A 84 ans, la date du dernier
grand voyage ne doit plus être très éloignée; il faut que j
e me hâte. » Et il alla voir le grand Cañon du Colorado.
Rappelons, pour les pyrénéistes, qu'il fit la première ascension
du Néthou à skis en avril 1904 et, en 1905, celle du Mont-Perdu.
Il passa 120 heures en hiver, dans la tempête, à l'Abri Laurier,
en compagnie d'Arlaud et de plusieurs compagnons; comme Russell,
il passa, une nuit au sommet du Mont-Perdu et parcourut les
Pyrénées dans tous les sens, sur les deux versants, à toutes
époques de l'année et à tous les âges.
Il n'eut pas, comme Russell, l'aisance qui donne la liberté dès
la naissance. Chirurgien-dentiste, il travailla 16 heures par
jour, pendant des années, pour vivre, faire vivre sa famille,
élever ses enfants et gagner durement sa liberté. Quand il se
jugea assez riche, il ferma son cabinet, et devint ce qu'il
voulait être et que ses étranges cartes de visite illustrent bien
Louis ROBACH
Astronome photographe alpiniste
et à l'occasion
Chirurgien-dentiste
In Nubeculis
Pied à terre à Montréjeau
(Haute-Garonne)
Il méprisait au plus haut point le confort et la gourmandise;
il ne pensait qu'à satisfaire sa soif inextinguible de curiosité;
par son moral et sa sobriété, il se forgea un corps d'acier; il
fut un vrai champion du non-conformisme. Aussi honnête et franc
que son corps était droit, le cœur aussi tendre que sa volonté
était dure, il fut bon père, bon époux, bon camarade et fidèle
ami. Sa vie tout entière est une
illustration de la victoire de l'esprit sur la matière.
Je jette un dernier regard sur quelques-unes -de ses photos,
avant de les ranger avec mes souvenirs les plus précieux :
chutes du Niagara et du Zambèze, face sud du Tozal del Mallo,
le Capéran de Sesques avec, au sommet, le docteur Marsoo,
Bourdieu, Mouthé et Cardebat en 1926, Falisse à ski au sommet
du Mont-Perdu, le sommet du Mont-Blanc, celui du Weisshorn,
le front du glacier Magdalena
au Spitzberg, la grande cloche cassée du Kremlin, les passes
de Darial au Caucase, un des colosses Memnon en Egypte,
le désert vu de la Grande Pyramide, les plages de sable blanc
du Cap de Bonne-Espérance...
ROBERT OLLIVIER.
Pyrénées n° 38 (Bulletin Pyrénéen n° 281), 1959
Michel Weidner a publié en 1989 une biographie très complète
de Louis Robach (Ed. Librairie des Pyrénées) A lire absolument.


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