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Cl. Bull. Pyr.

Marboré et Pics de la Cascade : itinéraire suivi le 25 octobre 1934

Le Pic Central de la Cascade par les Murailles du Cirque
R. Ollivier Bulletin Pyrénéen n° 217, 1935
Un projet vieux de plusieurs années me ramena à Gavarnie à la fin du mois d'octobre 1934, alors que les grandes courses d'été semblaient terminées, et que, cette année là encore, je croyais bien mon vieux rêve remis à la saison suivante. Quelques jours plus tôt, lors d'une collective du Club Pyrénéen au Mur de la Cascade, j'avais montré à Maurice Grosjean le chemin qu'il restait à parcourir pour gagner le faîte du Cirque par les arceaux et la face nord du Pic Central de la Cascade. Dix jours après, mon camarade me reparla de cette course de longue haleine, à laquelle il n'était peut-être pas très sage de songer à pareille époque, et il me décida brusquement à la tenter le lendemain. L'imprévu possède un charme puissant.
Après avoir quitté Pau le matin même en auto, nous débarquons à Gavarnie vers 5 h. 50 Au rythme de nos lourds souliers, nous traversons le village endormi et déjà comme figé dans la torpeur hivernale. L'aspect des murailles du Cirque n'est guère rassurant. Les premières neiges les ont blanchies jusqu'à 2.000 mètres; partout de rébarbatives coulées de glace encombrent les voies d'ascension; la Cascade, gelée, ne coule plus et un froid vif nous fait appréhender notre prochain contact avec les rochers. Nous commençons à regretter de ne pas avoir apporté de piolet. Mais, si les conditions se révèlent trop mauvaises, nous pourrons toujours interrompre la course soit au premier étage du Cirque, et redescendre par les Sarradets, soit au deuxième étage et gagner le col de la Cascade.
A 7 h. 15, nous attaquons le mur de la Cascade, sur lequel nous nous élevons avec rapidité. Nous n'avons pas de temps à perdre; la nuit vient vite à la fin d'octobre. 1.500 mètres de muraille nous séparent du sommet, qu'il nous faut atteindre avant le coucher du soleil. Pour le reste, la pleine lune, nous l'espérons, sera exacte au rendez-vous et guidera nos pas sur la longue route du retour. Malgré une légère variante, imposée par la petite cascade, qui, habituellement, arrose copieusement les grimpeurs, et que nous trouvons complètement gelée, le Mur est escaladé en moins de cinquante-cinq minutes.
A 8 h. 15, nous entamons le passage des Arceaux. Le premier ne nous oppose aucune difficulté. Mais déjà la neige occupe les corniches d'éboulis croulants que nous traversons avec prudence pour gagner le deuxième Arceau. Il s'avance vers le Cirque sous la forme d'un énorme éperon surplombant. Pour atteindre les corniches supérieures qui permettent de le franchir, j'attaque la muraille à droite, au-dessus de la vire que nous suivons, dès que l'escalade devient possible. Après quelques mètres de montée verticale, rendue délicate par la friabilité de la roche et la mauvaise disposition des prises, je prends pieds sur une vire assez large, inclinée vers le « Nez » de l'Arceau et où le rocher s'avère complètement pourri. Elle nous permet cependant de passer au-dessus de l'éperon et de gagner un meilleur terrain. Les difficultés cessent au troisième Arceau, très large dans sa partie supérieure. Nous pouvons alors adopter un pas de promenade, qui nous permet d'admirer tranquillement le décor impressionnant de notre ascension. De nulle part ailleurs l'architecture du Cirque n'apparaît avec autant de grandeur. Sous nos yeux, se déroule une énorme ceinture de précipices. La Grande Cascade, qui recommence à couler sous l'action du soleil, semble jaillir du rocher à quelques pas de nous pour se précipiter dans le gouffre, d'un bond prodigieux de plus de 400 mètres.
Pour atteindre le deuxième étage, l'escalade serait facile, si d'importantes coulées de glace ne nous gênaient sérieusement. Elles nous contraignent à des variantes inattendues et parfois rudes. A 11 heures, enfin, nous atteignons le glacier de la Cascade. Il est de dimension réduite à cette époque et nous devons monter à quatre pattes sur d'affreux éboulis croulants, pour nous rapprocher de la face nord du Pic Central. Au moment d'aborder, par la droite, le contrefort rocheux où s'amorce la voie d'escalade, une pente assez raide (neige dure ou terre gelée), recouverte d'une mince couche de petits silex très mobiles, nous oppose un obstacle imprévu qui nous fait perdre près d'une heure. Nous abordons finalement la paroi en un point plus commode à atteindre et suivons un passage à flanc scabreux jusqu'au contrefort. De là, une cheminée verticale, aux prises excellentes, nous conduit sur la fameuse « corniche Brulle », vire assez large et déclive, qui court horizontalement vers la gauche sur une longueur de 150 mètres environ. Nous la trouvons couverte de glace sur la majeure partie de son parcours. Nous devons, tantôt monter au-dessus d'elle, tantôt descendre au-dessous, ce qui ne facilite pas notre tâche. La vire franchie, nous nous élevons droit vers le sommet sur des rochers assez francs et solides, mais parfois raides et couverts d'une neige de plus en plus abondante. Nous parvenons ainsi aux sources de la grande cascade. L'eau jaillit d'une grotte ouverte dans la paroi nord du Pic Central. La glace scintille en grande abondance aux alentours et l'eau semble s'écouler sur un lit de cristal. Nous arpentons alors une sorte de large boulevard, feutré de neige, où, pour la première fois de la journée nous trouvons du soleil.
1. On croit généralement que la cascade est alimentée par le glacier d'où elle parait sortir. En réalité, les sources sont beaucoup plus hautes et l'eau jaillit Mi rk)eher. Voir l'article très intéressant du Dr. Arlaud sur « Les sources vauclusiennes de la Cascade de Gavarnie » (Alpinisme 1927).
Nous nous arrêtons quelques minutes. De tous côtés, des parois sévères, zébrées de neige, plongent dans les sombres profondeurs du cirque.
Montant à gauche des sources de la Cascade, sur des pentes neigeuses de plus en plus redressées, nous abordons bientôt un couloir plein de neige dure, par où nous gagnons non sans quelque peine, une plate-forme supérieure. Elle est aussi vaste que la précédente, et, comme elle, couverte de neige et de glace. Au-dessus, une paroi verticale s'élance d'un seul jet, jusqu'au sommet. La cime, d'ailleurs est double. Jusqu'à présent, les grimpeurs ont toujours emprunté le couloir, creusé en pleine mitraille, qui aboutit à la brèche séparant les deux pointes. Mais aujourd'hui, la glace vive et la neige fraîche occupent ce couloir, et nous n'avons pas de piolet.
Nous tentons d'abord de gagner directement le sommet principal par une escalade intégrale de la face nord. Nous eu surmontons péniblement vingt mètres et nous y renonçons. L'ascension de cette paroi nous semble possible, mais assez longue et le soleil décline rapidement. Nous décidons de nous rabattre sur la muraille du sommet secondaire, situé plus à l'ouest. Un rappel de corde nous dépose sur la plate-forme neigeuse, que nous suivons vers la droite. De là, une escalade rapide et facile ranime notre ardeur et nous fait espérer la fin prochaine de nos efforts. Mais la muraille se termine par une arête, dont un ressaut d'une dizaine de mètres, sorte de taillante verticale, nous oppose un obstacle inattendu et assez sérieux. Ce supplément au programme n'a pas le don de nous faire sourire et la colère nous gagne en face de cette difficulté surgie inopinément au moment même où nous croyons la partie gagnée. Eu considérant d'un oeil furibond la roche colorée par les rayons rouges d'un soleil rejoignant l'horizon, je quitte mon sac et mes souliers. Une fissure étroite, avec un départ en surplomb situé à gauche, au-dessus du couloir neigeux, fournit la clef du passage. Les espadrilles aux pieds, je me hisse avec une énergie rageuse sur des prises assez bonnes. Coinçant une jambe dans le fond de la fissure, je ramone rapidement la cheminée. Quand je parviens en haut, aucun reflet n'embrase plus les sommets. Un vent froid se lève, tandis que nous suivons la crête étroite et croulante par endroits, qui nous mène au but vers 17 h. 35.
Nous quittons le sommet au bout de cinq minutes : il nous faut profiter des dernières lueurs du jour pour parcourir le plus de chemin possible. Nous dévalons en courant les pentes d'éboulis sud du pic et commençons notre longue marche horizontale sur les gradins méridionaux du cirque. L'obscurité ne tarde pas à ralentir notre marche. La lune ne devant se lever que vers 19 h. 30, nous ne disposerons durant plus d'une heure et demie, que de la clarté incertaine des étoiles. Dans les profondes vallées espagnoles, quelques feux lointains s'allument, qui attirent un instant notre regard fatigué. Naturellement, dans cette nuit sombre, nous nous trompons de chemin à travers ce labyrinthe d'étagères et d'escarpements, que je n'ai parcouru qu'une fois il y a quatre ans et que Grosjean ne connaît pas du tout. Nous revenons longuement sur nos pas, retrouvons la bonne route, puis, afin d'éviter de nouvelles erreurs, nous nous arrêtons au pied d'un rocher, à l'abri du vent, et attendons patiemment un meilleur éclairage.
Combien de temps sommes-nous restés ainsi immobiles, à demi somnolant ou croquant nos dernières croûtes de pain ? Tout à coup une clarté imperceptible, indéfinissable, fait vaguement pâlir le noir chaos des rochers qui nous entourent. Nous repartons en frissonnant. Un névé facilite notre marche jusqu'au col de la Cascade, dont la vaste échancrure se dessine bientôt sur le ciel étoilé. En même temps, la cime de la Tour nous apparaît toute blanche sous les rayons argentés de la lune. Nous avançons d'un pas plus alerte; notre pénible marche de nuit va devenir une promenade merveilleuse dans un décor de rêve. Le vent faiblit peu à peu et se calme. La douce lumière conquiert lentement les moindres replis de la montagne, pénètre même dans la profonde vallée d'Arasas. Les sommets, parés de leurs neiges nouvelles, brillent d'un étrange éclat.
Laissant à droite le Col de la Cascade, nous essayons de contourner la Tour par les corniches méridionales. Nous manquons encore le passage, sans avoir, cette fois, l'excuse de l'obscurité. Mais la lumière lunaire est trompeuse. Nous prenons souvent un simple ravin pour un gouffre insondable et... vice-versa. Nous échouons finalement au sommet de la Tour. Nous ne le regrettons pas : le spectacle en vaut la peine. Le Marboré, le Cylindre, le Mont-Perdu surgissent à l'Orient, blancs comme des fantômes.
A nos pieds, bien bas, bien loin, scintillent doucement les lumières de Gavarnie. Nous descendons à l'ouest, dans un couloir raide et rempli de neige. Voici enfin le col des Isards, puis la Brèche. La Brèche au clair de lune !... symphonie inoubliable de reflets livides et d'ombres noires comme de l'encre. Il est vingt-deux heures; sous les rayons obliques de l'astre, se révèlent les moindres rides, les moindres anfractuosités des murailles. Et pas un souffle de vent ne trouble le calme souverain du lieu. Je n'oublierai jamais les quelques minutes de halte, que nous nous sommes accordées, ce soir-là, sur le seuil de la Brèche de Roland.
Affaiblis sans doute par une redoutable fringale, que nous ne pouvons plus calmer faute de vivres, nous commettons une erreur peu ordinaire à l'Echelle des Sarradets. Après en avoir descendu deux on trois lacets, il nous semble ne plus reconnaître la physionomie du sentier et nous remontons vivement pour nous mettre à la recherche d'une Échelle imaginaire. Après une heure de prospection en pure perte, nous reprenons la voie abandonnée, qui nous conduit sans incident au fond du cirque. Nous traversons le torrent presque à sec, où nous trouvons à peine de quoi boire. Il est minuit.
Sur la route du Cirque, nous avançons de ce pas automatique et régulier que donnent un bon entraînement et dix-huit heures de marche. Je regarde les monts discrètement éclairés, le ciel où commencent à courir quelques nuages qui ne peuvent plus nous inquiéter, et, tout d'un coup, je me sens seul. Je me retourne : mon compagnon n'est plus là. J'appelle : « Ohé, Grosjean ». Aucune réponse. Mais, là-bas, sur le bord de la route, une ombre se lève et s'avance d'un pas incertain. « Dis donc, mon vieux, criai-je, à quand la prochaine excursion ? » Aucune réponse encore. Je repars d'un pas alourdi. Je n'ose plus regarder ma montre. A quelle heure serons-nous rentrés à Pau ?
ROBERT OLLIVIER.


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