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Jean M. Ollivier | all galleries >> Climbing and skiing in Pyrenees in the '30s >> Quelques figures des années '30 > Cames Marcel (1904-1969)
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Alt n° 45

Cames Marcel (1904-1969)

Marcel Cames par R. Ollivier

Ansabère... Au fond d'un val verdoyant, au-dessus des forêts, deux fières aiguilles calcaires dressent leurs hautes murailles blanches. C'est à elles que nous avons tous pensé quand nous avons appris le banal accident de voiture qui avait coûté la vie à Marcel Cames.
24 juin 1923 : deux jeunes intrépides, Calame et Carrive, attaquent la Grande Aiguille d'Ansabère, que personne n'a jamais gravie. L'un tombe à la montée, l'autre à la descente. Le sommet est vaincu mais à quel prix ! Nul ne s'étonne que, pendant les quatre années suivantes, l'Aiguille tragique tienne en respect les rares grimpeurs qui ambitionnent encore de la vaincre. Certains montent jusqu'au Pic d'Ansabère, séparé de l'Aiguille par une grande brèche. Ils restent « sidérés par la verticalité de la muraille », comme l'écrit Jean Arlaud, grand promoteur de l'escalade pyrénéenne de ce temps-là.
Le défi, cependant, est trop insolent. Le 3 juillet 1927. Jean Arlaud organise une expédition, forte de quelques-uns des meilleurs grimpeurs d'alors : Gaston Fosset, Charles Laffont, Pierre Bourdieu... Ce dernier, vainqueur du Capéran de Sesques (4 juin 1922), sait que d'autres, avant eux, ont suivi les traces de Calame et de Carrive. On refuse de le croire. Et pourtant, sur le sommet de l'Aiguille Nord — la Grande Aiguille —, la troupe, furieuse et déçue, voit flotter un fanion, celui du Kroquant-Club, celui de Calame et de Carrive, celui de ceux qui, prenant la relève de leurs camarades malheureux, vainquirent Ansabère pour la seconde fois : Marcel Cames et Henri Sarthou.
Dans cet exploit retentissant, l'équipe Cames-Sarthou a donné sa mesure : sang-froid, intelligence, organisation méthodique, audace, volonté sans faille, puissance musculaire... Un matériel hétéroclite est chargé à Lescun sur un mulet : barres de fer, broches à rideaux, marteau de forgeron, la « quincaillerie » d'alors. Du Pic, on examine la paroi de l'Aiguille : la fissure empruntée par les infortunés premiers ascensionnistes, sur la gauche, paraît extrêmement exposée. Au centre, un surplomb de forte taille, infranchissable en escalade libre, barre la route. Pourtant, c'est le passage le plus sûr. Les deux compagnons descendent le lourd matériel dans la brèche, le hissent jusqu'au pied du surplomb et enfoncent les barres de fer dans la fissure qui entaille l'obstacle. Mais, après la première broche, il faut s'élever le corps repoussé en arrière par ces rochers qui se penchent « au-delà de la verticale » ; pas de mousquetons, pas d'étriers à cette époque. Comment continuer l'acrobatique et épuisant travail ? Cames monte sur les épaules de Sarthou, qui, rejeté en arrière lui aussi, s'est attaché au premier crampon. Une dernière barre est plantée. On ne peut faire mieux.
Maintenant, il faut se rétablir à la force des bras — d'un bras — sur la barre, l'autre main ne trouvant qu'un appui précaire sur la lèvre arrondie de la fissure, le corps fortement déversé en arrière et freiné par le frottement sur le « ventre » du surplomb. Ceux qui ont franchi ce passage savent à quel point il est athlétique. Pourtant Cames et Sarthou, après la très pénible mise en place de ces pitons préhistoriques, attaquent l'obstacle et le surmontent. La Grande Aiguille d'Ansabère est vaincue cette fois sans drame par deux compatriotes palois et camarades de club de Calame et Carrive, devançant de quelques jours l'équipe toulousaine qui n'eut pas, elle, à équiper le passage.
Quelques semaines plus tard, Sarthou, montant de Lescun vers le val d'Ansabère, croise un berger :
— Vous allez, aux Aiguilles ? demande ce dernier. Et sans attendre la réponse :
— Oh ! vous pouvez y aller, oui, maintenant : il y a des crampons !
L'équipe Cames-Sarthou revint quelque temps après à l'Aiguille Nord d'Ansabère et y traça une nouvelle voie, entièrement libre cette fois, sans le moindre « clou », moins athlétique, mais techniquement plus difficile et plus aérienne que le surplomb. Un nouveau drame faillit alors se produire par suite d'une de ces fantaisies peu orthodoxes, dont les grimpeurs d'alors ne se privaient guère. Mais l'énergie et l'exceptionnelle force physique de cette cordée la sauva.
L'itinéraire en question, baptisé depuis « voie Cames-Sarthou », après un début commun avec les deux autres voies, passe sur la droite de la paroi et se termine par une sorte de dièdre surplombant de plus de 15 mètres. En ce temps de technique fort élémentaire dans les Pyrénées, les grimpeurs, assez souvent, ne s'encordaient pas. Le premier montait avec une corde à la ceinture, pliée ou déroulée, et le second ne s'attachait qu'après le franchissement du passage, ou bien grimpait à la force des poignets le long du filin.
Cames ayant gravi le dièdre, Sarthou voulut monter à la corde, sans s'attacher. Non seulement le dièdre, mais aussi la paroi de l'Aiguille surplombaient. Quittant l'aplomb de la terrasse d'où il était parti, Sarthou pendula dans le vide au-dessus d'un vertigineux à-pic. Cames, pendant ce temps, d'une plate-forme voisine du sommet, bloquait la corde à laquelle était suspendu son ami...
Sarthou commença à s'élever rapidement le long de la corde mince sans même pouvoir, au début, prendre appui avec les pieds sur la muraille. Quinze mètres à la force des bras, c'est long. Vers la fin, la cadence se ralentit. A bout de forces, Sarthou arrive péniblement à placer une main juste au-dessus de l'autre. Bientôt il se sent épuisé. Il est à deux mètres à peine du but, mais ses mains ne peuvent plus serrer la corde, ses bras ne peuvent plus le hisser ; dans un souffle, il lance alors à l'adresse de son compagnon qu'il ne peut apercevoir :
— Adieu Marcel !... Toujours en équilibre instable, sur sa plate-forme, Cames qui a deviné le drame qui est en train de se jouer, lui hurle pour l'encourager :
— Non, tu tiens toujours, plus qu'un mètre, je vais t'aider!... Luttant désespérément pour ne pas lâcher prise, Sarthou enroule alors la corde autour de ses poignets, et c'est Cames qui, tirant de toutes ses forces sur la corde, réussit par hisser peu à peu son ami, finit par lui saisir un bras, puis par l'amener complètement à son niveau, sur la plate-forme où tous deux alors s'écroulent côte à côte... L'Aiguille Nord d'Ansabère n'a pas eu son second drame.
Précurseur, décidément, de l'escalade moderne, en compagnie de Roger Cazabonne alias Romano, et de Jean Santé, Marcel Cames attaque le couloir Pombie-Suzon à l'Ossau pour gravir, depuis la base, la Quatrième Pointe, ou Pointe Anonyme, maintenant Pointe Jean-Santé, du nom de son premier vainqueur, qui l'atteignit en descendant de la Pointe d'Aragon. Le 26 août 1928, une bataille épique se déroule dans le couloir à coups de broches, barres de fer, triples courtes-échelles pour franchir les surplombs qui hérissent d'obstacles athlétiques l'itinéraire le plus difficile et le plus soutenu des Pyrénées, à l'époque.
De 1928 à 1931, avec son ami Sarthou, Cames grimpe un peu partout, et comme ni l'un ni l'autre n'écrit beaucoup, nous ne saurons jamais quels itinéraires cette paire de grands indépendants a pu parcourir. Seules quelques conversations avec Marcel m'ont ouvert certaines perspectives sur les découvertes que cette cordée taciturne n'a pas jugé bon de mentionner. Elle parcourut les Pyrénées de Luchon à la vallée d'Ossau à la manière des frères Cadier, mais avec un style plus austère encore et des escalades originales, plus difficiles.
En 1931, avec deux compagnons qui d'ailleurs ne peuvent le suivre jusqu'en haut, Marcel réussit la première ascension de la face Est de la Pointe d'Espagne à l'Ossau. En 1932, il tente, toujours avec ses vieux amis Jean Santé et Romano, la Grande Cheminée de la Pointe de France, s'aventure sur une paroi lisse et doit descendre en rappel sur... son couteau coincé dans une fissure. En 1933, il traverse l'Ossau du sud au nord avec Cazalet, Chicher et Ollivier par la muraille de Pombie (1re ascension complète – dont celle du Pentagone en passant ndlr), la Pointe Jean-Santé, la Pointe d'Aragon (lère ascension directe par l'est), le Grand Pic avec descente par la Grande Cheminée de la Pointe de France en trois rappels de cinquante mètres et deux de vingt-cinq (1er parcours).
En 1935, sur la face nord classique de l'Ossau, je rencontrai Marcel avec Marthe Camposé, sa future femme. Nous nous retrouvâmes une fois encore au Mur de la Cascade, avec tout le Club Pyrénéen, en 1939, je crois... Et puis, s'il ne cessa pas de pratiquer la montagne, Cames n'y alla plus, depuis ce moment-là, qu'avec sa femme et ses fils.
Car ce pyrénéiste audacieux et même quelque peu casse-cou, fut un tendre époux et un excellent père. A ses fils qu'il ne quittait jamais, il apprit à grimper, à skier, à nager. Pour sa femme, il fut un compagnon modèle, comme elle fut, pour lui, la compagne entièrement dévouée, très aimante et aussi très aimée. Elle le rendit heureux, elle le soutint dans les épreuves de la vie qui, parfois, furent très rudes pour lui. Des plus dures, il sortit vainqueur, car il apportait dans ces combats moins sympathiques, moins lumineux que ceux qu'il livrait autrefois aux murailles d'Ansabère et de l'Ossau, la même énergie, la même volonté.
Pour ce grimpeur qui porte un des grands noms du pyrénéisme, la montagne n'a pas été une fin, mais le magnifique terrain de jeu d'une jeunesse dynamique et aussi l'école du courage, de la ténacité, de l'audace, vertus qui permettent de gagner les batailles de la vie.
Robert Ollivier
Altitude n°45, 1969

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