Il n’y a pas si longtemps, la lourde porte d’entrée du ksar de Beni Isguen était fermée à double tour dès la tombée de la nuit. Du haut de la mosquée, on criait aux étrangers de quitter la cité et chacun rentrait dormir chez soi, dans sa maison étroite aux poutres en palmier. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas.
La porte reste ouverte à tous les vents et à tous les gens. Malgré tout, dès la première ruelle, un panneau en français et en anglais indique qu’ici, il est interdit de sortir son appareil photo, de fumer, de porter shorts et débardeurs. Beni Isguen, ville millénaire de la vallée du M’zab, enserrée de murailles et fondée en 1347 par la communauté mozabite, semble avoir été pétrifiée dans l’histoire. Figée. Epousant la forme douce de la colline, la ville a été conçue sur le modèle pyramidal : les habitations, cubes blanc et bleu pâle, s’organisent en cercles concentriques depuis la mosquée, qui domine le paysage, jusqu’aux remparts. La forme épurée du minaret et sa couleur ocre rappellent celles des pigeonniers des pays sahéliens. Les maisons en briques crues enduites de chaux ne possèdent pas de fenêtres mais des ouvertures minces qui ressemblent à des meurtrières. A Beni Isguen, impossible de circuler en voiture. Les ruelles sont étroites, pour conserver la chaleur, et en lacets, pour éviter que la vue ne porte trop loin et pour couper la force du vent lors des tempêtes de sable. Au XVIIIe siècle, lorsque la région était à son apogée de carrefour du commerce caravanier, les chameaux baladaient leur allure nonchalante sous les passages voûtés. Aujourd’hui, la ville est étonnamment calme. Les bruits sont étouffés et l’on entend à peine les pas des femmes, drapées du haïk blanc, qui ne laisse apparaître que leur œil gauche. Elles glissent sur les pavés, visions fantomatiques en plein milieu de l’après-midi.